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Droit pénal général
Délit de favoritisme : tous les marchés !
Mots-clefs : Favoritisme, Notion de marchés publics, Élément constitutif
Le délit de favoritisme est applicable à l’ensemble des marchés publics, que le marché soit régi par le Code des marchés publics ou par l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics.
Aux termes de l'article 432-14 du Code pénal, le délit de favoritisme a vocation à protéger « la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ». Reste à savoir comment entendre la notion même de « marché public » qui détermine le champ d’application de l’infraction. Le droit de l’Union européenne entend largement la notion de marché public. Ce terme englobe les marchés passés par l'ensemble des personnes morales appartenant au secteur public. Les principes d'égalité de traitement et de transparence doivent s'appliquer à l'ensemble de la commande publique. A l’inverse, en droit interne, la notion est plus restrictive et englobe uniquement les marchés soumis à la réglementation du Code des marchés public. Une telle différence d’approche entraine des répercussions au niveau pénal : la notion de « marchés publics », telle que figurant à l'article 432-14 du Code pénal, se réfère-t-elle aux seuls marchés soumis au Code des marchés publics ou peut-elle s'étendre à d'autres marchés, hors du champ du Code des marchés publics ?
Une telle question a donné lieu à une controverse doctrinale au sujet de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics. Certains auteurs prônent, sous couvert notamment du principe d’interprétation stricte de la loi pénale (C. pén., art. 111-4), de limiter le champ d’application du délit aux marchés publics régis par le Code des marchés publics (ex : J.-D. Dreyfus, Portée du délit de favoritisme : dura lex sed lex, AJDA 2007. 853). D’autres sont au contraire favorable à l’application de l’infraction à l’ensemble des contrats de passation d'une commande publique (ex : A. Ruellan, Le délit de favoritisme est-il applicable aux marchés des entités soumises à l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ?, AJDA 2008. 1139).
Si le juge pénal ne s'était pas encore prononcé sur ce point, c’est chose faite dorénavant dans l’arrêt du 17 février dernier rendu dans le cadre de faits médiatisés.
Le Syndicat national des personnels de la communication et de l’audiovisuel avait porté plainte et s’était constitué partie civile, notamment, du chef d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et de recel de ce délit, contre les dirigeants de la société France télévisions, qui auraient conclu, avec plusieurs prestataires, dont la société B., dirigée par un ancien salarié de France télévisions, de nombreux marchés de services sans mise en concurrence préalable, en violation des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005. Le juge d’instruction a mis en examen, d’une part, du chef de favoritisme, le président et le secrétaire général de France télévisions, d’autre part, du chef de recel de ce délit, le dirigeant de la société B. et la société, personne morale.
Ces derniers ont présenté une requête aux fins d’annulation des mises en examen des demandeurs du chef du délit de recel de favoritisme rejetée par la chambre de l’instruction. Ils faisaient valoir que l’article 432-14 du Code pénal ne s’applique qu’aux marchés régis par le Code des marchés publics en vertu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Telle n’est pas la solution retenue par la chambre criminelle. Elle affirme qu’ « il résulte des termes de cet article qu’il s'applique à l'ensemble des marchés publics et non pas seulement aux marchés régis par le code des marchés publics, lequel a été créé postérieurement à la date d’entrée en vigueur dudit article dans sa rédaction actuelle ; que ces dispositions pénales ont pour objet de faire respecter les principes à valeur constitutionnelle de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que ces principes, qui constituent également des exigences posées par le droit de l'Union européenne, gouvernent l'ensemble de la commande publique ; qu'il s'en déduit que la méconnaissance des dispositions de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, et, notamment, de son article 6, qui rappelle les mêmes principes, entre dans les prévisions de l’article 432-14 susmentionné ».
La chambre criminelle opte ainsi pour une interprétation extensive du délit de favoritisme, applicable que le marché soit régi par le Code des marchés publics ou par l’ordonnance du 6 juin 2005 précitée. On soulignera les deux arguments qui viennent au soutien de cette solution. Le premier tient à la chronologie des textes. Le Code des marchés publics a été créé postérieurement à la date d’entrée en vigueur de l’article 432-14 du Code pénal lequel a été introduit par l'article 7 de la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence et qui dans sa version actuelle résulte de la loi no 95-127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public (la L. no 2013-1117 du 6 déc. 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ayant seulement modifié la sanction encourue). Or, l’entrée en vigueur du Code des marchés publics étant issue du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001, il est possible de déduire qu’à l’époque où le législateur a créé l’infraction, il n’entendait pas la limiter aux marchés régis par le Code des marchés publics, ce dernier n’existant pas.
Le second argument, plus classique et déjà avancé par la doctrine, se réfère au droit de l’Union européenne: « Les marchés que passent les pouvoirs adjudicateurs soumis à l'ordonnance du 6 juin 2005 ne sont certes pas des «marchés publics » au sens du droit national, mais sont des marchés publics au sens du droit communautaire, lequel retient de cette notion une conception plus large, qui englobe les marchés passés par l'ensemble des personnes morales appartenant au secteur public, indépendamment de leur nature …» (A. Ruellan, préc.).
Crim. 17 février 2016, n° 15-85.363
Références
■ Crim. 14 févr. 2007, n° 06-81.924 P, AJDA 2007. 853, note J.-D. Dreyfus.
■ A. Ruellan, Le délit de favoritisme est-il applicable aux marchés des entités soumises à l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ?, AJDA 2008. 1139.
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