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Délivrance conforme et vices cachés : rappel de la distinction
Mots-clefs : Vente, Défaut de conformité, Vice caché, Distinction, Prohibition du cumul des actions
Les défauts affectant la boîte de vitesses du véhicule rendant celui-ci impropre à l’usage auquel il était destiné constituent des vices cachés, ce dont il résulte que la garantie de ceux-ci est l’unique fondement possible de l’action de l’acheteur.
Le Code civil distingue le défaut de conformité et le vice caché (C. civ., art. 1603), par nature différents : alors que le défaut de conformité provient d'une différence entre la chose convenue et la chose livrée trahissant l’inexécution, par le vendeur, de son obligation de délivrance, le vice caché concerne une chose qui, quoique conforme à celle convenue, se révèle atteinte d'un défaut affectant son usage normal. Ce qui revient à dire qu’une chose peut ne pas être conforme aux prévisions contractuelles tout en étant conforme à son usage normal.
En pratique, cependant, la distinction est moins nette. Si elle se comprend bien lorsque le défaut de conformité provient d'une différence de nature ou de quantité entre la chose commandée et la chose livrée, elle devient floue dès que le défaut de conformité porte sur une qualité de la chose. En effet, lorsque la qualité en cause est liée à l'usage de la chose et que sa diminution atteint un certain degré, le défaut de conformité tend à devenir un vice affectant l'usage normal de la chose. La décision rapportée révèle en ce sens la difficulté que pose dans ce cas la distinction entre vice d’usage et défaut de conformité.
En l’espèce, l’acheteur d’un véhicule d’occasion, à la suite de plusieurs pannes ayant nécessité le remplacement de la boîte de vitesses puis de l’apparition d’autres dysfonctionnements, avait assigné la société venderesse en annulation de la vente. Pour prononcer la résolution de la vente et condamner la société à restituer le prix d’acquisition à l’acquéreur, la cour d’appel retint que le vendeur avait manqué à son obligation de délivrance conforme de la chose avec ce qui avait été convenu avec l’acheteur.
Au visa de l’article 1641 du Code civil, l’analyse des juges du fond est censurée par la première chambre civile au motif que « les défauts affectant la boîte de vitesses du véhicule rendaient celui-ci impropre à l’usage auquel il était destiné, ce dont il résultait qu’ils constituaient des vices cachés et que la garantie de ceux-ci était l’unique fondement possible de l’action ».
Régulièrement soulignée, la difficulté de distinguer le vice caché de la non-conformité avait conduit une partie de la doctrine à proposer d’élargir la notion de délivrance conforme à celle de conformité « fonctionnelle », impliquant que la chose vendue permette de remplir l'usage attendu de l'acheteur (v. Ph. le Tourneau). Unifiant les deux notions, cette conception présentait l’immense avantage pour l’acheteur déçu d’échapper au bref délai de l’action en garantie des vices cachés, lorsqu’il l’avait laissé passer.
Pendant un temps, la jurisprudence relaya cette proposition doctrinale en acceptant de sanctionner certains vices cachés par le biais de la non-conformité (Civ. 1re , 5 nov. 1985, à propos d’une moto affectée d'un vice caché, qui était en même temps un défaut de sécurité : non-conformité ; Civ. 1re, 8 nov. 1988, relatif à une piscine de rééducation fonctionnelle défectueuse : le vendeur aurait du « délivrer une chose conforme à l'usage auquel elle est destinée » ; Civ. 1re , 14 févr. 1989, à propos d’un système d'alarme contre le vol : la cour d'appel aurait dû vérifier si « le vice de conception relevé ne devait pas s'analyser, eu égard aux circonstances de la cause, en un manquement du vendeur installateur à son obligation de délivrer une chose conforme à sa destination normale ») et, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait même implicitement consacré la notion de délivrance fonctionnelle (Ass. plén. 7 févr. 1986). En revanche, la troisième chambre prenait soin de maintenir la distinction (Civ. 3e, 25 janv. 1989 ; Civ. 3e, 27 mars 1991 ; Civ. 3e, 23 oct. 1991 , à propos d’une vente d'un matériau utilisé pour assurer l'étanchéité d'une terrasse relevant qu'il est affecté d'un vice caché).
Après plusieurs années de confusion, la jurisprudence revint, en 1993, au principe de distinction ici rappelé entre non-conformité et vice caché. Elle réaffirma que les défauts rendant la chose impropre à son usage normal sont des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil (Civ. 1re, 5 mai 1993), ce dont il résulte un principe d’interdiction de cumul des actions. L'action en garantie des vices cachés est donc la seule action susceptible d’être intentée par l'acheteur lorsque la chose est atteinte d’un vice d’usage, ce que la Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer à propos de l’acheteur insatisfait du véhicule d’occasion dont il a fait l’acquisition (v. Civ. 1re, 19 févr. 2002 : s’agissant de la vente d’une voiture atteinte d’un défaut de structure consécutif à un accident, est déclarée irrecevable l’action de l’acheteur fondée sur l’article 1603 C. civ. dès lors qu’il n’est pas établi que le vendeur ait eu connaissance l’accident, la seule action ouverte étant celle en garantie des vices cachés).
Caché, le vice conserve, finalement, sa vertu !
Civ. 1re, 19 févr. 2014, n°12-22.878
Références
■ Ph. Le Tourneau, Conformité et garanties dans la vente d'objets mobiliers corporels, RTD com. 1980. 231, spécialement n° 62.
■ Civ. 1re, 5 nov. 1985, n° 83-12.621.
■ Civ. 1re, 8 nov. 1988, n° 86-19.040.
■ Civ. 1re, 14 févr. 1989, n° 87-13.539.
■ Ass. plén. 7 févr. 1986, 2 arrêts, n°83-14.631 et 84-15.189, Bull. Ass. plén., n° 2 ; D. 1986. 293, note A. Bénabent ; JCP G 1986. II. 20616, note Ph. Malinvaud ; Gaz. Pal. 1986, 2, p. 543, note J.-M. Berly ; RTD civ. 1986. 364, obs. J. Huet ; p. 594, obs. J. Mestre ; p. 605, obs. Ph. Rémy.
■ Civ. 3e, 25 janv. 1989, Bull. civ. III, n° 20.
■ Civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. civ. III, n° 107.
■ Civ. 3e, 23 oct. 1991, n° 87-19.639; D. 1993. Somm. p. 239, 1re esp., obs. O. Tournafond.
■ Civ. 1re, 5 mai 1993, n° 90-18.331, D. 1993. 506, note A. Bénabent ; D. 1993. Somm. 242, obs. O. Tournafond.
■ Civ. 1re, 19 févr. 2002, Bull. civ. I, n°59.
■ Code civil
« Il a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. »
« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »
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