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Droit de la famille
Délivrance de l’acte de notoriété constatant la possession d’état : un pouvoir discrétionnaire
L’acte de notoriété constatant la possession d’état relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et n’a pas à être spécialement motivé.
Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-23.976 et n° 19-23.978
La possession d'état désigne l'apparence d'un état donné d'une personne, qui se comporte comme un titulaire véritable des prérogatives qu'il exerce. Elle joue essentiellement en matière de filiation et de mariage.
Selon l'alinéa 1er de l’article 311-1 du Code civil, elle « s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ».
Il convient en particulier de tenir compte des relations mutuelles du prétendu parent et de l’enfant (tractatus) (C. civ., art. 311-1, 1°), du nom que ce dernier porte (nomen ; C. civ., art. 311-1, 5°) et de l’opinion de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de la filiation (fama ; C. civ., art. 311-1, 3° et 4°). Il n’est cependant pas indispensable que tous ces éléments soient réunis pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une possession d’état (v. not. Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 10-26.678).
Pour que celle-ci puisse produire ses effets, il lui faut en revanche revêtir certaines qualités, impératives : ainsi doit-elle être, en vertu de l’article 311-2, « continue, paisible, publique et non équivoque ».
À ces conditions, l’existence de la possession d’état permet d’établir la filiation.
Si depuis une époque récente, il convient, à cette fin, de la faire authentifier par un notaire (C. civ., art. 317, al. 1er), cette compétence revenait traditionnellement au juge, chargé de délivrer un « acte de notoriété » : il s’agit d’un acte faisant foi de l’existence d’une possession d’état, constatée sur la base d’au moins trois témoignages, permettant ainsi l’établissement de la filiation.
Or, en application du droit antérieur à la loi du 23 mars 2019 (L. n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), l’obtention d’un acte de notoriété ne pouvait être demandée qu’à un juge. Dans cette perspective, deux voies étaient susceptibles d’être empruntées : il était d’abord possible d’engager une action en justice pour obtenir un jugement certifiant la réalité de la possession d’état. Il était également admis de l’officialiser au terme d’une procédure moins lourde, par sa simple constatation dans un acte de notoriété délivré par le juge du tribunal d’instance, suffisant à établir la paternité ou la maternité (C. civ., anc. art. 310 et 317). Cette dernière procédure était assez simple à mettre en œuvre. La demande était présentée « au juge du tribunal d’instance du lieu de naissance (de l’enfant) ou (du) domicile (du requérant) ». Ce magistrat établissait l’acte de notoriété « sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins » et, s’il l’estimait nécessaire, « de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1 » (C. civ., art. 317, al. 2). Si les preuves rassemblées lui paraissaient révéler l’existence d’une possession d’état non viciée, le juge délivrait le document sollicité. En revanche, si les pièces qu’il détenait ne lui semblaient pas suffisamment convaincantes, il devait éconduire le requérant (v. J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, Coll. Hypercours, 2e éd., n° 721 s.).
C’est par cette seconde voie procédurale que la filiation de la requérante fut, en l’espèce, établie. Née en 1968 sans filiation paternelle déclarée, un acte de notoriété avait été dressé en 2009 par un juge des tutelles pour reconnaître qu’elle bénéficiait de la possession d’état à l’égard d’un tiers décédé la même année. Cependant, après qu’elle eut assigné la famille du défunt pour obtenir sa part dans la succession de ce dernier, celle-ci avait engagé une action en contestation de cette possession d’état à l’effet d’obtenir l’annulation de l’acte de notoriété. Précisons ici que si ni l’acte de notoriété, ni le refus de le délivrer ne sont par principe sujets à recours (C. civ., anc. art. 317, al. 5), l’acte de notoriété ne fait cependant « foi de la possession d’état (que) jusqu’à la preuve contraire » (C. civ., art. 317, al. 1er) : la filiation instaurée peut ainsi être remise en cause, soit que l’acte ait été délivré à mauvais escient, soit qu’il n’ait pas été conforme à la réalité biologique, mais son anéantissement suppose en toute hypothèse une action judiciaire en contestation, telle que celle qui fut en l’espèce engagée par les héritiers du défunt.
Leur donnant gain de cause, la cour d’appel de Montpellier annula l’acte de notoriété dressé par le juge au motif que ce dernier s’était « contenté de reprendre exactement les termes de l’article 311-1 du Code civil sans mentionner la teneur de la déclaration des trois témoins, et donc sans faire état de faits concrets et précis révélant le lien de filiation entre [sa fille prétendue] et [et le défunt] contrairement aux dispositions des articles 317 et 71 du Code civil ».
Les magistrats du Quai de l’Horloge devaient donc se prononcer, en l’absence de disposition légale expresse sur ce point, sur la teneur exacte de l’acte de notoriété constatant la possession d’état.
Au visa de l’article 317 du Code civil, dans sa rédaction antérieure applicable au litige, la Cour rappelle que « l’acte de notoriété constatant une filiation établie par la possession d’état, qui fait foi jusqu’à preuve contraire, est délivré par le juge, sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et, si ce dernier l’estime nécessaire, de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1 du Code civil ». Elle ajoute qu’« il n’est pas sujet à recours ». Il en résulte que « cet acte, dont la délivrance relève du pouvoir discrétionnaire du juge, n’a pas à être spécialement motivé ».
Autrement dit, l’impossibilité jadis légalement prévue (C. civ., anc. art. 317, al. 5) d’exercer un recours contre la décision du juge de délivrer cet acte justifie la souveraineté d’appréciation reconnue au magistrat, qui se voit ainsi conférer un pouvoir discrétionnaire de décision quant à la délivrance, ou à son refus, d’un acte de notoriété. Par conséquent, l’arrêt d’appel ayant prononcé la nullité de l’acte litigieux pour défaut de motivation, « alors qu’aucune disposition n’impose que les faits constitutifs de la possession d’état soient relevés dans l’acte de notoriété ou qu’il mentionne la teneur des témoignages », est cassé pour violation de la loi.
Ainsi la validité d’un acte de notoriété constatant la possession d’état ne dépend-elle pas d’une motivation spéciale dès lors que la délivrance de cet acte relève d’une appréciation discrétionnaire, sous la seule réserve de l’établir sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit, attestant une réunion suffisante de faits constitutifs d’une possession d’état.
Demeure donc inchangé le principe selon lequel la portée des éléments susceptibles d’établir la possession d’état d’un enfant relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-21.061). Si désormais, seul un notaire peut dresser un acte de notoriété constatant la possession d’état en matière de filiation, on peut en déduire, en l’absence d’autre modification apportée au régime applicable à cette matière, que les termes du nouvel article 317 ne seront pas interprétés comme obligeant le notaire à motiver spécialement sa décision d’enregistrement.
Références :
■ Fiches d'orientation Dalloz: Possession d'état
■ Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 10-26.678
■ Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-21.061https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2007-09-19_0621061 P: D. 2008. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2007. 485, obs. F. C.
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