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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Demande d’asile et risque de torture
Mots-clefs : Demande d’asile, Examen, Recevabilité, Bien fondé, Motivation, Interdiction des traitements inhumains et dégradants
Le renvoi d’un demandeur d’asile dans son pays d’origine est susceptible, compte tenu de la situation politique du pays comme de sa situation personnelle, de l’exposer à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants proscrits par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme a dû résoudre, dans la décision rapportée, la question de savoir si l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants était méconnu, eu égard aux circonstances évoquées par le requérant, par le renvoi de ce dernier vers la Fédération de Russie qu’il avait dû quitter en raison de persécutions subies.
Ressortissant russe originaire de Tchétchénie, le requérant avait demandé l’asile en France, prétendant avoir été victime d’actes de torture en raison de son appartenance à un groupe armé de la rébellion tchétchène. Sa demande ayant été rejetée par la Cour nationale du droit d’asile, le requérant alléguait une violation de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi dans son pays d’origine, lequel l’exposerait à des risques de traitements contraires à cette disposition. S’agissant de la recevabilité de sa requête, la Cour rappelle que, lorsqu’une expulsion risque d’entraîner une violation de l’article 3 de la Convention, compte tenu de l’importance que la Cour attache à cette disposition et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, la règle d’épuisement des voies de recours internes ne concerne que les recours suspensifs de plein droit, ce qui n’est pas le cas du pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, qui doit alors être considéré comme inefficace selon la jurisprudence de la Cour (CEDH 18 déc. 1996, Aksoy c/ Turquie, n° 21987/93, § 51, 52. CEDH 16 sept. 1996, Akdivar et a. c/ Turquie, n° 21893/93, § 65 à 67. CEDH 24 févr. 2005, Khachiev et Akaïeva c/ Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 116). S’agissant du bien-fondé de la requête, la Cour rappelle qu’il appartient au requérant de produire les éléments de preuve à l’appui de sa demande, autrement dit, de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitements contraires à l’article 3 si la mesure incriminée était mise à exécution (CEDH, gr. ch., 28 févr. 2008, Saadi c/ Italie, no 37201/06) et que l’État saisi doit lui accorder le bénéfice du doute lorsqu’il apprécie la véracité de ses déclarations et des documents qui les appuient (CEDH, gr. ch., 23 mars 2016, F. G. c/ Suède, no 43611/11, § 113). Toutefois, cette règle est tempérée dans le cas où les informations données font largement douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile ; il incombe alors à ce dernier de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (V. notamment, CEDH 20 juill. 2010, N. c/ Suède, no 23505/09. CEDH, décis., 27 mars 2008, Hakizimana c. Suède, no 37913/05. CEDH 8 mars 2007, décis., Collins et Akaziebie c/ Suède, no 23944/05).
La Cour souligne également que l’allégation d’un risque de mauvais traitements doit être examinée au regard de la situation générale dans le pays de renvoi à la date de son examen de l’affaire et des circonstances propres au cas de l’intéressé. En l’espèce, la Cour relève, concernant la situation générale du pays, que bien que soient rapportées de graves violations des droits de l’homme en Tchétchénie, la situation n’était pas telle que tout renvoi en Fédération de Russie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.
En revanche, la Cour constate que le requérant présente un récit circonstancié, crédible au regard des données internationales disponibles et étayé par de nombreuses pièces documentaires. Elle reproche aux autorités nationales d’avoir écarté les éléments apportés par le requérant au moyen d’une motivation succincte, se fondant uniquement sur l’imprécision générale de ses déclarations et sur l’absence de garanties suffisantes d’authenticité des convocations produites, sans motivation suffisamment explicite pour justifier leurs suspicions quant aux explications et précisions que leur avait présentées le requérant. La Cour estime ainsi, au vu du récit du requérant, des documents produits et de la situation actuelle en Tchétchénie, qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’espèce, un risque réel que celui-ci soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part des autorités russes en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi. Il s’ensuit, pour la Cour, qu’un renvoi du requérant vers la Fédération de Russie emporterait la violation de l’article 3 de la Convention.
CEDH 7 juillet 2016, R. V. c/ France, n° 78514/14
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 3
« Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
■ CEDH 18 déc. 1996, Aksoy c/ Turquie, n° 21987/93, § 51, 52, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1998. 37, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1997. 453, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 459, obs. R. Koering-Joulin.
■ CEDH 16 sept. 1996, Akdivar et a. c/ Turquie, n° 21893/93, § 65 à 67, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1997. 454, obs. R. Koering-Joulin.
■ CEDH 24 févr. 2005, Khachiev et Akaïeva c/ Russie, nos 57942/00 et 57945/00, § 116, RSC 2006. 431, obs. F. Massias.
■ CEDH, gr. ch., 28 févr. 2008, Saadi c/ Italie, no 37201/06, AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1929, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2008. 692, chron. J.-P. Marguénaud et D. Roets.
■ CEDH, gr. ch., 23 mars 2016, F. G. c/ Suède, no 43611/11, § 113.
■ CEDH 20 juill. 2010, N. c/ Suède, no 23505/09.
■ CEDH, décis., 27 mars 2008, Hakizimana c. Suède, no 37913/05.
■ CEDH 8 mars 2007, décis., Collins et Akaziebie c/ Suède, no 23944/05.
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