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Droit des biens
Dépenses de la vie courante : concubin ou tiers, le choix s’impose !
Un concubin ne peut se prévaloir du bénéfice de l’article 555 du Code civil pour obtenir, en qualité de tiers possesseur de travaux, le remboursement des sommes qu’il a exposées pour la rénovation du logement de la famille appartenant en propre à son ancienne compagne.
Civ. 1re, 2 sept. 2020, n° 19-10.477
Un couple avait, durant la période où il vivait en concubinage, souscrit deux emprunts pour financer les travaux d’une maison d’habitation édifiée sur un terrain dont la femme était l’unique propriétaire.
Après leur séparation, l’ancien concubin s’était prévalu, sur le fondement de l’article 555 du Code civil, d’une créance à l’effet d’obtenir le recouvrement de la somme correspondant à l’investissement financier et au coût de la maîtrise d’œuvre relatifs à ces travaux, équivalant à une somme de près de 62 000 € sur cinq ans, alléguant même qu’eu égard à la plus-value procurée à l’immeuble par sa contribution, le montant de sa créance pourrait atteindre plus de 80 000 €.
La cour d’appel rejeta pourtant sa demande au motif que l’investissement réalisé sur cette période avait constitué « une participation normale aux charges de la vie commune ».
Réaffirmant devant la Cour de cassation le droit qu’il détenait, en qualité de tiers possesseur de travaux, au bénéfice de l’article 555 du Code civil ayant vocation, en l’absence de convention passée avec son ex compagne à régler le sort des constructions édifiées en commun, le demandeur voit son pourvoi rejeté par la première chambre civile : après avoir relevé les différents éléments énoncés par les juges du fond pour le débouter, la Cour énonce que, « de ces énonciations et constatations, faisant ressortir la volonté commune des parties, la cour d’appel a pu déduire que M. S… avait participé au financement des travaux et de l’immeuble de sa compagne au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu’il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge ».
Ainsi la Cour de cassation fait-t-elle relever le financement des travaux par le concubin de « sa contribution aux dépenses de la vie courante ». L’expression rappelle immédiatement la contribution aux charges du mariage des époux, à cette différence notable que la première chambre civile commence d’ailleurs par rappeler qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, que leur choix d’une union libre les soustrait au régime primaire impératif applicable aux seuls partenaires pacsés et aux époux concernant le règlement des dettes du ménage (C. civ., art. 220, pour le mariage ; C. civ., art. 515-4, pour le PACS). Cette liberté a pour contrepartie d’obliger chacun des concubins, à défaut de convention de concubinage prévoyant les modalités de contribution aux charges de la vie commune, à assumer les dépenses de la vie courante qu’il a engagées sans pouvoir prétendre à leur remboursement ou à l’octroi d’indemnités quand bien même sa participation aurait excédé celle de l’autre membre du couple, puisqu’aucun texte ne vient prévoir des règles relatives à leur répartition ou à leurs modalités de contribution. Ce prix de la liberté pourrait toutefois ne pas toujours avoir à être payé. En effet, si les concubins forment un couple ayant, à l’instar des couples mariés ou pacsés, des dépenses communes nécessaires au règlement des dépenses du ménage et à l’entretien de la famille, ils restent, sur un plan strictement patrimonial, de parfaits étrangers. Partant, le concubin prenant en charge une partie des frais au titre des dépenses de la vie courante pour la rénovation du logement du couple pourrait valablement faire valoir, comme le fit le demandeur au pourvoi, sa qualité de tiers à l’égard du bien dont sa concubine est la propriétaire et, notamment, sa qualité de tiers possesseur des travaux lorsque tel qu’en l’espèce, il a contribué à l’édification d’une construction au profit de sa concubine, propriétaire des lieux, et lui a dans le même temps permis de bénéficier d’une plus-value sur ce bien justifiant qu’elle lui verse une indemnité, comme le permet l’article 555 du Code civil au titre de la protection des droits du tiers ayant investi sur le bien appartenant à autrui, dès lors qu’elle conservait la construction sur son bien et continuait de bénéficier de la plus-value qui lui avait été apportée.
Le juge doit donc, dans ce type d’affaires, faire le choix entre ces deux qualités : concubin ou tiers, exclusives l’une de l’autre en l’absence d’identité ou même de convergence entre les règles issues du droit de la famille et celles prévues en droit des biens. Si la Cour privilégie ici la qualité de concubin, elle fait plus souvent le choix inverse, ayant à plusieurs reprises jugé, en vertu du fait chaque fois rappelé que « les concubins demeurent des tiers dans leurs rapports patrimoniaux », que le concubin ayant concouru à la construction d’ouvrage sur le terrain d’autrui avait droit à indemnisation à défaut de convention particulière réglant le sort des constructions, même en l’absence de caractère exclusif de sa participation (Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-00.002 ; Civ. 3e, 3 mars 2003, n° 01-16.033 ; Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-14.039).
Non sans surprise, la Haute cour fait en l’espèce prévaloir la qualité de concubin pour exclure celle de tiers possesseur des travaux de celui qui était devenu ensuite l’époux de la propriétaire avant que leur divorce fût prononcé. Cet élément, quoique non relevé dans la décision, n’est peut-être pas sans incidence sur la prévalence ici donnée à la qualité de compagnon de celui qui avait manifestement agi dans une perspective maritale et familiale ; de surcroît, le fait que le couple se soit ultérieurement marié peut être une autre justification à la solution ici rendue d’exclure sa qualité, sous l’angle patrimonial, de tiers possesseur.
En effet, après avoir rappelé qu’en l’espèce, aucune convention de concubinage n’avait réglé la prise en charge des travaux, la Cour, pour approuver les juges du fond d’avoir fait relever ces sommes de la contribution du concubin aux dépenses de la vie courante exclusives d’un droit au remboursement ou à indemnisation, reprend les trois éléments sur lesquels la juridiction d’appel s’était appuyée pour parvenir à cette conclusion. Tout d’abord, quoique l’immeuble fût la propriété de la concubine, le couple y avait établi le logement de la famille. Ensuite, les concubins avaient chacun participé au financement des travaux et au remboursement des emprunts y afférents dans la mesure de leurs revenus (représentant respectivement 45 % pour la défenderesse et 55 % pour le demandeur). Enfin, le concubin n’avait pas exposé de dépenses autres que ces sommes pour se loger ou loger sa famille et que celles-ci, rapportées à la période considérée, équivalaient à un montant proche de celui qu’il aurait dû verser s’il avait dû verser un loyer pour se loger. La réunion de ces trois éléments conduit la juridiction à retenir que les sommes versées l’avaient été au titre du concubinage, dans le cadre des dépenses de la vie courante. L’essentiel tient cependant dans la traduction, par la commune participation des concubins à la réalisation des travaux, de l’existence d’un concubinage et dans la finalité conjugale et familiale poursuivie par ceux-ci : elles révèlent que par son investissement dans ces travaux de rénovation du logement de la famille, le concubin avait agi en vue de parfaire son foyer. Les sommes versées à ce titre l’avaient été pour des raisons privées davantage qu’à des fins de spéculation immobilière. Le dernier élément retenu permet quant à lui, sans doute, de tempérer l’iniquité de priver le demandeur de toute indemnité pour l’investissement réalisé et dont son ex-concubine continue de profiter.
Quoiqu’il en soit, la solution rapportée, qui se démarque de celle adoptée par la troisième chambre civile habituellement saisie de ce type de litiges et qui privilégie, sur le terrain du droit des biens, la qualité de tiers possesseur du concubin, invite en tout état de cause ces couples seulement unis en fait à prévenir grâce au droit ce conflit malheureusement classique, soit par la passation d’une une convention de concubinage soit…par le passage devant monsieur le maire, la liberté offerte par le concubinage présentant des difficultés ici illustrées que les contraintes inhérentes au mariage permettent au moins d’éviter…
Références
■ Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-00.002
■ Civ. 3e, 3 mars 2003, n° 01-16.033
■ Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-14.039 : D. 2017. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau
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