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[ 12 janvier 2017 ] Imprimer

Droit de la famille

Déplacement d’enfants : précisions quant à l’office du juge

Mots-clefs : Enlèvement international d’enfants, Déplacement illicite, Retour immédiat, Conditions, Divorce, Loi applicable, Autorité parentale, Dévolution, Droit de garde, Résidence habituelle de l’enfant, Office du juge

Pour sanctionner civilement l’enlèvement international d’enfants déplacés illicitement, le juge de l’État requis doit caractériser l’illicéité du déplacement en recherchant si le parent avait ou non le droit de modifier seul le lieu de résidence de l’enfant pour le fixer dans un autre État.

Un enfant naît au Maroc, le 10 janvier 2003, d’une mère française et d’un père franco-marocain. Un jugement marocain du 14 septembre 2009 prononce le divorce de ses parents sans qu'aucune décision ne soit prise relativement à son droit de garde. Le 10 octobre 2014, sa mère quitte le Maroc avec lui pour s'installer en France. Près de deux mois plus tard, le père de l’enfant assigne son ancienne épouse devant un juge aux affaires familiales afin de voir ordonner le retour de l'enfant au Maroc. Pour faire droit à sa demande, la cour d’appel énonce que l'article 171 du code de la famille marocain, ayant pour effet, en cas de divorce, de conférer à la mère seule le droit de garde, porte atteinte tant à la conception française de l'ordre public international, qui protège l'égalité des parents dans l'exercice de leur autorité parentale, qu'au principe énoncé à l'article 5 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle retient que le droit marocain doit être écarté s'agissant de la dévolution de l'autorité parentale sur l’enfant et que, par application de l'article 372 du Code civil français, ses deux parents sont tous deux titulaires de l'autorité parentale sur l'enfant pour en déduire qu'en prenant seule la décision d'emmener l’enfant avec elle en France et d'y fixer sa résidence, sans l'accord du père, la mère s'est rendue auteur d'un déplacement illicite de l'enfant. 

Au visa des articles 1er, 3 et 5 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ensemble l'article 5 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour casse cet arrêt dès lors que la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ayant pour seul objet d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés illicitement et de faire respecter le droit de garde existant dans l'État du lieu de résidence habituelle de l'enfant, avant son déplacement, le juge de l'État requis doit, pour vérifier le caractère illicite de celui-ci, se borner à rechercher si le parent avait le droit de modifier seul le lieu de résidence de l'enfant pour le fixer dans un autre État. 

La convention de La Haye de 1980 met en place un mécanisme de retour immédiat de l'enfant déplacé illicitement, ayant pour objectif de faire cesser la voie de fait issue du déplacement illicite. Ce mécanisme est ordonné dès lors que le déplacement illicite est constaté par les autorités de l'État de refuge, c'est-à-dire lorsqu'il a eu lieu en violation d'un droit de garde. Le gardien au sens de la convention de La Haye est celui qui exerce l'autorité parentale. En effet, en vertu de l'article 3, le déplacement ou le non-retour est illicite “lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement”. D'autre part, en vertu de l'article 5, “le droit de garde comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence”. La violation du droit de garde est caractérisée, et le déplacement illicite, chaque fois qu'un parent décide unilatéralement de déplacer l'enfant dans un pays étranger alors que l'autre parent ou un tiers détient l'autorité parentale. Cela signifie a contrario et de manière d’ailleurs assez rigoureuse qu’en cas de déplacement décidé unilatéralement par le parent exerçant l'autorité parentale, il n'y aurait pas de violation du droit de garde par le parent titulaire, à défaut d'autorité parentale d’un seul droit de visite (CE sect., 30 juin 1999 – CEDH 2 sept. 2003, Guichard c/ France, n° 56838/00).

En l’espèce, le raisonnement des juges du fond s’appuyait sur le principe de droit interne d’exercice conjoint de l’autorité parentale, en sorte que le déplacement de l’enfant, sans l’accord du père, devait nécessairement être jugé illicite. Cependant, en droit comparé, dont la Haute cour, contrairement aux juges d’appel, tient compte, il n'est pas rare de trouver des législations qui n'accordent en cas de séparation des parents qu'un droit de garde exclusif à la mère de l'enfant. C’est notamment le cas de la législation marocaine. C’est donc bien en conformité avec la législation marocaine applicable que la mère avait pu déplacer l'enfant sans solliciter l'accord du père. Ainsi, alors que la cour d'appel avait écarté l'application de la loi marocaine au profit de la loi française au motif de sa contrariété avec le principe de l'égalité des parents dans l'exercice de leur autorité parentale, principe protégé par l'ordre public international français et le protocole additionnel n° 7 de la convention européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation condamne cette analyse consistant à fonder l’illicéité du déplacement sur le seul contenu de loi marocaine relative à la dévolution parentale ; pour se prononcer sur le caractère illicite du déplacement, les juges devaient seulement rechercher si la mère avait le droit de modifier seule le lieu de résidence de l’enfant pour le fixer dans un autre État.

En effet, selon la Cour, l’atteinte à la conception française de l’ordre public international qui protège l'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale ne pouvait être en l’espèce caractérisée : le caractère discriminatoire de la loi marocaine qui, en cas de séparation des époux, octroie par priorité la dévolution de l'autorité parentale à la mère, disparaît dès lors que cette loi offre au juge le pouvoir de modifier la dévolution légale dans l'intérêt de l'enfant, ce qui est le cas de la loi marocaine, qui ne prive pas irrémédiablement le père de la possibilité de faire reconnaître en justice son droit de garde sur l'enfant (Code de la famille marocain, art.170 alinéa 2). Dans le même sens, ni la Cour européenne des droits de l'homme ni la Cour de justice de l'Union européenne ne constatent de violation des droits fondamentaux en l'absence d'attribution automatique de la garde conjointe aux deux parents, tant que le parent non titulaire peut saisir les juridictions pour obtenir ce droit de garde (CJUE 5 oct. 2010, aff. C/400-10 – CEDH, 2 sept. 2003, n° 56838/00, Guichard c/ France). 

Civ. 1re, 7 déc. 2016, n°16-21.760

Références 

■ Code de la famille marocain

Article 170 

« Le dévolutaire de la garde recouvre son droit lorsque l’empêchement qui lui interdisait de l’exercer est levé. Le tribunal peut reconsidérer la dévolution de la garde dans l’intérêt de l’enfant. »

Article 171

« La garde est confiée en premier lieu à la mère, puis au père, et puis à la grand-mère maternelle de l’enfant. A défaut le tribunal décide en fonction des présomptions dont il dispose, à l’effet de protéger l’enfant, d’attribuer la garde à l’un des proches parents les plus aptes à l’assumer, tout en assurant à l’enfant gardé un logement approprié, au même titre que l’obligation de pension alimentaire. »

■ Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Protocole additionnel n° 7 

Article 5

« Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche pas les Etats de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants. »

■ Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants

Article 1er

« La présente Convention a pour objet :

a) d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ; 
 b) de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant. »

Article 3

« Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite :

a) lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et 

b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet État. »

Article 5

« Au sens de la présente Convention :

a) le « droit de garde » comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ; 

b) le « droit de visite » comprend le droit d'emmener l'enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle. »

■ CE sect., 30 juin 1999, n° 191232, Lebon ; D. 2000. 1, note F. Boulanger ; ibid. 163, obs. C. Desnoyer ; Rev. crit. DIP 2000. 641, étude S. Corneloup et V. Corneloup ; RTD civ. 1999. 829, obs. J. Hauser

■ CEDH 2 sept. 2003, Guichard c/ France, n°56838/00

■ CJUE 5 oct. 2010, aff. C/400-10D. 2010. 2516, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2010. 482, Pratique A. Boiché ; RTD civ. 2010. 748, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 2011. 115, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2010. 927, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; ibid. 2011. 173, chron. L. Coutron

 

Auteur :M. H.


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