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[ 17 décembre 2013 ] Imprimer

Droit de la famille

Déplacement international d’enfant : conditions du retour dans le pays d’origine

Mots-clefs : Enlèvement international d’enfant, Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, Intérêt supérieur de l’enfant, Droit au respect de la vie privée et familiale, Ingérence injustifée

L’État letton commet une ingérence injustifiée dans le droit au respect de la vie privée et familiale du parent ayant déplacé son enfant illégalement en ordonnant son retour dans son pays d’origine sans avoir pris en compte l’intérêt de ce dernier qui s’y opposait.

Une ressortissante lettone résidant en Australie a eu un enfant hors mariage avec un Australien. Le certificat de naissance de l’enfant ne précisait pas le nom du père. La femme a décidé de quitter l’Australie avec sa fille, âgée de plus de trois ans, pour aller vivre en Lettonie. Le père présumé a saisi le tribunal australien qui a reconnu sa paternité et l’exercice conjoint de l’autorité parentale depuis la naissance de l’enfant.

Les autorités australiennes ont alors saisi les autorités lettonnes d’une demande de retour de l’enfant en application des dispositions de la Convention de La Haye relative à l’enlèvement international d’enfants.

Les juridictions lettonnes ont estimé que le déplacement de l’enfant depuis l’Australie vers la Lettonie était illégal et ont ordonné son retour en Australie. En effet, les droits du père ont été reconnus de manière rétroactive, la mère ne pouvait donc seule décider de ce déplacement.

À la suite de cette décision, la mère s’est opposée à ce retour en Australie arguant d’un risque de traumatisme pour son enfant, risque qu’elle avait fait évaluer par un expert auquel elle avait eu personnellement recours.

Le père, quant à lui, a procédé lui-même au retour de l’enfant et a exercé seul ses droits parentaux.

C’est dans ce contexte que la mère a saisi la Cour européenne des droits de l’homme s’estimant victime d’une atteinte à son droit au respect de la vie privée (Conv. EDH, art. 8) du fait de la décision lettone ordonnant le retour de sa fille en Australie.

La Cour reprend les dispositions de l’article 8 et indique qu’il y a bien eu ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale de la mère. En effet, le fait d’ordonner le déplacement d’un enfant porte nécessairement atteinte à la vie privée et familiale. La Cour poursuit donc en étudiant si les conditions dans lesquelles une ingérence est possible ont été respectées (à savoir : une ingérence prévue par la loi, et poursuivant un but légitime, et la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique).

En l’espèce, la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants prévoit cette ingérence (Conv. La Haye, art. 10 et 11). La Cour souligne également qu’elle est justifiée par un but légitime qui est la protection tant des droits du père que ceux de l’enfant.

Pour ce qui est de la condition de nécessité de l’ingérence, la Cour affirme que les dispositions de la Convention de La Haye doivent s’interpréter à la lumière des exigences que pose cette Convention, à savoir, la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, elle procède à la recherche du juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu comme elle l’avait déjà fait dans des cas similaires (CEDH 6 déc. 2007, Maumousseau et Washington c. France et CEDH 6 juill. 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse).

Après cet examen, la Cour réaffirme le principe selon lequel le retour rapide de l’enfant dans le pays du lieu de résidence habituelle ne saurait être ordonné de façon mécanique ou automatique, comme elle l’avait déjà énoncé dans l’arrêt Neulinger et Shuruk c. Suisse. Cette exigence implique donc un examen approfondi de l’ensemble de la situation de l’enfant concerné de la part des États, qui constitue pour la Cour une « obligation procédurale particulière ».

En l’espèce, cette dernière considère que les juridictions lettonnes n’ont pas procédé à cet examen en refusant la prise en compte d’une expertise fournie par la mère qui attestait d’un danger psychologique pour l’enfant en cas de retour en Australie. Pour la Cour, le caractère non contradictoire de cette expertise ne suffit pas à dispenser les juges de l’examiner effectivement. Il y a donc ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée et familiale de la mère.

CEDH 26 nov. 2013, X c. Lettonie, no 27853/09

Références

■ CEDH 6 déc. 2007, Maumousseau et Washington c. France, n°39388/05.

■ CEDH 6 juill. 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, n°41615/07.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, 

à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ Convention de La Haye du 25 octobre 1980

Article 10

« L'Autorité centrale de l'État où se trouve l'enfant prendra ou fera prendre toute mesure propre à assurer sa remise volontaire. »

Article 11

« Les autorités judiciaires ou administratives de tout État contractant doivent procéder d'urgence en vue du retour de l'enfant.

Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative saisie n'a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l'Autorité centrale de l'État requis, de sa propre initiative ou sur requête de l'Autorité centrale de l'État requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. Si la réponse est reçue par l'Autorité centrale de l'État requis, cette Autorité doit la transmettre à l'Autorité centrale de l'État requérant ou, le cas échéant, au demandeur. »

 

Auteur :C. D.


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