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Droit des obligations
Des avantages du recours personnel de la caution contre le débiteur principal
Dans deux arrêts rendus le 4 avril 2024, la première chambre civile souligne l’intérêt pour la caution d’exercer un recours personnel plutôt que subrogatoire contre le débiteur principal, après paiement du créancier.
Civ. 1re, 4 avr. 2024, n° 22-23.040 et 22-18.822
Le droit antérieur à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 distinguait les recours avant paiement, soit ceux susceptibles d’être exercés avant que la caution n’ait payé le créancier, de ceux exercés postérieurement au paiement (C. civ., anc. art. 2309 et 2316). Désormais, la caution n’est plus investie que des seuls recours après paiement, qui sont au nombre de deux. La caution qui a payé le créancier à la place du débiteur ne jouit en effet que de deux recours possibles, quoique leur cumul soit admis (Civ. 1re, 29 nov. 2017, n° 16-22.820). Le premier est personnel. Prévu par l’article 2308 du Code civil, il permet à la caution d’obtenir du débiteur principal plus que ce qu’elle aura effectivement payé au créancier, le texte lui permettant de recouvrer le paiement non seulement de la somme payée au créancier mais également des intérêts moratoires produits par cette somme, courant de plein droit à compter du paiement, ainsi que des frais exposés à la fois dans le cadre de ses rapports avec le créancier que dans celui du recouvrement de sa créance auprès du débiteur. En outre, à la faveur de son recours personnel, la caution peut obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice éventuellement subi du fait du paiement. En pratique pourtant, ce recours est généralement délaissé au profit du recours dit subrogatoire, prévu par l’article 2309 du Code civil. Une raison à cela : alors que le recours personnel est purement chirographaire, le recours subrogatoire, qui n’est rien d’autre qu’une application au cautionnement des règles gouvernant la subrogation personnelle, présente l’avantage de permettre à la caution de « chausser les bottes du créancier ». La caution peut ainsi exercer tous les droits dont il jouissait et, en particulier, jouir des sûretés dont il bénéficiait. Ce recours permet également de transmettre à la caution, au titre de la subrogation opérée par le paiement du créancier, toutes les actions contre le débiteur principal (action résolutoire), ainsi que les actions contre les tiers (action en responsabilité). Le principal intérêt du recours subrogatoire est donc de permettre à la caution de bénéficier de l’ensemble des droits et accessoires dont était titulaire le créancier et en particulier des sûretés constituées à son profit. Reste que le recours subrogatoire n’est pas sans inconvénients. Il est non seulement limité dans son quantum aux sommes effectivement payées par la caution au créancier (pas de subrogation sans paiement), mais une subrogée dans les droits du créancier, la caution s’expose également à se voir opposer toutes les exceptions que le débiteur était autorisé à opposer à ce dernier. D’où l’intérêt pour la caution de privilégier le recours personnel, ce dont témoignent les deux décisions rapportées.
Dans la première affaire (pourvoi n° 22-23.040), une banque prête des fonds à un emprunteur, le prêt consenti étant garanti par un contrat de cautionnement. À la suite de la défaillance de l’emprunteur, la banque actionne la caution, qui règle les 9 échéances impayées, puis le solde des sommes restant dues au titre du prêt. Subrogée dans les droits du créancier, la caution prononce alors la déchéance du terme et réclame le remboursement immédiat de la totalité de la dette. Arguant que la déchéance du terme a été irrégulièrement prononcée en cause d’appel, le débiteur soutient devant la Cour de cassation que la subrogation légale transfère à la caution tous les droits dont jouissait le créancier au titre du prêt, à l’exception de la faculté de prononcer la déchéance du terme. Au visa des articles 1251, 3°, et 1252 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation accueille le pourvoi. Elle juge que « la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu'il a payé, la créance et ses accessoires, à l'exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier lesquels incluent la faculté pour le prêteur d'exiger le remboursement anticipé de toutes les sommes restant dues au titre du prêt en cas de non-paiement à son échéance par l'emprunteur d'une somme devenue exigible au titre du contrat de prêt ». Dit autrement, la faculté de prononcer la déchéance du terme constituerait non pas un accessoire de la créance mais un droit exclusivement attaché à la personne du créancier, de sorte que la caution ne pourrait pas en bénéficier. La justification de la solution ne va pas de soi. La première chambre civile semble la puiser dans l’adage nul n’est censé subroger contre soi-même. Cependant, si l’on peut admettre qu’en cas de subrogation partielle, une caution ne puisse prononcer la déchéance du terme, il ne devrait pas en aller de même dans l’hypothèse de l’espèce où la caution a réglé l’intégralité des sommes. En effet, lorsque la caution n’a payé que partiellement le créancier, celui-ci conserve sa qualité de créancier. Son paiement partiel fait ainsi naître un conflit d’intérêts entre le subrogeant (créancier) et le subrogé (caution), conflit que le Code civil tranche en faveur du subrogeant. En l’espèce, si la banque était demeurée à ce titre créancière, l’on comprendrait que la caution ne puisse provoquer la déchéance du terme. Toutefois, l’arrêt précise que la caution a payé au créancier la totalité de la dette. La justification de la solution par le prisme de la subrogation partielle ne tient pas. En outre, une explication alternative peut difficilement être avancée, dès lors qu’on peine à percevoir l’intérêt de maintenir entre les mains de celui qui n’est plus créancier le pouvoir de prononcer la déchéance du terme, tandis que celui qui est devenu créancier ne dispose pas de cette faculté. En tout état de cause, en refusant d’identifier la faculté de prononcer la déchéance du terme comme un accessoire transmissible de la créance née du contrat de prêt, la première chambre civile empêche la caution de pouvoir y prétendre au titre de la subrogation personnelle légale dont elle marque ainsi une limite importante. Concrètement, la caution se trouve donc invitée à exercer son recours personnel, qui présente l’avantage d’être étranger aux exceptions propres ou rattachées au mécanisme de la subrogation.
La seconde affaire (pourvoi n° 22-18.822) mettait aux prises une caution et un couple d’emprunteurs. Ces derniers font l’objet d’une procédure de surendettement, au terme de laquelle un plan global, prévoyant un échelonnement de la dette cautionnée, est adopté. Après avoir mis les emprunteurs en demeure de payer puis, en l’absence de paiement, prononcé la déchéance du terme, le créancier appelle la caution en paiement. Celle-ci procède au règlement et se retourne contre les débiteurs, qui lui opposent le bénéfice de l’échelonnement de la dette. Considérant que la déchéance du terme prononcée par la banque est irrégulière en sorte que la caution ne peut s’en prévaloir, la cour d’appel rejette la demande en remboursement de la caution. La cassation est prononcée pour deux raisons. D’une part, il n’était pas ici question, contrairement à ce qu’a retenu la cour d’appel, de déchéance du terme. Loin d’accélérer la dette à l’égard du créancier, la mesure adoptée avait au contraire pour effet d’en proroger le terme. D’autre part, la cour d’appel faisait fi du fait que la caution n’exerçait pas le recours subrogatoire mais le recours personnel. L’exercice du premier aurait justifié que la caution fût soumise à la même discipline que le créancier, et donc au plan de surendettement du débiteur principal. La mise en œuvre effective du second permettait au contraire à la caution d’exercer son propre droit, et non ceux qu’elle a reçus du créancier. Il en résulte que le plan de surendettement convenu ne lui était pas opposable, et qu’elle était donc en droit d’obtenir le remboursement immédiat des sommes payées au titre du prêt. D’où l’intérêt du recours personnel qui, comme le traduisent les deux décisions commentées, découle de la notion même de garantie : le cautionnement est une faveur accordée à un tiers, laquelle ne doit pas conduire à transformer la caution en codébiteur, ce qui suppose de permettre à celle-ci de se retourner contre le débiteur principal sans les limites et exceptions tirées de ses rapports avec le créancier.
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