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Procédure pénale
Des conditions de détention indignes n’empêchent pas la détention provisoire
Pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, des conditions de détention pouvant porter atteinte à la dignité de la personne peuvent engager la responsabilité de la puissance publique mais ne sauraient constituer un obstacle légal à la détention provisoire.
En l’espèce, un homme condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour des faits de viols et agressions aggravés interjette appel le 31 janvier 2019. Il présente une demande de mise en liberté en se basant sur « le non-respect des normes d’occupation des cellules fixées par l’administration pénitentiaire » et sur son état de santé qui serait incompatible avec le maintien en détention. Sa demande est rejetée par la chambre de l’instruction le 19 mars 2019.
Pour refuser la mise en liberté, la chambre de l’instruction se fonde sur différents éléments. Elle juge tout d’abord que la condamnation de l’intéressé à une peine de réclusion criminelle constitue un élément nouveau pouvant fonder la détention provisoire. Également, elle indique que ses liens avec un pays étranger en raison de son mariage peuvent laisser craindre une fuite à l’étranger. Elle ajoute un risque de renouvellement des faits, alors que les infractions pour lesquelles le requérant a été condamné sont aggravées en raison de la minorité des victimes. Enfin, elle estime que l’état de santé du requérant n’est pas incompatible avec son incarcération, notamment puisque ce dernier bénéficie d’un traitement médical et qu’il peut être suivi au sein de la détention.
Un pourvoi est formé. Il est rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui décide que « les juges ont justifié leur décision, dès lors qu’une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et maintien en détention provisoire ».
Pour mémoire, la détention provisoire ne peut être ordonnée que si la personne encourt une peine criminelle, une peine correctionnelle supérieure ou égale à 3 ans ou si elle a violé les obligations de son contrôle judiciaire. Ici, la chambre de l’instruction est compétente pour la demande de mise en liberté du requérant puisque ce dernier a interjeté appel et que sa condamnation n’est ainsi pas définitive. L’article 144 du Code de procédure pénale prévoit les six objectifs pour lesquels la détention provisoire peut être ordonnée. Est notamment prévue la nécessité de « mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement », sur laquelle la solution de la Chambre criminelle semble ainsi fondée.
La solution paraît étonnante en l’espèce puisque la demande formulée se fondait sur la possible atteinte à la dignité de la personne détenue. Pour autant, une telle solution concernant la détention provisoire a été précédemment retenue (Crim. 29 févr. 2012, n° 11-88-441). La Cour de cassation a déjà pu, en effet, s’appuyer sur l’absence d'éléments suffisamment graves pour mettre en danger la santé physique ou mentale de la personne détenue pour justifier le refus d’une chambre de l’instruction d’accorder une remise en liberté.
La Cour de cassation opère ainsi une distinction entre la dignité et la santé des détenus. Si, dans le cas d’espèce, l’état de santé du requérant avait été incompatible avec son maintien en détention, sa demande de mise en liberté aurait dû être acceptée (C. pr. pén., art. 147-1). Ici, le requérant ne démontre pas que son état ne lui permet pas d’être incarcéré. De plus, ce dernier se plaint du non-respect par l’administration pénitentiaire des normes d’occupation des cellules. Ainsi, selon la Cour de cassation, seule la santé semble pouvoir conduire à une remise en liberté, au grand dam de la dignité…
Pour adoucir cette solution, la chambre criminelle rappelle que des conditions de détention pouvant porter atteinte à la dignité des personnes détenues peuvent engager la responsabilité de l’État. Cette solution est également retenue par la Cour européenne des droits de l’homme qui a pu condamner les États pour un manque de place en cellule (CEDH 8 janv. 2013, Torreggiani et a. c/ Italie, n° 43517/09 ; CEDH 7 avr. 2009, Branduse c/ Roumanie, n° 6586/03) mais également pour une surpopulation carcérale en général (CEDH 25 avr. 2013, Canali c/ France, n° 40119/09).
Des conditions de détention pouvant porter atteinte à la dignité de la personne détenue ne semblent ainsi pas être un motif suffisant pour pouvoir justifier une mise en liberté dans le cas d’une détention provisoire. Là où la santé peut conduire à une remise en liberté, la dignité ne peut permettre que d’engager la responsabilité d’un État.
Crim. 18 sept. 2019, n° 19-83.950
Références :
■ Encyclopédie pénale – Rubrique : Contrôleur général des lieux de privation de liberté – Statut et missions du contrôleur général des lieux de privation de liberté – Éric SENNA – Juin 2018
■ Fiches d’orientation Dalloz : Détention provisoire (Contentieux) ; Détention provisoire (Conditions)
■ Convention européenne des droits de l’homme
Art. 3 - Interdiction de la torture « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
■ Crim. 29 févr. 2012, n° 11-88.441 P : D. actu, 17 mars 2012, obs. Léna ; AJ pénal 2012. 471, note E. Senna ; RSC 2012. 879, obs. X. Salvat
■ CEDH 25 avr. 2013, Canali c/ France, n° 40119/09 : D. 2013. 1138, obs. Léna ; AJ pénal 2013. 403, obs. Céré
■ CEDH 8 janv. 2013, Torreggiani et a. c/ Italie, n° 43517/09 : D. actu 24 janv. 2013, obs. Léna ; D. 2013. 1304, obs. Céré, Herzog-Evans et Péchillon ; AJ pénal 2013. 361, obs. Péchillon
■ CEDH 7 avr. 2009, Branduse c/ Roumanie, n° 6586/03: D. 2009. 2448, obs. F. G. Trébulle ; RSC 2009. 661, obs. D. Roets
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