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[ 17 mars 2023 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Des limites de l’invocation du droit à la preuve pour produire une vidéosurveillance illicite

Les enregistrements confirmant des soupçons de vols à l’encontre d’un salarié, issus d’un système de vidéosurveillance illicite, ne sont pas indispensables à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur dès lors que ce dernier dispose d’un autre moyen de preuve qu’il n’a pas versé aux débats. 

Soc 8 mars 2023, n° 21-17.802

Depuis l’arrêt Manfrini, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que « l’illicéité d’un moyen de preuve, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats » (Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523 ; Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263). Toutefois l’admission d’une telle pièce doit rester exceptionnelle, comme l’atteste l’arrêt rendu le 8 mars 2023. En l’espèce, une salariée engagée en qualité de prothésiste ongulaire est licenciée pour vol. Pour établir la faute, l’employeur fait état de différents CD et constats de vidéosurveillance. La cour d’appel écarte ces éléments de preuve aux motifs d’une part qu’ils sont issus d’un dispositif illicite, d’autre part qu’ils ne sont pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve. Appréciant ensuite les autres pièces versées aux débats, elle considère la faute non établie et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur se pourvoi en cassation. Il estime la preuve licite et à défaut, il fait valoir que le droit à la preuve justifiait tout de même la production de celle-ci. La Cour de cassation rejette le pourvoi tout en apportant d’utiles renseignements sur les différentes étapes du raisonnement.

Les juges du fond doivent tout d’abord se prononcer sur la licéité de la preuve. L’employeur a certes le pouvoir de surveiller l’activité de ses salariés mais il n’est pas libre d’utiliser tous les moyens qu’il estime efficace. Différentes règles encadrent en particulier l’usage de la vidéosurveillance. Certaines figurent dans le Code du travail. C’est notamment le cas de l’article L. 1121-1 qui exige que l’employeur puisse justifier toute restriction aux droits et libertés des salariés. D’autres figurent dans des textes qui ne sont pas propres aux relations de travail, comme la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 (n° 78-17) ou le Code de sécurité intérieure.

La Cour de cassation approuve ici l’application par la cour d’appel de ces différentes règles sans toutefois bien expliquer leur articulation. La Cour régulatrice énonce que les juges doivent « s’interroger sur la légitimité » du contrôle opéré par l’employeur. En effet, dès lors que le système choisi porte atteinte à la vie privée ou le droit à l’image – comme c’est le cas d’un système de vidéosurveillance – l’article L. 1121-1 du Code du travail a vocation à jouer. La Cour régulatrice ne mentionne pas expressément ce texte mais on en retrouve l’idée lorsqu’elle précise l’office du juge. Il doit « vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi » (pour une illustration : Soc. 23 juin 2021, n° 19-13.856).

Reste qu’en l’espèce, la difficulté ne concernait pas vraiment ces étapes de contrôle. On se situait sur un autre terrain : le non-respect par l’employeur des différentes règles encadrant tout recours à une vidéosurveillance. Ainsi la Cour relève que l’employeur n’avait informé la salariée ni des finalités du dispositif de vidéosurveillance ni de la base juridique qui le justifiait, violant ainsi l’article 32 de la loi de janvier 1978. En outre, il n’avait pas sollicité l’autorisation préfectorale préalable exigée lorsqu’une vidéosurveillance est mise en place dans des établissements ouverts au public, contrevenant aux articles L. 223-1 et s. du Code de la sécurité intérieur. Opérant un contrôle plein et entier, la Cour régulatrice approuve les juges du fond d’en avoir déduit que les enregistrements litigieux constituaient un moyen de preuve illicite. L’argument de l’employeur tiré d’un défaut de base légale selon lequel les juges n’auraient pas vérifié si l’enregistrement était justifié par un objectif légitime – ici la sécurité des personnes et des biens – ne pouvait pas prospérer puisque ce n’était pas cette règle-là qui était en cause.

La Cour de cassation examine ensuite le second argument de l’employeur fondé sur le droit à la preuve. Certes, l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne plus nécessairement son rejet des débats. Le juge doit apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Là encore la Cour précise le rôle du juge. Ce contrôle s’effectue « lorsque cela lui est demandé ». Les juges du fond n’ont donc pas à relever l’argument d’office. On retrouve ensuite la même formule que celle retenue dans des arrêts précédents. Il faut mettre en balance les différents droits en cause, ici le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve. La production d’un moyen de preuve illicite doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve et l’atteinte apportée à la vie personnelle doit être strictement proportionnée au but poursuivi. Or en l’espèce les soupçons de vol résultaient d’un audit mis en place par l’employeur en juin 2013 mettant en évidence des irrégularités concernant l’enregistrement et l’encaissement en espèces des prestations effectuées par la salariée dans le bar à ongle. L’employeur faisait état de cet audit dans la lettre de licenciement et pourtant ne le produisait pas dans le litige l’opposant à sa salariée. Aucune information n’est donnée sur les raisons qui ont conduit l’employeur à ne pas produire ce document. Mais la cohérence de l’argumentaire de l’employeur était forcément prise à défaut. Il ne pouvait pas prétendre que la preuve résultant de son système illicite de vidéosurveillance était « indispensable » alors qu’il détenait d’autres éléments et ne les produisait pas. Dès lors les juges ont statué en examinant les autres éléments de preuve apportés et ont estimé que le vol n’était pas établi. Par conséquent, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. L’employeur cherchait à montrer que puisque ces autres éléments de preuve n’étaient pas suffisants, cela démontrait que la vidéosurveillance était « indispensable ». Il confondait alors deux choses : d’un côté le caractère « indispensable » d’un moyen de preuve illicite pour pouvoir tout de même en faire état et de l’autre, le contrôle classique de la faute du salarié. S’il avait fait état de ce fameux audit, les juges du fond en aurait pris compte lors de l’appréciation de la faute et peut-être estimé qu’elle était établie. La production des enregistrements n’aurait alors pas été nécessaire. Il n’est évidemment pas loisible au demandeur de choisir de ne produire que des éléments non probants pour pouvoir se prévaloir d’une preuve sans doute convaincante mais obtenue selon un procédé illicite.

Références :

■ Soc. 25 nov. 2020 n° 17-19.523 D. 2021. 117, note G. Loiseau ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger ; ibid. 170, étude R. Salomon ; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi ; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton ; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne ; Légipresse 2021. 8 et les obs. ; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier.

■ Soc. 10 nov. 2021 n° 20-12.263 : D. 2021. 2093 ; Dr. soc. 2022. 81, obs. P. Adam ; Dalloz IP/IT 2022. 157, obs. E. Daoud et I. Bello.

■ Soc. 23 juin 2021, n° 19-13.856 D. 2021. 1290 ; Dr. soc. 2021. 843, obs. P. Adam.

 

Auteur :Chantal Mathieu


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