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Droit commercial et des affaires
Désignation d’un expert par le juge-commissaire dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif en cours
Mots-clefs : Entreprise en difficulté, Liquidation judiciaire, Responsabilité du dirigeant, Action pour insuffisance d’actif (ouverte), Pouvoir du juge-commissaire, Désignation d’un expert, Demande, Recevabilité (oui)
Quand bien même le liquidateur aurait agi en responsabilité civile pour insuffisance d’actif contre le dirigeant, cela ne remet pas en cause le pouvoir dévolu au juge-commissaire de désigner à tout moment un technicien pour une mission qu’il détermine, cette désignation pouvant tout à fait intervenir après que l’action en responsabilité ait été intentée.
Le deuxième alinéa de l’article L. 621-9 du Code de commerce, innovation de la loi de sauvegarde des entreprises no 2005-845 du 26 juillet 2005, dispose en des termes très généraux que « Lorsque la désignation d'un technicien est nécessaire, seul le juge-commissaire peut y procéder en vue d'une mission qu'il détermine (…) ». Ce texte, qui a été conçu pour la sauvegarde mais qui est également applicable au redressement et, pour ce qui nous intéresse ici, à la liquidation (sur renvoi de l’article L. 641-11 du Code de commerce), ne pose comme seule condition que la nécessité, sans plus de précision. Il n’est donc pas surprenant que la chambre commerciale ait eu à intervenir pour délimiter plus clairement la portée de la faculté octroyée exclusivement au juge-commissaire de nommer un expert.
En l’espèce, une société fut mise en redressement judiciaire, redressement qui fut ensuite converti en liquidation judiciaire. Le liquidateur décida d’assigner le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif. Plus d’un an après, il demanda au juge-commissaire la désignation d’un expert. Se posait la question de savoir si cette nomination était possible malgré l’action en responsabilité en cours contre le dirigeant. Le juge-commissaire y fit droit à la demande du liquidateur en désignant par ordonnance un technicien avec pour mission de déterminer la date de cessation des paiements et d’examiner les conditions dans lesquelles s’était déroulée l’exploitation. Le dirigeant forma alors un recours contre cette ordonnance.
Le 27 novembre 2014, la cour d’appel d’Orléans a jugé recevable le recours du dirigeant et a rejeté la demande de nomination d’un expert, se prononçant ainsi en faveur d’une conception restrictive de l’article L. 621-9 du Code de commerce. Trop restrictive ? On pouvait légitimement se poser la question compte tenu de la portée générale qu’a semble-t-il voulu conférer à ce texte le législateur. La Cour de cassation a tranché en ce sens puisqu’elle a, pour les motifs que nous verrons, annulé la décision des juges du fond.
Selon les termes de l’arrêt d’appel, le pouvoir du juge-commissaire de désigner un technicien « cesse lorsque l'action [en responsabilité] a été engagée devant le tribunal, le rapport du technicien n'étant plus destiné à l'information du mandataire ». On comprend alors le raisonnement suivi par les magistrats : dans la mesure où l’expert est chargé d’une mission d’investigation et d’information du liquidateur en vue d’établir d’éventuelles fautes de gestion du dirigeant, il n’est pas absurde d’en déduire que cette mission doit être menée avant que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif soit intentée. Et a fortiori de considérer que la nomination de l’expert doit, si elle est demandée par le liquidateur, constituer un préalable à l’exercice d’une telle action.
Mais cette solution peut paraître juridiquement contestable car fondé sur une interprétation très librement restrictive de l’article L. 621-9 du Code de commerce, qui rappelons-le ne pose comme seule limite à la désignation d’un expert que l’exigence d’une nécessité, condition qui relève de l’appréciation souveraine et exclusive du juge-commissaire. Peu importe en vérité que la nomination soit demandée par le liquidateur après l’ouverture de la procédure visant à mettre en œuvre la responsabilité du dirigeant. C’est ce qu’énonce de manière non équivoque la Cour de cassation : « l'exercice par le liquidateur d'une action en responsabilité civile pour insuffisance d'actif ne prive pas le juge-commissaire de son pouvoir de désigner à tout moment un technicien en vue d'une mission qu'il détermine ».
Qu’en est-il de la déloyauté retenue par les juges du fond au soutien de leur position ? Selon eux, le fait que la demande de nomination intervienne quasiment un an et demi après l’ouverture de l’action en responsabilité témoigne d’une manœuvre de la part du liquidateur tendant uniquement à « sauver une procédure manifestement vouée à l’échec en obtenant à bon compte les éléments de preuve qui font défaut », ce qui aurait pour effet de détourner les dispositions de l’article L. 621-9 du Code de commerce de leur objectif premier, qui est d’informer le mandataire judiciaire préalablement à toute action contre le dirigeant pour lui permettre de se prononcer sur l’opportunité d’une telle action.
Cependant, il paraît excessif de qualifier cette pratique, aussi tardive soit-elle, de déloyale dans la mesure où son seul but reste de réunir des éléments de preuve afin d’établir la défaillance du dirigeant dans sa gestion et son implication dans l’état de cessation des paiements de la société. A tout le moins, on peut bien admettre qu’elle trahit une impatience relativement maladroite de la part du liquidateur de voir l’action en responsabilité aboutir, ce qui ne l’empêche pas d’être juridiquement tout à fait fondée. En outre, le juge-commissaire demeure libre d’apprécier souverainement l’opportunité - et donc la nécessité - de la nomination et de déterminer l’étendue de la mission de l’expert. Le tribunal a quant à lui la faculté de débouter le liquidateur de sa demande de condamnation du dirigeant pour insuffisance d’actif. Ce « double contrôle » assure un encadrement strict de la mission du technicien et de ses suites, rendant finalement négligeable la question de la loyauté du comportement du liquidateur.
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