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Droit des obligations
Désordre de construction : absence de choix par le responsable d’une réparation en nature du préjudice subi
En application de l’article 1792 du Code civil, l’entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci. Dès lors, le juge du fond ne peut condamner un constructeur responsable de désordres à procéder à leur reprise en nature, lorsque le maître de l’ouvrage s’y oppose.
Civ. 3e, 16 janv. 2025, n° 23-17.265
De façon traditionnelle, on distingue deux modalités de réparation : une réparation en nature et une réparation par équivalent. Une réparation en nature permet au responsable de résorber le dommage qu’il a causé, de le réduire ou de le faire disparaître pour l’avenir. Concrètement, la réparation en nature prend aussi bien la forme d’actes positifs de réparation que d’abstentions. La réparation par équivalent accorde différemment à la victime des dommages et intérêts qui dépendent de l’évaluation des préjudices réparables allégués. Concrètement, cette réparation pécuniaire se traduit par l’octroi d’une indemnisation des dommages prouvés prenant la forme soit d’un capital, soit d’une rente.
En principe, le droit de la responsabilité civile n’établit pas de hiérarchie entre ces deux modalités de réparation. De plus, d’aucuns considèrent que ce diptyque n’implique pas nécessairement d’application alternative et que les modalités de réparation peuvent ainsi se cumuler ou se combiner (v. art. 1259 du projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017 : « La réparation peut prendre la forme d’une réparation en nature ou de dommages et intérêts, ces deux types de mesures pouvant se cumuler afin d’assurer la réparation intégrale du préjudice »). Néanmoins, les modalités de la réparation sont généralement présentées sous la forme d’un diptyque distinguant la réparation en nature d’un côté et la réparation par équivalent de l’autre (v. Lisa Heinzmann, « Le choix des modalités de réparation du préjudice en droit de la responsabilité civile », Revue générale du droit, n° 53949, 2021).
Mais qui opère le choix entre l’une ou l’autre modalité de réparation ? Un libre choix est-il réellement possible dans le cas en pratique fréquent d’un désaccord des parties au procès sur la modalité de la réparation, l’une souhaitant une réparation en nature quand l’autre préfère une réparation pécuniaire. Ne convient-il pas plutôt, dans cette dernière hypothèse, de confier au juge le soin de choisir entre réparation en nature et réparation par équivalent ? C’est à cette question que répond la troisième chambre civile dans la décision rapportée.
Au cas d’espèce, un maître d’ouvrage victime de désordres de construction reprochait aux juges du fond saisis de sa demande d’indemnisation d’avoir condamné son cocontractant, en qualité d’entrepreneur, à effectuer les réparations nécessaires de la toiture endommagée alors qu’ayant fait le choix d’une réparation par équivalent, il s’opposait à ce mode de réparation. Devant la Cour de cassation, le maître de l’ouvrage excipait de l’obligation du juge de tenir compte de son refus d’une réparation en nature du désordre de construction. Au visa de l’article 1792 du Code civil, qui fonde la responsabilité de plein droit de l’entrepreneur pour les désordres de construction rendant l’ouvrage, tel que celui de l’espèce, impropre à sa destination, la Cour rappelle que l’entrepreneur ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci (Civ. 3e, 28 sept. 2005, n° 04-14.586). Et de cette impossibilité, la Cour déduit celle du juge du fond de condamner un constructeur responsable de désordres à procéder à leur reprise en nature, lorsque le maître de l'ouvrage s'y oppose.
Concernant les modalités de réparation du préjudice, la liberté de choix est doublement cantonnée. Rappelons que lorsque les parties au contrat s’accordent sur une modalité de réparation, le juge doit respecter leur choix. Ainsi, en cas de commun accord des parties sur une réparation en nature, le juge ne peut pas décider d’accorder une réparation par équivalent, et inversement (Com. 28 mai 2013, n° 12-16.861). En revanche, le désaccord des parties sur les modalités de réparation oblige le juge à trancher le litige. Ce n’est même qu’en cas de désaccord des parties que le choix de la modalité de réparation peut revenir au juge du fond, alors autorisé à choisir librement et souverainement entre réparation en nature et réparation pécuniaire. Echappant à tout contrôle du juge de cassation, cette liberté de choix du juge du fond s’exerce en outre aussi bien dans le domaine contractuel que dans le domaine délictuel. La souveraineté de ce pouvoir est encore renforcée par la liberté de choix de la mesure de réparation en nature dont le juge dispose. En effet, il peut non seulement ordonner une réparation en nature si cette modalité lui semble préférable à l’allocation de dommages-intérêts, mais également décider d’une mesure autre que celle sollicitée. Ce pouvoir n’est toutefois pas sans borne. La limite ici rappelée au principe de la souveraineté des juges du fond dans le choix de la modalité de la réparation du préjudice tient dans l’interdiction qui leur est faite d’imposer une réparation en nature à l’encontre de la volonté de la victime (Civ. 2e, 18 mars 2010, n° 09-13.376) Acquise en jurisprudence, la portée de cette solution semblait toutefois avoir été remise en cause par une décision rendue en 2015 (Civ. 2e, 16 juin 2015, n° 14-12.548), dans laquelle la Cour de cassation a approuvé les juges du fond ayant ordonné une réparation par équivalent, alors que la victime réclamait une réparation en nature, remettant ainsi en cause la règle selon laquelle la volonté de la victime est nécessairement prise en compte. La décision rapportée confirme la limite traditionnelle apportée au principe de la souveraineté des juges du fond dans le choix de la modalité de la réparation : dans l’hypothèse d’un désaccord des parties, la réparation en nature ne peut être imposée par le juge à la victime lorsque celle-ci s’y oppose. Le respect de la volonté de la victime s’impose au juge dès lors que la réparation prend la forme d’une réparation en nature. Le projet de réforme du 13 mars 2017 propose d’ailleurs une codification de cette jurisprudence en formulant l’article 1261 al. 1 de la façon suivante : la « réparation en nature ne peut être imposée à la victime ». Le rappel de l’impossibilité du juge d’imposer une réparation en nature à l’encontre de la volonté de la victime trouve ici un écho particulier eu égard au domaine dans lequel l’arrêt est rendu : en effet, le droit de la construction est traditionnellement favorable à la réparation en nature. L’analyse de la jurisprudence permet en effet de constater que la Cour de cassation incite généralement les juges du fond à privilégier la réparation en nature en cas de constructions irrégulières ou à l’origine de désordres. En ce domaine, la suppression de la source du dommage et la cessation de l’illicite se présentent en effet comme des objectifs justifiant de privilégier la réparation en nature et à limiter en conséquence la liberté de choix du juge. Cette priorité accordée à la réparation en nature n’est toutefois possible qu’à la condition, au demeurant essentielle, que la victime l’ait demandée (v. not. Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015). Ce qui permet à nouveau d’expliquer que le juge ne pouvait en l’espèce s’affranchir de la volonté de la victime des désordres de construction pour lui imposer leur réparation en nature à laquelle celle-ci s’opposait.
Références :
■ Civ. 3e, 28 sept. 2005, n° 04-14.586 : D. 2005. 2545 ; RDI 2005. 442, obs. B. Boubli ; ibid. 458, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 129, obs. P. Jourdain ; ibid. 311, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Com. 28 mai 2013, n° 12-16.861 : RTD civ. 2013. 603, obs. H. Barbier
■ Civ. 2e, 18 mars 2010, n° 09-13.376 : D. 2010. 2102, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin
■ Civ. 2e, 16 juin 2015, n° 14-12.548 : RTD civ. 2016. 107, obs. H. Barbier
■ Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015 : D. 2002. 2075, et les obs., note C. Caron ; ibid. 2507, obs. B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2002. 333, obs. T. Revet
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