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[ 16 octobre 2013 ] Imprimer

Procédure pénale

Détention provisoire : de l’importance de son délai raisonnable

Mots-clefs : Détention provisoire, Délai raisonnable

La France se voit une nouvelle fois condamnée par la Cour de Strasbourg en raison de la longueur déraisonnable de la détention provisoire. Les juridictions françaises ont omis de justifier concrètement le maintien en détention pendant 4 ans et trois mois.

En vertu du § 3 de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, il incombe aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. Refusant tout examen in abstracto, la Cour européenne des droits de l'homme retient la méthode de l'examen au cas par cas, selon les particularités de l'espèce pour rendre des décisions de conformité ou non des détentions provisoires au texte de la Convention.

Conformément à sa jurisprudence traditionnelle, la CEDH examine en premier lieu la pertinence et la suffisance des motifs pour justifier l'incarcération antérieure au jugement (gravité des faits, risque de fuite, etc.). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté.

Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (CEDH 26 juin 1991, Letellier c. France).

En l’espèce, le requérant fut interpellé et placé en garde à vue pour avoir participé, avec d’autres individus, à l’enlèvement et la séquestration d’un couple en vue de l’obtention d’une rançon, violences en réunion avec arme, viol et tentative de viol, le 15 septembre 2006. Quatre jours plus tard, il fut placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention. Cette mesure fut prolongée à plusieurs reprises pour une durée totale de quatre ans et trois mois. Constatant que le requérant n’avait pas encore comparu devant la cour d’assises à l’issue de la dernière prolongation de sa détention provisoire, la chambre de l’instruction ordonna sa remise en liberté en décembre 2010. Le requérant fut par la suite déclaré coupable des faits reprochés et condamné à six ans de réclusion criminelle par la cour d’assises en janvier 2011 et de nouveau écroué. Quelques mois plus tard, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence fit droit à une demande de mise en liberté et l’assortit d’obligations pour le requérant ; elle se référa à la durée de la détention provisoire déjà effectuée, aux garanties présentées par le requérant et, sans préjuger de la décision à intervenir en appel, au quantum de la peine prononcée en première instance. 

Tout au long de la procédure, le requérant a sollicité régulièrement sa mise en liberté et dénoncé le délai excessif de sa détention provisoire. Il se pourvut vainement en cassation pour dénoncer une violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Ayant, selon la Cour, épuisé les voies de recours interne, le requérant a saisi la Cour européenne, alléguant que sa détention provisoire avait dépassé le délai raisonnable.

L’analyse des motifs retenus dans les décisions des juridictions françaises relatives aux demandes d’élargissement du requérant permet à la Cour de conclure à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention. En l’espèce, la Cour relève que les juridictions d’instruction ont utilisé, tout au long de la procédure, des motifs relativement constants pour rejeter les demandes de mise en liberté ou ordonner la prolongation de la détention provisoire : risques de fuite, de réitération de l’infraction et de concertation frauduleuse, ainsi que trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public.

Si ces motifs peuvent paraître pertinents, la Cour reproche aux juridictions françaises de ne pas les avoir justifiés in concreto. Ainsi, la chambre de l’instruction a omis de spécifier en quoi il y avait lieu de considérer qu’un risque de fuite persistait, aucun élément d’explication concret justifiant en quoi la personnalité du requérant rendait plausible le danger de réitération de l’infraction ou encore étayant le caractère certain et actuel de l’atteinte à l’ordre public. La Cour estime en conséquence que les motifs invoqués par les autorités judiciaires n’étaient pas suffisants pour justifier le maintien en détention provisoire du requérant pendant quatre ans et trois mois.

On rappellera qu’en droit interne, en vertu de l’article 144-1 du Code de procédure pénale, « La détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ». Outre cette affirmation générique de célérité, des délais butoirs ont été institués et raccourcis au fil des différentes réformes.

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a redéfini les critères justifiant le placement en détention provisoire, afin que celle-ci ne soit ordonnée que si elle est réellement nécessaire. Cette réforme renforçait l'obligation de motivation des ordonnances de placement ou de prolongation de la détention provisoire, en exigeant que les juges démontrent sur la base des « éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure » que ladite détention constitue l'unique moyen de parvenir à l'un des objectifs énoncés par ce texte. Une telle formule avait pour objectif de faire échec à une pratique consistant à motiver les placements en détention provisoire ou leurs prolongations de manière stéréotypée par le seul renvoi à l'une des conditions prévues par l'article 144 du Code de procédure pénale et donc à mettre la France à l’abri des condamnations de la Cour européenne. Reste que la pratique ne suit pas toujours, comme le montre cet arrêt de condamnation de la France.

CEDH 3 oct. 2013, Vosgien c. France, n°12430/11

Références

■ CEDH 26 juin 1991, Letellier c. France, D. 1992. 328, obs. Renucci.

■ Code de procédure pénale

Article 144

« La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique :

1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;

2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;

4° Protéger la personne mise en examen ;

5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

6° Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;

7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle. »

Article 144-1

« La détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. 

Le juge d'instruction ou, s'il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues par l'article 147, dès que les conditions prévues à l'article 144 et au présent article ne sont plus remplies. »

 Article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à la liberté et à la sûreté

« 1) Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

 a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; 

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ; 

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; 

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ; 

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; 

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. 

2) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. 

3) Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4) Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. 

5) Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

 

Auteur :C. L.

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