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[ 7 mai 2025 ] Imprimer

Procédure pénale

Détention provisoire : l’encombrement de la cour d’assises d’appel permet une prolongation exceptionnelle

Par un arrêt du 25 février 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée quant aux modalités de prolongation d’une détention provisoire à l’encontre d’un condamné en première instance ayant interjeté appel. D’une part, la Cour énonce qu’il est possible de recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour la comparution aux fins de prolongement d’une détention provisoire d’un condamné en première instance ayant interjeté appel. D’autre part, elle précise les motifs permettant au juge de prolonger la détention provisoire sur le fondement de l’article 380-3-1 du Code de procédure pénale, qui peuvent tenir au seul encombrement de la juridiction de jugement. 

Crim. 25 févr. 2025, n° 24-86.818

En l’espèce, un mis en examen a été renvoyé devant la cour criminelle, qui l’a condamné à dix ans de réclusion criminelle et placé sous mandat de dépôt. Le condamné a interjeté appel. Par la suite, le ministère public a sollicité la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire, sur le fondement de l’article 380-3-1 du Code de procédure pénale. Le détenu a comparu par un moyen de télécommunication et le juge ordonna son maintien en détention pour une durée de six mois. Le détenu a alors formé un pourvoi en cassation. Il critique l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction par deux moyens. D’une part, il reproche sa comparution par un moyen de télécommunication, arguant que l’article 706-71 du Code de procédure pénale ne permet pas de recourir à un tel mode de comparution lorsque le juge est saisi d’une requête aux fins de prolongation de la détention provisoire d’un condamné en première instance. D’autre part, il estime que le juge ne pouvait ordonner la prolongation de la détention qu’en constatant la nécessité de la mesure. Pour le détenu, la seule impossibilité qu’une audience devant la cour d’assises d’appel se tienne dans le délai légal ne peut pas justifier la prolongation à titre exceptionnel de la détention provisoire.

La Cour de cassation écarte ces deux moyens. Facilement pour le premier tant celui-ci semblait voué à l’échec. L’article 706-71 du Code de procédure pénale est en effet applicable « au débat contradictoire prévu pour la prolongation de la détention provisoire ». Dès lors, la Cour estime que la disposition « inclut le cas d’une comparution devant le président [de la chambre de l’instruction] statuant sur une requête aux fins de prolongation à titre exceptionnel de la détention provisoire d’un accusé condamné en première instance » (§ 6). Quant au second moyen, la Cour le rejette en adoptant une interprétation stricte de l’article 380-3-1, lequel n’exige pas du juge qu’il motive sa décision au regard de critères précis. Ainsi, le président de la chambre de l’instruction, saisi sur ce fondement, peut motiver sa décision par des considérations extrinsèques au dossier. Pour autant, la Cour de cassation précise les limites de cette prolongation exceptionnelle de la détention provisoire d’un accusé condamné. Elle rappelle que la prolongation de la détention ne peut conduire à une durée de détention provisoire supérieure à la peine prononcée en première instance. De plus, elle précise que le détenu peut toujours solliciter sa mise en liberté, la chambre de l’instruction devant se conformer aux dispositions de l’article 144 du Code de procédure pénale. Si ces deux critères semblent être présentés comme des garde-fous par la Cour de cassation, ils peinent à convaincre tant ils relèvent de l’évidence. 

■ Des motifs de maintien en détention en attente de l’instance d’appel

Par principe, l’article 380-3-1 dispose que l’accusé doit comparaître dans un délai d’un an « à compter soit de l’appel, si l’accusé est détenu, soit de la date à laquelle l’accusé a été ultérieurement placé en détention provisoire ». Néanmoins, si la juridiction d’appel ne peut se réunir dans ce délai, la détention provisoire peut être exceptionnellement prolongée pour une durée de 6 mois, renouvelable une fois. De plus, ce délai de six mois est porté à un an en cas de poursuites pour crime contre l’humanité ou pour crime terroriste. Pour procéder à une telle prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, le président de la chambre de l’instruction statue par une décision « mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire » dans le délai légal. La disposition reste muette quant à d’éventuels motifs permettant de prolonger de manière exceptionnelle la détention provisoire. En l’espèce, le président de la chambre de l’instruction a décidé de prolonger la détention provisoire en raison de l’encombrement du rôle de la cour d’assises d’appel. Le juge précise que cet encombrement est dû à un nombre important de dossiers, notamment en matière de criminalité organisée, dont l’un « a produit des effets en chaîne, notamment sur l’audiencement de celui du demandeur » (§ 9). Pour sa part, le mis en cause arguait notamment du fait qu’il était resté libre jusqu’à sa comparution et sa condamnation en première instance et qu’il avait respecté son contrôle judiciaire. De plus, il disposait d’un logement et vivait avec sa compagne. En bref, le demandeur estimait présenter suffisamment de garanties de représentation pour que sa détention ne soit pas prolongée. Cet argumentaire fait écho aux critères légaux prévus par l’article 144 du Code de procédure pénale, lequel exige que la détention provisoire soit l’unique moyen d’atteindre l’un des objectifs mentionnés par ce texte. Il peut s’agir de conserver les preuves, d’empêcher une pression sur les témoins, les victimes ou leur famille, d’empêcher une concertation frauduleuse entre les suspects, de protéger la personne mise en examen, de garantir le maintien de la personne à la disposition de la justice ou encore de mettre fin à l’infraction ou au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par l’infraction. Néanmoins, l’article 380-3-1 du Code de procédure pénale ne mentionne aucun critère, pas plus qu’il n’opère de renvoi à l’article 144. 

De ce fait, la chambre criminelle de la Cour de cassation en tire les conséquences et estime que le président de la chambre de l’instruction a justifié sa décision en exposant les raisons de fait et de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire dans le délai légal. Elle confirme ainsi sa jurisprudence. Récemment, la Cour a estimé que la détention pouvait être prolongée en raison de l’encombrement du rôle et de la crise sanitaire si le juge caractérise « les diligences particulières mises en œuvre pour permettre l’examen du dossier ou en quoi les conséquences de la crise sanitaire constituaient toujours, plusieurs années après celle-ci, des circonstances insurmontables qui ont empêché d’y parvenir » (Crim. 14 juin 2023, n° 23-82.157, § 13 ; v. égal. : Crim. 2 mars 2021, n° 20-86.729). Pourtant, par le passé, la jurisprudence a pu estimer que la chambre de l’instruction ne peut « justifier la mesure de prolongation de la détention à titre exceptionnel par les difficultés récurrentes de fonction de la juridiction appelée à statuer au fond » (Crim. 2 sept. 2009, n° 09-83.950). Cette différence de solution puise sa source dans la différence de situation dans laquelle se trouve l’intéressé. La décision de 2009 se fondait sur l’article 181 qui fixe un délai de comparution devant la juridiction criminelle de première instance et permet dans le même temps de prolonger la détention provisoire de l’accusé. Or, ce texte renvoie expressément à l’article 144 et il exige dès lors du juge qu’il contrôle la légalité de la détention au regard de ses critères. Lorsque l’accusé a d’ores-et-déjà été condamné en première instance, le président de la chambre de l’instruction, saisi sur le fondement de l’article 380-3-1, n’est donc pas lié par les critères de l’article 144. Il doit seulement justifier sa décision par des raisons de fait et de droit, lesquelles peuvent être contrôlées par la Cour de cassation. En l’espèce, le juge a précisé que « la cour d’appel a mis en œuvre tous les moyens dont elle disposait pour parvenir à rétablir un audiencement conforme aux dispositions » (§ 10). La chambre criminelle estime donc que la motivation du juge satisfait aux exigences de l’article 380-3-1 du Code de procédure pénale.  

■ Des conditions de libération en attente de l’instance d’appel

Si la Cour de cassation permet au juge du fond de prolonger exceptionnellement la détention provisoire en raison de l’encombrement du rôle de la juridiction d’appel, elle précise également quels motifs justifient une libération du détenu. La Cour le précise en deux temps. D’une part, elle rappelle qu’en pareille situation, la détention provisoire « résulte d’un arrêt de condamnation qui vaut titre de détention dans la limite de la peine prononcée et après imputation de la durée de la détention provisoire déjà effectuée » (§ 14). Autrement dit, une personne condamnée en première instance n’est pas considérée comme détenue en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente du chef de raisons plausibles de la soupçonner d’avoir commis une infraction (Crim. 2 mars 2021, n° 20-86.729, § 14). Une distinction est donc opérée entre le détenu condamné en première instance et celui qui ne l’a pas encore été. En conséquence, le détenu en attente de l’instance d’appel doit être libéré de plein droit lorsque la durée totale de la détention provisoire effectuée outrepasse la durée prononcée par la juridiction de première instance. D’autre part, la Cour rappelle que l’accusé peut toujours solliciter sa mise en liberté, « la chambre de l’instruction devant statuer dans un délai de deux mois en se conformant aux dispositions de l’article 144 du Code de procédure pénale, et veiller […] à ce que la détention de l’accusé n’excède pas un délai raisonnable » (§ 14). En conséquence, même si sa détention provisoire est prolongée à titre exceptionnel, l’accusé peut toujours saisir un juge d’une demande de mise en liberté. Celui-ci devra alors contrôler la pertinence du maintien en détention à l’aune des critères prévus par l’article 144.

La solution de la Cour de cassation est conforme à l’article 380-3-1 du Code de procédure, lequel ne renvoie pas à l’article 144 du même code. De surcroît, l’article 380-3-1 puise sa source dans un amendement présenté par le Gouvernement, lequel précise dans l’exposé sommaire que « cet amendement permet ainsi de garantir le jugement en appel des accusés dans un délai raisonnable conformément aux exigences conventionnelles, tout en maintenant une certaine souplesse afin d’éviter des remises en liberté injustifiées, en particulier pour les dossiers complexes ou nécessitant un procès de grande ampleur » (Assemblée nationale, 15 nov. 2018, amendement n° 1123, Loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la Justice). La « souplesse » de la disposition est donc bien volontaire. Pour autant, le risque in concreto est que le détenu sollicite par la suite sa mise en liberté auprès de la (même) chambre de l’instruction. Il n’est pas certain que l’autorité judiciaire gagne à devoir statuer par deux fois pour un même contentieux. À l’inverse, une obligation pour le juge saisi sur le fondement de l’article 380-3-1 de motiver sa décision au regard des critères de l’article 144 aurait permis de limiter le contentieux. Une telle solution aurait supposé que la chambre criminelle opère une interprétation par analogie de l’article 380-3-1. Si celle-ci est d’ordinaire rejetée en droit pénal, elle est parfois possible lorsqu’elle est dite in favorem, c’est-à-dire favorable au mis en cause. Il en est de même « s’agissant des lois de procédure, qui sont supposées être conformes aux intérêts de la société et d’une bonne administration de la justice » (P. Bonfils, « L’interprétation par analogie (in favorem) en procédure pénale », in F. Stasiak (dir.), Histoire et méthodes d’interprétation en droit criminel, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2015, p. 151). En l’espèce, une interprétation par analogie aurait été critiquable au regard du principe d’interprétation stricte de la loi pénale (art. 111-4 C. pén.). Pour autant, celle-ci aurait été in favorem et aurait été conforme à une bonne administration de la justice, qui est par ailleurs un objectif à valeur constitutionnelle (Cons. const. 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, § 4). 

Références :

■ Crim. 14 juin 2023, n° 23-82.157 AJ pénal 2023. 409 et les obs.

■ Crim. 2 sept. 2009, n° 09-83.950 D. 2009. 2348, obs. M. Léna ; ibid. 2010. 2254, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2009. 501, obs. J. Lasserre-Capdeville

■ Crim. 2 mars 2021, n° 20-86.729 AJ pénal 2021. 167 et les obs.

■ Cons. const. 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC AJDA 2009. 2318 ; ibid. 2010. 80, étude A. Roblot-Troizier ; ibid. 88, étude M. Verpeaux ; RFDA 2010. 1, étude B. Genevois ; Constitutions 2010. 229, obs. A. Levade ; RSC 2010. 201, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2010. 66, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig

 

Auteur :Pierre Eschbach


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