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Droit des obligations
Dettes connexes : leur compensation s’impose au juge
Nées de l’exécution d’un même contrat de bail, les créances de loyers et d’indemnisation de l’inexécution de l’obligation de délivrance du bailleur sont connexes et le juge doit en ordonner la compensation.
Civ. 3e, 7 janv. 2021, n° 19-20.898
Imputant à son bailleur des manquements à son obligation de délivrance, le preneur d’un local à usage commercial avait assigné son cocontractant en indemnisation de ses préjudices. Après qu’un commandement de payer des arriérés de loyers visant la clause résolutoire eut été délivré, et l’acquisition de la clause constatée, un arrêt avait ordonné son expulsion. Le preneur demanda alors la compensation judiciaire entre sa créance indemnitaire à l’égard du bailleur et sa dette de loyers ayant entrainé la résiliation du bail. Les juges du fond rejetèrent cette demande, considérant que la compensation, « facultative pour le juge », ne justifiait pas, en l’espèce, d’être ordonnée.
Le preneur forma un pourvoi en cassation soutenant que la créance indemnitaire et la dette de loyers étaient connexes, celles-ci étant nées du même contrat de bail, ce qui obligeait le juge à ordonner la compensation.
Ce moyen est accueilli par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui rend, au visa de l’article 1291 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, un arrêt de cassation. Elle rappelle que « (l)orsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité ». Or, « pour rejeter la demande de compensation, l’arrêt retient que la compensation judiciaire sollicitée par [le locataire] entre une créance de loyers et une créance qu’elle qualifie d’indemnitaire est facultative pour le juge et qu’il n’y a pas lieu de l’ordonner. En statuant ainsi, alors que les dettes dont il était demandé la compensation judiciaire, nées de l’exécution du contrat de bail, étaient connexes, de sorte que leur compensation devait être ordonnée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La compensation est envisagée, aux articles 1347 s. du Code civil, comme un mode d’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes, lorsque celles-ci se trouvent débitrices l’une envers l’autre. S’opère alors entre elles, à certaines conditions, une compensation qui éteint les deux dettes jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives. Par exemple, si A doit 1000 euros à B, quand B doit à A 1500 euros, une compensation de ces dettes réciproques se produit pour libérer A et rendre B débiteur d’une dette réduite à 500 euros. Cette technique est d’un intérêt pratique considérable : outre la simplification des modalités de paiement que ce mécanisme permet en évitant un double transfert de fonds, elle offre au surplus au créancier la garantie d’un recouvrement certain et immédiat de sa créance, qui le soustrait à la concurrence avec les autres créanciers de son débiteur.
La contrepartie des avantages offerts par cette technique d’extinction de l’obligation réside dans la pluralité des conditions cumulatives à satisfaire pour qu’elle puisse généralement opérer : la compensation suppose en principe que les créances réciproques soient certaines, fongibles, liquides et exigibles (C. civ., art. 1347 et 1347-1 du Code civil). Rigoureux, le cumul de ces cinq caractères, déjà prévu par les textes antérieurs à la réforme de 2016, n’est toutefois pas requis en cas de connexité des dettes, comme le rappelle ici la Cour (v. pour une dernière application, Civ. 2e, 8 oct. 2020, n° 19-17.575 : « Sauf connexité des dettes »). En effet, s’il est établi, ce lien de connexité permet de compenser des dettes même dépourvues de certains caractères dont la loi fait en principe dépendre leur compensation. À l’origine issue du droit des procédures collectives, cette notion de connexité, parfois qualifiée de condition « joker » de la compensation (S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz 2020, n° 1303) a été généralisée par la jurisprudence, qui lui a au surplus conféré une valeur supérieure aux autres critères légaux puisque lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut refuser de les compenser au motif que l’une d’entre elles ne réunirait pas, tel qu’en l’espèce, les conditions de liquidité (la détermination exacte et chiffrée de son montant) et d’exigibilité (le droit du créancier d’en réclamer l’exécution immédiate).
Ainsi, à la différence de la compensation légale, la compensation de dettes connexes s’impose-t-elle au juge. Cette solution est désormais entérinée à l’article 1348-1 du Code civil. (v. aussi art. L. 622-7 C. com.). Comme le soutenait à juste titre l’auteur du pourvoi, la connexité des dettes rend indifférentes les conditions légales de liquidité et d’exigibilité des dettes, a fortiori dans l’hypothèse de l’espèce d’une compensation judiciaire (C. civ., art. 1348).
Reste à saisir la notion de connexité. En l’absence de définition légale, la notion a pris la forme d’un concept fonctionnel librement utilisé par les juges. Ressort toutefois de la jurisprudence une ligne directrice : la connexité renvoie à l’unité du rapport d’obligation d’où les dettes trouvent leur source. Ainsi sont connexes les dettes issues d’un même contrat (v. par ex. pour un bail, créance de loyers et dette de travaux de réparations, Com. 18 janv. 2005, n° 02-12.324 ; adde, Civ. 3e, 29 nov. 2018, n° 17-26.670 ; Com. 20 mars 2001, n° 98-14.124 ; Civ. 1re., 9 mai 2001, n° 98-22.664) ou d’un même ensemble contractuel (v. notam. Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724).
En l’espèce, la connexité des dettes résultait de toute évidence de l’identité de leur source contractuelle.
Nées de l’exécution d’un même contrat de bail, peu importait dès lors, pour que fût prononcée leur compensation, leur défaut de liquidité et d’exigibilité. Les juges du fond saisis ne pouvaient donc, pour ces seuls motifs que la connexité rendait inopérants, écarter la demande de leur compensation. Certes, la résistance des juges du fond peut s’entendre : il est vrai que l’exigence conjuguée de liquidité et d’exigibilité des dettes à compenser se justifie généralement par la nécessité, propre au paiement d’une dette, que celle-ci soit à la fois liquide et exigible pour que le débiteur puisse, en pratique, s’en acquitter auprès de son créancier. On peine en effet à concevoir la paiement d’une dette dont le montant, par exemple, ne serait pas précisément chiffré. Partant, le double paiement qu’opère le mécanisme de la compensation et l’effet extinctif instantané qu’il produit devrait, a fortiori, rendre incontournable la satisfaction de cette double condition. Pourtant, la connexité des dettes oblige le juge à s’en affranchir. Cette absence de liberté judiciaire en cas de dettes connexes justifie en l’espèce la cassation de la décision des juges du fond. Cependant, ils la retrouvent à défaut de la caractérisation d’un tel lien (Civ. 1re, 25 oct. 1978, n° 77-12.294), qui n’est d’ailleurs pas si souvent retenu : généralement tirée de l’unité de la source de naissance des créances, la notion de connexité fait toutefois l’objet, en jurisprudence, d’une interprétation stricte par laquelle le juge refuse de prononcer la compensation de dettes, pourtant nées d’un même rapport d’obligation, en raison de leur différence de nature (v. notam. Com. 18 déc. 2012, n° 11-17.872, excluant la compensation entre deux dettes, délictuelle et contractuelle, pourtant nées d’un même rapport synallagmatique ; adde, Com. 20 mai 1997, n° 95-15.298 : ne sont pas non plus connexes, en raison de leur nature distincte, la créance d’un associé découlant du solde créditeur de son compte d’associé et sa dette envers la société résultant de la fraction non libérée du capital social).
Références :
■ Fiche d’orientation Dalloz : Compensation
■ Civ. 2e, 8 oct. 2020, n° 19-17.575
■ Com. 18 janv. 2005, n° 02-12.324 P: D. 2005. 782, obs. A. Lienhard, note P. M. Le Corre ; ibid. 2078, obs. P. Crocq ; RTD com. 2005. 413, obs. A. Martin-Serf
■ Civ. 3e, 29 nov. 2018, n° 17-26.670: AJDI 2019. 533, obs. P. Haas ; RTD com. 2019. 488, obs. A. Martin-Serf
■ Com. 20 mars 2001, n° 98-14.124 P: D. 2001. 1391, obs. A. Lienhard ; AJDI 2002. 371, obs. C.-H. Gallet ; RTD com. 2001. 765, obs. A. Martin-Serf
■ Civ. 1re, 9 mai 2001, n° 98-22.664
■ Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724 P: D. 1996. 322, note G. Loiseau ; RTD civ. 1996. 163, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 66, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 342, obs. A. Martin-Serf
■ Civ. 1re, 25 oct. 1978, n° 77-12.294
■ Com. 18 déc. 2012, n° 11-17.872: D. 2013. 78
■ Com. 20 mai 1997, n° 95-15.298: RTD com. 1997. 682, obs. A. Martin-Serf
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