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Droit européen et de l'Union européenne
Devant la Cour européenne des droits de l’homme, trop de requêtes tue les requêtes
Mots-clefs : CEDH, Conv. EDH, Requête, Recours individuel, Abus de droit, Outrage à la Cour, Irrecevabilité
La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevables onze requêtes déposées par un avocat aux motifs, notamment, que sa conduite a constitué un outrage à la Cour et doit être considéré comme un abus du droit de recours individuel (art. 35 § 3 Conv. EDH).
M. Petrović est un avocat inscrit au barreau de Belgrade. Il a introduit onze requêtes (ici rejetées) contre la Serbie, en qualité de requérant. Par le passé, il avait fait de même dans quelques 400 requêtes dirigées contre la Serbie, la Croatie, la Slovénie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et l’ex-République yougoslave de Macédoine. Il avait également saisi la Cour de plus de 100 requêtes en tant que représentant d’autres requérants. Si ce nombre de requêtes donne le tournis, il a surtout exaspéré la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour examine ainsi, tout d’abord, les onze requêtes au regard des exigences de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel dispose que « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles ». Le requérant qui se prétend victime d’une violation de la Convention doit donc produire des indices raisonnables et convaincants de cette violation. Il doit également en être personnellement victime. En l’espèce, les griefs du requérant concernent d’autres personnes que lui-même et sont donc incompatibles avec la Convention.
L’article 35 § 3 de la Convention prévoit notamment le cas d’irrecevabilité de toute requête dite abusive. Dans son Guide pratique sur la recevabilité, la Cour définit le comportement abusif comme tout comportement d’un requérant manifestement contraire à la vocation du droit de recours établi par la Convention et entravant le bon fonctionnement de la Cour ou le bon déroulement de la procédure devant elle (v. CEDH 15 sept. 2009, Mirolubovs et autres c. Lettonie). Une requête est abusive et donc déclarée irrecevable :
– lorsqu’elle se fonde délibérément sur des faits faux en vue de tromper la Cour ;
– lorsque le requérant utilise des expressions vexatoires, outrageantes, menaçantes ou provocatrices ;
– lorsque le requérant viole délibérément l’obligation de confidentialité des négociations du règlement amiable ;
– ou, enfin, lorsqu’un requérant multiplie les requêtes chicanières et manifestement mal fondées, analogues à sa requête déjà déclarée irrecevable dans le passé.
En l’espèce, M. Petrović a multiplié les requêtes, parfois même pour le compte de personnes décédées, ou dans des circonstances telles que la Cour de Strasbourg doute de l’authenticité des pouvoirs que M. Petrović a joints aux requêtes. Interdit par la Cour de représenter des requérants devant elle, à compter de mars 2010, il a pourtant continué à le faire soit en les représentant, soit en préparant leurs observations. En décembre 2010, la Cour a donc adressé au barreau de Belgrade une lettre pour l’informer de la conduite de l’avocat ; lettre à laquelle le bâtonnier répondit en constatant les infractions de M. M. Petrović aux règles d’éthique professionnelle, pour lesquelles ce dernier allait devoir rendre des comptes. À compter de mars 2010, M. Petrović a alors essayé de contourner la décision d’interdiction de la Cour, constituant ainsi un outrage à la Cour, considéré comme un abus du droit de recours individuel.
Une requête ça va, cinq cents, bonjour les dégâts…
CEDH, décis., 15 nov. 2011, Petrović c. Serbie, nos 56551/11, 56650/11, 56669/11, 56671/11, 56692/11, 56744/11, 56826/11, 56827/11, 56831/11, 56833/11 et 56834/11
Références
■ J.-P. Marguénaud, La Cour européenne des droits de l’homme, 5e éd., Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2010.
■ F. Moderne, La Convention européenne des droits de l’homme, 2e éd., Dalloz, coll. « À savoir », 2006.
■ P. Roublot, « La recevabilité des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme », AJ pénal 2010. 63.
■ Guide pratique sur la recevabilité de la CEDH : http://www.echr.coe.int/echr/fr/header/case-law/case-law+analysis/admissibility+guide
[Droit privé/Procédure (principes généraux)]
« Théorie d’origine jurisprudentielle selon laquelle est constitutif d’une faute pouvant donner lieu à réparation civile dans les conditions du droit commun, le fait, pour le titulaire d’un droit, de le mettre en œuvre soit de manière anormale, en dehors de sa finalité, soit dans le seul but de nuire à autrui. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 34 - Requêtes individuelles
« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »
Article 35 - Conditions de recevabilité
« 1. La Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
2. La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l'article 34, lorsque
a) elle est anonyme ; ou
b) elle est essentiellement la même qu'une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux.
3. La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu'elle estime:
a) que la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses Protocoles, manifestement mal fondée ou abusive ; ou
b) que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n'a pas été dûment examinée par un tribunal interne.
4. La Cour rejette toute requête qu'elle considère comme irrecevable par application du présent article. Elle peut procéder ainsi à tout stade de la procédure. »
■ CEDH 15 sept. 2009, Mirolubovs et autres c. Lettonie, n° 798/05, AJDA 2010. 997, chron. J.-F. Flauss.
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