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[ 27 juin 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

Devoir de conseil du notaire et modification de l'étendue de sa mission : point trop n'en faut !

Mots-clefs : Responsabilité délictuelle, Notaire, Devoir de conseil, Acte sous seing privé

N'engage pas sa responsabilité professionnelle envers son client le notaire qui n'a pas été mis en mesure d'exercer pleinement son devoir de conseil et d'information, sa mission ayant été restreinte par les parties.

Une société cessionnaire du droit au bail d'un terrain loué au titre d'un bail commercial sollicite de la SCI bailleresse le renouvellement du bail qui venait à son terme. Les deux sociétés concluent un nouveau bail commercial par un acte sous seing privé, gracieusement rédigé par le notaire qui avait instrumenté auparavant la cession du droit au bail, mais hors la présence de ce dernier. Par la suite, la société bailleresse a fait l'objet de redressements fiscaux, et ses représentants, reprochant au notaire de les avoir mal conseillés en établissant un nouveau bail et non un avenant au précédent, assignent l'officier public en responsabilité pour obtenir l'indemnisation du préjudice fiscal subi.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, du fait du lien naturel entre notaire et acte authentique (acte notarié, plus précisément), le notaire peut tout à fait assister les parties dans la rédaction d'un acte sous seing privé. Il assume alors envers son client le même devoir de conseil que celui qui lui incombe à l'occasion de la rédaction d'un acte authentique. En effet, un tel devoir demeure indépendant des obligations statutaires qui pèsent sur le notaire dans sa fonction d'authentification des actes, même si la jurisprudence tend à l'inclure dans cette mission statutaire (sur la dualité des fonctions notariales, V. Rép. civ., Vo « Notaire » ). Le conseil délivré par le notaire s'étend alors aux conséquences fiscales de l'acte considéré (Civ. 1re, 19 déc. 2006) et à l'opportunité, sur le plan fiscal, de retenir telle solution plutôt que telle autre. Le développement de ce devoir de conseil et son rattachement aux obligations statutaires du notaire conduisent la jurisprudence à juger que la responsabilité de ce professionnel fondée sur un manquement à son devoir de conseil est de nature délictuelle, même lorsqu'il a assisté son client dans la rédaction d'un acte sous seing privé.

C'est effectivement sur le fondement d'une responsabilité professionnelle de nature délictuelle que la cour d'appel de Pau avait en l'espèce condamné le notaire à indemniser les demandeurs. Sa motivation est d'ailleurs symptomatique de « l'expansionnisme »  du devoir de conseil du notaire : « [le défendeur], chargé de veiller à la sécurité juridique et à l'efficacité des actes auxquels il accepte de prêter son concours, fût-ce à titre gracieux, était tenu d'un devoir de conseil et d'information à l'égard de l'ensemble des parties à l'acte, peu important que celui-ci ait été signé hors sa présence ».

Rigoureuse pour le notaire, cette motivation n'en est pas pour autant surprenante au regard de la jurisprudence actuelle en la matière. Mais sa mise en œuvre se révélait excessive au regard de la mission qui avait été celle du notaire dans l'affaire rapportée. En effet, pour voir sa responsabilité engagée au grief d'un manquement à son devoir de conseil, encore faut-il que le notaire ait été mis en mesure d'exercer sa mission jusqu'au bout. Ce qui n'avait manifestement pas été le cas ici, comme cela ressort de la motivation de la Cour de cassation : il résultait des constatations du juge palois que l'acte devait initialement être reçu en la forme authentique, que plusieurs mois s'étaient écoulés entre l'envoi du projet à l'expert-comptable de la SCI et la signature hors la présence du notaire de l'acte sous seing privé et que ce dernier n'avait perçu aucune rémunération, les parties s'étant ravisées sur l'étendue de sa mission. Il s'en déduisait, selon le juge de cassation, que le notaire n'avait pas été mis en mesure d'exercer pleinement son devoir de conseil et d'information dont il n'aurait été libéré qu'à la signature de l'acte authentique, tel qu'initialement prévu.

Cette cassation, prononcée au visa de l'article 1382 du Code civil, consacre une limite raisonnable à la responsabilité du notaire rédacteur d'actes (v. déjà Civ. 1re, 6 juill. 2004, obs. Aubert, retenant que l'obligation de l'officier public d'assurer l'efficacité des actes qu'il dresse et son devoir de conseil ne s'étendaient pas à l'opération réalisée postérieurement sans son concours).

Civ. 1re, 30 mai 2012, no 11-18.166

Références

■ Acte authentique

[Droit civil/Procédure civile]

« Écrit établi par un officier public (notaire par ex.), sur support papier ou électronique, et dont les affirmations font foi jusqu’à inscription de faux et dont les grosses, revêtues de la formule exécutoire, sont susceptibles d’exécution forcée.

Lorsqu’il est établi par un notaire, l’acte authentique est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi, sauf disposition contraire expresse.

Un acte reçu en la forme authentique par un notaire est nécessaire pour l’accomplissement des formalités de publicité foncière. » 

■ Acte sous seing privé

[Droit civil]

« Acte écrit, généralement instrumentaire, plus rarement nécessaire à l’existence de la situation juridique, rédigé par un particulier et comportant la signature  des parties.

L’acte sous seing privé n’a de force probante qu’autant qu’il n’y a pas dénégation ou méconnaissance de l’écriture ou de la signature par celui auquel on l’oppose, à moins que la partie qui s’en prévaut n’en démontre la sincérité. »

■ Notaire

[Droit civil]

« Officier public et officier ministériel chargé de conférer l’authenticité aux actes instrumentaires et de conseiller les particuliers. Il est tenu de s’assurer de l’efficacité de l’acte auquel il prête son concours et doit veiller à l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l’exécution.

La profession de notaire peut être exercée à titre individuel ou à titre d’associé, dans le cadre d’une société d'exercice libéral (SEL), d’une société civile professionnelle. Elle peut l’être également en qualité de salarié d’une personne morale ou physique titulaire d’un office. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

 Article 1382 du Code civil

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » 

 Civ. 1re, 19 déc. 2006, no 04-14.487, Bull. civ. I, no 556 ; D. 2007. AJ 304, obs. Gallmeister.

 Civ. 1re, 6 juill. 2004, no 02-10.844, Defrénois 2004. 1409, obs. Aubert.

 

Auteur :P. P.

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