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[ 27 janvier 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Devoir de mise en garde de la banque à l’égard de l’emprunteur personne morale : un devoir relatif aux compétences de son représentant légal

Par un arrêt rendu le 4 janvier 2023, la Cour de cassation rappelle que le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal ; elle précise également les éléments d’appréciation des compétences de celui-ci pour retenir en l’espèce sa qualité d’emprunteur averti, excluant le devoir de mise en garde de la banque prêteuse.

Com. 4 janv. 2023, n° 15-20.117 P

Prenant la forme d’un devoir d’alerte sur les risques d’endettement excessif de l’opération envisagée, le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit n’est pas absolu. En effet, lors de l’octroi d’un prêt, la banque n’est tenue à un devoir de mise en garde qu’à l’égard de l’emprunteur profane, c’est-à-dire non averti en matière de crédit bancaire. Dans le cas particulier où l’emprunteur est une personne morale, se pose la question des modalités d’appréciation de ce caractère averti ou profane, généralement attribué à une personne physique.

La réponse apportée par les juges est désormais acquise : lorsque l’emprunteur se présente sous les traits d’une personne morale, l’appréciation doit porter sur les compétences, dans le domaine bancaire, de son représentant légal (Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-21.567 ; Com. 11 avr. 2018, nos 15-27.133, 15-27.798, 15-27.840 et 15-29.442). Il en va ainsi, par exemple, en présence d’une société ou d’une association recourant à l’emprunt. Dès lors qu’il n’a pas l’habitude de conclure le prêt qui lui aura été consenti, un dirigeant de société ou le président d’une association pourra être qualifié d’emprunteur profane, et la personne morale qu’il représente le sera donc également. Dans ce cas, pèse alors sur la banque un devoir de mise en garde à l’égard de la personne morale dont le caractère profane, même s’il peut surprendre, est pourtant susceptible d’être retenu.

Reste à identifier les éléments d’appréciation sur lesquels les juges s’appuient pour conclure au caractère averti ou profane de l’emprunteur personne morale. In concreto, l’appréciation des compétences bancaires de son représentant légal dépend des circonstances de fait propres à chaque espèce. Précisément, les faits ayant donné lieu à la décision rapportée offrent à la Cour de cassation l’opportunité d’apporter des précisions utiles sur ce point. 

En l’espèce, quatre salariés avaient constitué une société holding afin d’acquérir la totalité des parts sociales de cette même société. Cette acquisition avait été financée par un prêt accordé par une banque, garanti par le cautionnement de l’un des emprunteurs salariés, par ailleurs gérant de la société holding. Après la mise en redressement puis en liquidation judiciaire de cette société, la banque avait assigné la caution en paiement. Cette dernière lui avait alors opposé un manquement à son obligation de mise en garde, due au titre de sa qualité de gérant et de caution de la société holding, contre le caractère disproportionné du prêt consenti à cette société. La cour d’appel condamna toutefois la caution au paiement de la somme demandée par la banque et rejeta sa demande d’indemnisation au titre d’un défaut de mise en garde.

Devant la Cour de cassation, la caution soutenait être profane en matière de rachat d’entreprises par recours à l’emprunt et partant, créancière de l’obligation de mise en garde, au moyen que le seul fait d’avoir participé au développement de l'entreprise contrôlée par la société holding ne suffisait pas, à défaut d’avoir antérieurement ses compétences dans ce type de société, à lui conférer la qualité d’emprunteur averti que la cour d’appel lui avait, à tort, attribuée pour la débouter de sa demande indemnitaire. La chambre commerciale rejette son pourvoi reprenant, pour les approuver, chacune des étapes du raisonnement développé par la juridiction du second degré.

Elle observe tout d’abord que la cour d’appel avait retenu que la caution détenait une expérience de cinq ans au sein de son entreprise, qu’elle y exerçait les fonctions de responsable commercial et en avait doublé le chiffre d’affaires. Elle avait également ajouté que cette entreprise était la société cible de l’opération, un montage juridique ayant été effectué pour concrétiser le financement de son rachat par le recours à l’emprunt. La Haute cour rappelle ensuite le principe jurisprudentiel selon lequel le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal. Elle retient alors que la cour d’appel avait fait ressortir que, bien que n’ayant pas exercé ses compétences dans une société holding avant l’opération litigieuse, la demanderesse était à même de mesurer, par les compétences acquises dans la société cible dont elle était salariée, le risque d’endettement né de l’octroi du prêt souscrit par la société holding, dont elle était le gérant, et qui dépendait des résultats de l’entreprise cible. La société holding, personne morale, devait donc être regardée comme ayant la qualité d’emprunteur averti et la banque n’était donc pas tenue d’un devoir de mise en garde à son égard.

Cette solution mérite d’être approuvée. Le juge doit déterminer la qualité d’averti de l’emprunteur non seulement en considération de son activité professionnelle, mais également de son passé bancaire. Or en l’espèce, si jusqu’à l’opération litigieuse, l’intéressé n’avait jamais géré une société holding, son expérience acquise dans la société cible ne permettait pas de le considérer comme novice en matière de crédit, d’autant moins que le prêt souscrit par la société holding, dont il était le gérant, dépendait des résultats de l’entreprise cible. Apte à mesurer les risques d’endettement nés de l’octroi du prêt, sa qualité d’emprunteur averti en matière de crédit était donc de nature à conférer la même qualité à la personne morale par lui représentée.

Références :

■ Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-21.567 AJ contrat 2020. 332, obs. J. Moreau.

■ Com. 11 avr. 2018, nos 15-27.133, 15-27.798, 15-27.840 et 15-29.442  P : D. 2018. 844 ; Rev. sociétés 2019. 56, note C. Juillet ; RTD civ. 2018. 658, obs. H. Barbier ; RTD com. 2018. 427, obs. D. Legeais.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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