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[ 9 janvier 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Devoir d’efficacité : le notaire n’a pas à « googliser » son client

Le devoir d’efficacité du notaire se limite à la recherche d’informations disponibles sur des sources officielles, mais ne s’étend pas à celles diffusées sur Internet.

Dix ans après qu’un premier jugement eut placé sa société en liquidation judiciaire, l’ancien gérant de celle-ci avait, par un second jugement, fait l’objet de la même procédure collective, à défaut d'avoir exécuté sa condamnation au titre de l'action en comblement de passif. Sept ans plus tard, il avait, avec son épouse, vendu à un particulier, par acte notarié, une maison à usage d'habitation moyennant le prix de 40 000 euros. Quelques semaines après la signature de l’acte de vente, le juge-commissaire avait autorisé le mandataire à la liquidation judiciaire du vendeur à vendre la maison aux enchères publiques, sur la mise à prix de 40 000 euros. Le liquidateur avait alors assigné les vendeurs, l'acquéreur et le notaire, sur le fondement des articles L. 640-1 et suivants du Code de commerce, en inopposabilité à son égard de la vente de l'immeuble et en paiement du prix de vente, déduction faite de la somme de 20 000 euros versée par le Trésor public. 

Pour déclarer cette vente inopposable à la liquidation judiciaire de l’ancien gérant et condamner solidairement ce dernier ainsi que son notaire à verser au liquidateur la somme de 20 000 euros, puis obliger les vendeurs à garantir le notaire des condamnations prononcées à son encontre, la cour d’appel retint que le vendeur, qui avait indiqué au notaire être agent d'entretien, n'était pas inscrit au registre du commerce, que la mention de la procédure collective ouverte à son encontre avait été portée au registre du commerce et des sociétés, non pas à son nom mais à celui de sa société, société dont le notaire ignorait l’existence, mais que le liquidateur avait pu établir, par la production de captures d'écran, qu'une simple recherche sur Internet, via le moteur de recherche google.fr, en entrant les dénominations nécessaires, renvoyait au site www.société.com, dont la consultation permettait de constater que le vendeur avait dirigé la société placée en liquidation ; elle ajouta que, par cette simple recherche, accessible à tous, le notaire aurait été en mesure de faire le lien entre le vendeur et cette société et, partant, de s'interroger sur la réelle situation de son client, en consultant notamment le Kbis de cette société, qui lui aurait révélé l'existence de la procédure collective.

Au visa de l’article 1240 du Code civil, la Cour de cassation censure cette décision, jugeant que le notaire n'était pas tenu de procéder à d'autres recherches que celles consistant en la consultation des publications légales, dont il n'était pas établi qu'elles auraient permis de déceler la mise en liquidation judiciaire du vendeur.

Voilà une solution qui limite, non sans surprise, l’étendue du devoir d’efficacité du notaire, dont on sait l’étendue comme la lourdeur. 

En sa qualité de rédacteur d'actes, le notaire est tenu de vérifier toutes les informations nécessaires à l'efficacité de l’acte, notamment de vente, qu’il instrumente, ou du moins de s’assurer de la véracité de celles auxquelles il est en mesure d'accéder, ce qui suppose en particulier qu’il vérifie la capacité des vendeurs à disposer du bien objet de la vente, en procédant à toutes les vérifications utiles, notamment en s’assurant de la sincérité des dires de son client. Aussi bien, s’il n’était pas, en l’espèce, contesté que le vendeur s’était volontairement abstenu de révéler au notaire avoir fait l’objet d’une mesure de liquidation judiciaire en sa qualité de gérant de société, ce fait n’était pas en lui-même de nature à décharger son notaire de sa responsabilité civile professionnelle : son devoir d’investigation l’astreint, en effet, à connaître la situation réelle de son client et donc à faire la lumière sur ce type de situations, lorsqu’elles sont gardées sous silence. La responsabilité du notaire était en outre susceptible d’être engagée en raison du dommage causé, l’acte de vente litigieux s’étant trouvé privé d'efficacité en raison de son inopposabilité à la liquidation du vendeur pour avoir été vendu, malgré le dessaisissement de son propriétaire, par l'effet de cette procédure collective, en violation de l'article L. 641-9 du Code de commerce, générant un préjudice aux créanciers de la liquidation caractérisé par la perte de chance de vendre les biens aux enchères à un meilleur prix.

La responsabilité du notaire n’a pourtant pas été engagée pour une raison qui ne semble pas, à notre connaissance, avoir été antérieurement abordée en jurisprudence : l’absence de caractère officiel de la source que le notaire était simplement libre, donc non astreint, de consulter pour remplir son devoir d’investigation. La Cour de cassation considère en effet que si le notaire ignorait la qualité d’ancien commerçant du vendeur et les liens qu’il entretenait avec la société placée en liquidation, cette ignorance ne pouvait lui être reprochée dans la mesure où les recherches qu'il avait effectuées auprès du RCS et du BODACC, seuls supports de la publicité légale qu'il était tenu de consulter, n'avaient apporté aucun résultat, sans qu’il puisse lui être fait grief de ne pas avoir étendu ses recherches à des sites dépourvus de caractère officiel. Compte tenu de l’intensité du devoir d’efficacité du notaire rédacteur d’actes, à l’égard duquel les juges font généralement preuve d’une grande sévérité, la thèse du liquidateur, soutenant que les recherches auxquelles doit se livrer le notaire ne se limitent pas aux sources de publicité légale, mais doivent au contraire s’étendre aux sources internet dès lors que celles-ci peuvent utilement le renseigner, ne semblait pas vouée à l’échec. La raison de cette indulgence inattendue doit sans doute être trouvée dans le manque de fiabilité, souvent dénoncé, des informations disponibles sur le net. Autrement dit, si le notaire reste libre d’utiliser cette source pour vérifier certaines informations, le choix de la délaisser n’est pas fautif, même dans le cas où la recherche effectuée par ce biais lui aurait permis d’obtenir des éléments officiels utiles à sa mission d’authentification.

« A s’informer de tout, on ne sait jamais rien » (Alain).

Civ. 1re, 28 nov. 2018, n° 17-31.144

 

Auteur :Merryl Hervieu

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