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[ 23 octobre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

« Dieselgate » : défaut de conformité et résolution de la vente d’un véhicule truqué

Lorsqu’un véhicule est équipé d’un logiciel destiné à tromper les mesures européennes anti-pollution, le contrat de vente peut être anéanti pour manquement grave du vendeur à son obligation de délivrance d’un bien conforme. L’acquéreur a cinq ans pour agir en justice, le point de départ du délai étant fixé à la date à laquelle il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du défaut de conformité du véhicule.

Civ. 1re, 24 sept.2025, 23-23.869 B

Avant d’être mis sur le marché européen, les véhicules sont contrôlés pour vérifier qu’ils respectent les limites d’émission de polluants. Les dispositifs qui réduisent l’efficacité de ce contrôle, appelés « dispositifs d’évitement », sont interdits (Règl. européen CE, n° 715/2007 relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers). Or au cas d’espèce, l’acheteur d’un véhicule diesel reçoit des lettres du constructeur l’informant d’une enquête en cours pour déterminer sa responsabilité dans la mise sur le marché d’automobiles à moteurs diesel équipés d’un dispositif destiné à tromper les mesures anti-pollution. Le courrier fait alors également part à l’acheteur de la nécessité de mettre à jour le logiciel de son véhicule. Potentielle victime du « Dieselgate », cette fraude massive des constructeurs aux normes environnementales européennes par l’installation de logiciels réduisant le niveau réel d’émission d’oxyde d’azote lorsque les voitures sont soumises au test d’homologation du respect de la législation, l’acheteur saisit la justice afin d’obtenir la résolution de la vente du véhicule pour non-conformité du bien acheté aux normes en vigueur. Il soutient, à l’appui des articles 1603 et 1604 du Code civil, que le vendeur a manqué à son obligation de délivrance d’un véhicule conforme au règlement européen sur les mesures anti-pollution, et que la gravité de cette contravention à la réglementation applicable justifie la résolution du contrat. À l’appui des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce, le vendeur lui oppose qu’il n’est plus possible de demander la résolution de la vente puisque, cinq ans s’étant écoulés depuis la livraison du véhicule, l’action en justice est prescrite.

La cour d’appel estime que l’acquéreur était encore dans les temps pour saisir la justice, le délai de cinq ans ayant commencé à courir, non pas à compter de la livraison du véhicule, mais depuis la date de réception du courrier l’informant de l’opération de rappel. En revanche, elle refuse de résoudre le contrat de vente en considérant que :

- le véhicule avait été homologué ;

- l’acheteur ne prouvait pas que le véhicule n’était pas conforme au règlement européen sur les gaz polluants ;

- l’acheteur utilisait le véhicule depuis plusieurs années sans connaître de difficulté.

L’acheteur et le vendeur forment chacun un pourvoi en cassation, soulevant deux problèmes distincts, le premier tenant à la recevabilité de l’action en résolution de la vente, le second posant la question de son bien-fondé.

■ Recevabilité de l’action : le point de départ du délai de prescription

Pour obtenir la résolution d’une vente en raison d’un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, l’acquéreur doit agir dans le délai quinquennal de droit commun. Mais ce délai commence-t-il à courir à compter de la livraison du véhicule, et cela même si le défaut n’est pas apparent, ou depuis la date à laquelle l’acquéreur a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du défaut de conformité ? Au vendeur qui soutenait que le délai de prescription applicable à l’action fondée sur l’obligation de délivrance conforme prévue par l’article 1604 du Code civil, constitutif d’un délai d’épreuve à l’expiration duquel la garantie s’éteint, ne peut donc courir qu’à compter de la livraison de la chose, la Cour de cassation répond que la prescription quinquennale de droit commun qui trouve à s’appliquer court à compter du jour où l’acquéreur a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du défaut de conformité du bien acheté. En l’espèce, le délai de prescription a commencé à courir lorsque l’acquéreur a reçu les courriers d’alerte du constructeur, soit moins de cinq ans avant sa demande en justice. L’acquéreur était donc en droit d’agir en résolution de la vente.

■ Bien-fondé de l’action : le défaut de conformité du véhicule aux normes européennes anti-pollution

L’affaire posait la première question de savoir si le vendeur qui livre un véhicule équipé d’un logiciel destiné à tromper les mesures de contrôle des normes européennes anti-pollution manque à son obligation de délivrance conforme.

La notion de l’obligation de délivrance résulte à la fois du droit commun de la vente et du droit de la consommation.

En droit commun de la vente, la délivrance, définie à l’article 1604 du Code civil, oblige le vendeur de la chose à remettre à l’acheteur une chose conforme aux spécifications contractuelles. Le domaine de la non-conformité est d’autant plus étendu que le contrat de vente désigne la chose et indique ce que l’acheteur en attend avec précision. Par conséquent, chaque fois que se révèle une différence entre la chose livrée et la chose promise au contrat, l’acheteur est en principe en droit d’invoquer l’inexécution par le vendeur de son obligation de délivrance conforme. L'acquéreur peut donc refuser de prendre livraison et demander réparation du préjudice subi dès lors qu'il peut faire état d'une différence, aussi minime soit-elle, entre la chose livrée et celle prévue dans l'accord de volontés. En somme, la délivrance ne sera effective que s'il y a correspondance parfaite entre la chose matériellement remise et la chose préalablement et abstraitement décrite dans le contrat, ce que l'on explicite parfois en parlant de l' « obligation de délivrance conforme » ou d’ « obligation de conformité ».

Il est en outre considéré qu’une non-conformité du bien aux normes en vigueur (notamment en matière de sécurité ou en matière sanitaire) est équivalente à une non-conformité de la chose au contrat. Plus précisément, le vendeur s’engage à respecter les normes applicables, sans qu'il soit nécessaire de le préciser dans le contrat de vente, l’exigence de conformité couvrant également le contenu implicite du contrat. Ainsi, dans la saga du « Dieselgate » impliquant dès l’origine le constructeur ici mis en cause, il a déjà été jugé que le vendeur d'un véhicule doit respecter, au titre de son obligation de conformité, la réglementation relative aux émissions polluantes (CA Pau, 21 avr. 2021, n° 19/03176 : « Dans tout contrat de vente, la conformité de la chose vendue à la commande s'entend d'une chose présumée respecter la réglementation en vigueur à la date de la vente ; la révélation postérieure à la vente de caractéristiques de la chose vendue méconnaissant ainsi cette réglementation constitue la preuve d'un manquement du vendeur à son obligation de délivrance. »).

À l'effet de renforcer la protection de l'acheteur consommateur d'un bien mobilier, le droit de la consommation a aménagé de manière spécifique l'obligation de délivrance du vendeur professionnel tant en droit de l’Union européenne qu’en droit interne.

En droit de l’Union européenne, tout d’abord, la garantie légale de conformité est prévue à l'article 2, § 1, de la directive 1999/44/CE, applicable en l'espèce. La conformité s'apprécie, notamment, par comparaison entre le bien livré et les attentes que le consommateur peut raisonnablement avoir, eu égard à la qualité et aux prestations habituelles d'un bien de même type.

En droit interne, la garantie de conformité des biens de consommation couvre tout défaut dès lors qu’il rend le bien non conforme au contrat et à l’usage habituellement attendu d’un bien semblable (C. consom., art. L. 217-3 s.). En outre, l’article L. 411-1 du Code de la consommation prolonge en l'élargissant la solution du droit commun imposant au vendeur de délivrer une chose conforme aux normes administratives. Ces dispositions relatives à la garantie légale de conformité, issues du droit de l’Union européenne, sont d’ordre public. Le juge national est donc tenu d’en faire application, dès lors qu’il doit plus généralement faire application de toutes les règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne (Ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651). Or selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à laquelle renvoie la Cour de cassation (CJUE 14 juill. 2022, n° C-145/20), l’équipement d’un logiciel permettant de contourner les normes d’émission suffit à caractériser un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme aux motifs :

- qu’un logiciel intégré au moteur d’un véhicule pour l’efficacité du système de contrôle d’émission de gaz polluants est un « dispositif d’invalidation » expressément interdit par le droit européen ;

- qu’un véhicule équipé d’un « dispositif d’invalidation » n’est donc pas conforme aux normes en vigueur, ce qui constitue un défaut de conformité en ce qu’un consommateur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un véhicule automobile ne soit pas affecté d’un dispositif d’invalidation illicite ;

- que ce défaut de conformité n’est pas un défaut mineur.

La Cour de cassation en déduit, en droit français, que le vendeur qui délivre un véhicule dans le moteur duquel est implanté un logiciel destiné à tromper les mesures d’émission de gaz polluants manque à son obligation de délivrance conforme tant en droit de la consommation (sur le terrain de la garantie légale de conformité) qu’en droit commun de la vente, ce qui préserve le droit d’option de l’acheteur (C. consom., art. L. 217-13). En l’espèce, le seul constat de ce que le véhicule litigieux était équipé d’un logiciel permissif suffit donc à caractériser un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme au sens de l’article 1604 du Code civil.

Le cas d’espèce posait une seconde question portant sur la sanction d’un tel défaut de conformité. Si le fait de livrer un véhicule dans lequel est implanté un logiciel qui fausse les mesures d’émission de gaz polluants constitue un manquement à l’obligation de délivrance conforme, ce manquement est-il suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat de vente ?

Pour y répondre, la Cour de cassation apprécie pour la première fois la gravité du manquement du vendeur à la lumière de la Charte de l'environnement de 2004. Cette Charte prévoit que chaque personne a :

- le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;

- le devoir de prendre part à la préservation et l'amélioration de l'environnement.

La Cour de cassation en déduit de manière inédite qu’au regard des principes établis par la Charte de l’environnement, le fait de livrer un véhicule dont le moteur est équipé d’un dispositif interdit en ce qu’il fausse les mesures de gaz polluants constitue un manquement « grave » du vendeur à son obligation de délivrance conforme. Ce qualificatif se comprend eu égard au refus des juges européens de juger un tel défaut « mineur » (vocable consumériste). Il conduit en l’espèce à sanctionner ce défaut de conformité par la résolution du contrat de vente sur le fondement de droit commun de l’obligation de délivrance conforme du vendeur (C. civ., art. 1604). En l’espèce, la cour d’appel n’aurait donc pas dû rejeter la demande de résolution de vente au motif erroné de l’insuffisante gravité du défaut pour l’acheteur, ayant pu user du véhicule sans difficulté pendant plus d’une décennie. Au-delà de la cassation ici prononcée, le message adressé aux juges du fond, jusqu’alors rétifs à la remise en cause du contrat même dans le cas où le défaut de conformité est caractérisé (CA Pau, 21 avr. 2021, n° 19/03176, préc.), est on ne peut plus clair : le non-respect des normes environnementales applicables justifie, à raison de la gravité du manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme inférée du seul fait qu’un véhicule soit équipé d’un logiciel frauduleux, la résolution de la vente.

Références :

■ CA Pau, 21 avr. 2021, n° 19/03176

■ Ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651 : D. 2017. 1800, communiqué C. cass., note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P.  Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau.

■ CJUE 14 juill. 2022, n° C-145/20 : D. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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