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Droit civil
Diffamation : la rigueur des éléments constitutifs
Mots-clefs : Diffamation, Eléments constitutifs, Rôle du juge, Examen de l’écrit, Circonstances intrinsèques, Circonstances extrinsèques
Est constitutive d’une diffamation toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel ce fait est imputé, ce que ne constitue pas la publication de propos invitant à réfléchir au paradoxe d’obsèques non catholiques d’un éminent psychanalyste qui les aurait souhaitées. L’imprécision des volontés du défunt, des circonstances de la réalité de ses obsèques et l’absence d’allusion directe à sa vie familiale empêchant de retenir le caractère diffamatoire des propos litigieux.
Un ouvrage consacré à un analyste de renom, désormais décédé, avait été publié. Il contenait une phrase rédigée en ces termes : « Bien qu'il eût émis le vœu de finir ses jours en Italie, à Rome ou à Venise, et qu'il eût souhaité des funérailles catholiques, il fut enterré sans cérémonie et dans l'intimité au cimetière de Guitrancourt. ». Jugeant ces propos diffamatoires à son égard, sa fille avait assigné l’auteur ainsi que son éditeur aux fins d'obtenir, sur le fondement des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la réparation de son préjudice moral et l'insertion, dans tous les exemplaires de l'ouvrage incriminé, d'un texte faisant mention de la condamnation des défendeurs. La cour d’appel dénia tout caractère diffamatoire aux propos litigieux.
La fille forma un pourvoi en cassation : après avoir rappelé la définition de la diffamation, que constitue toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel ce fait est imputé, elle soutenait que le passage incriminé comportait par lui-même l'imputation de ce que les personnes qui s'étaient chargées de l'organisation des obsèques n'avaient pas respecté le souhait du défunt de bénéficier de funérailles catholiques et avaient ainsi trahi les dernières volontés du défunt, revêtait un caractère diffamatoire.
Son pourvoi est rejeté par la Cour au motif que « le caractère diffamatoire des propos en cause résulterait, selon la demanderesse, de l'emploi de la locution conjonctive « bien que » et de l'opposition entre le « rêve » qu'aurait fait son père de grandes funérailles catholiques et la réalité contraire de ses obsèques, ce qui conduirait le lecteur à penser que la volonté exprimée par ce dernier n'aurait pas été respectée par ses proches, alors même que l'imprécision des propos relevés par les juges du fond, s'agissant des circonstances dans lesquelles le défunt aurait exprimé ce souhait, ne permettait pas de faire une telle lecture de la phrase litigieuse, sans se livrer à une interprétation que l'auteur était en droit de contester ; de surcroît, ni le passage poursuivi ni l'ouvrage ne mentionnaient que cette volonté eût été formalisée par des dispositions testamentaires ou même seulement portée à la connaissance de tiers ou de ses proches ; enfin, le paradoxe que l’auteur dit avoir voulu mettre en lumière reposant sur le souhait du défunt, d’une part, malgré son athéisme et par attachement à la portée symbolique de la sépulture, d'avoir des funérailles catholiques et d’autre part, sa disparition sans cérémonie et dans l'intimité, ne résulte pas d'une construction intellectuelle faite a posteriori pour les besoins de la procédure et ne fait aucune mention de la vie privée ou familiale du défunt ni allusion à ses proches et notamment à sa fille ». Ainsi la première chambre civile en conclut-elle que la cour d'appel a exactement interprété le sens et la portée des propos incriminés en déduisant de ces éléments que l’auteur avait entendu souligner le paradoxe précité et non imputer aux proches du défunt un quelconque grief de trahison, de sorte que lesdits propos ne portaient pas atteinte à l'honneur et à la considération de la demanderesse.
L'article 29, alinéa 1er de la loi de 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne non expressément nommée, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ». Par ailleurs, le législateur a opéré une distinction entre la diffamation à l'égard des particuliers (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 1) et une série de diffamations spéciales dont les diffamations envers les corps constitués (L. 29 juill. 1881, art. 30) ou les représentants des pouvoirs publics (L. 29 juill. 1881, art. 31), les diffamations à connotation raciale discriminatoire ou sexiste (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 2 et 3) ainsi que les diffamations et injures envers la mémoire des morts (L. 29 juill. 1881, art. 34).
En l’espèce, la fille du défunt se prétendant elle-même victime de diffamation, l’honneur de son père n’étant en aucun cas entaché par les propos litigieux, elle avait fondé son action sur le texte général de l’article 29 de la loi de 1881. La répression de la diffamation punissable est difficile à obtenir en ce qu’elle suppose en principe la réunion de cinq éléments : 1° l'allégation ou l'imputation d'un fait déterminé ; 2° un fait de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération ; 3° une imputation ou une allégation devant viser une personne déterminée ; 4° la mauvaise foi ; 5° la publicité. Comme en témoigne la décision rapportée, et selon une jurisprudence constante, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques et extrinsèques aux faits poursuivis que comportent l'écrit ou les propos pour extraire de l'expression son véritable sens, et ce sous le contrôle de la Cour de cassation, qui peut se reporter directement au message afin de vérifier s'il contient bien tous les éléments de l'infraction, les atteintes à l'honneur ou à la considération étant extrêmement variées. En l’espèce, le grief de trahison des volontés du défunt, qui révélerait de manière diffamante la déloyauté du comportement familial, n’a pas convaincu les juges à la lecture des propos litigieux, peu précis sur les volontés exactes du défunt. Les propos de l’auteur ne précisent en effet nulle part que les volontés du défunt aient été d’une quelconque façon formalisées ni ne font une allusion directe au comportement de ses proches dans l’organisation des obsèques.
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». (Bazile dans le Barbier de Séville, Beaumarchais).
Civ.1re, 3 févr.2016, n°15-10.374
Références
■ Loi du 29 juillet 1881
Article 34
« Les articles 31, 32 et 33 ne seront applicables aux diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts que dans le cas où les auteurs de ces diffamations ou injures auraient eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants.
Que les auteurs des diffamations ou injures aient eu ou non l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants, ceux-ci pourront user, dans les deux cas, du droit de réponse prévu par l'article 13. »
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