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Droit pénal spécial
Diffamation : preuve de la bonne foi par tous moyens, même déloyaux
Mots-clefs : Diffamation (bonne foi, preuve, moyens déloyaux), Procès équitable, Droits de la défense (fait justificatif), Secret des correspondances, Liberté d’expression, Homme politique, Débat d’intérêt général
La personne poursuivie du chef de diffamation est admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces de nature à établir la vérité des faits ou sa bonne foi, même obtenues par des moyens déloyaux.
Pour répondre à la citation directe pour diffamation publique délivrée par le maire d'une commune, le prévenu, conseiller municipal, avait produit des documents confidentiels que l'avocat de la ville avait adressés à la partie civile dans une instance administrative. Les juges du premier degré avaient refusé d’écarter les pièces produites et relaxé l'intéressé ; la cour d'appel avait confirmé ce jugement, en retenant qu'au regard du principe du procès équitable, les pièces litigieuses pouvaient être utiles à la défense de l'intéressé et qu'il était indifférent que celui-ci eut, pour leur production, été condamné du chef d'atteinte au secret des correspondances.
Saisie à son tour de la question de la recevabilité des documents confidentiels produits aux débats, la chambre criminelle estime, par l’arrêt du 19 janvier 2010, que la cour d'appel a justifié sa décision. Pour cela, elle relève que, « d'une part, le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie du chef de diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces de nature à établir la vérité des faits ou sa bonne foi, sans qu'elles puissent être écartées des débats au motif qu'elles auraient été obtenues par des moyens déloyaux » et que, « d'autre part, la bonne foi doit être appréciée en tenant compte notamment du caractère d'intérêt général du sujet sur lequel portent les propos litigieux, et du contexte politique dans lequel ils s'inscrivent ».
On sait déjà que le juge saisi d'une action en diffamation doit rechercher si la production en justice de pièces couvertes par le secret de l'instruction n'a pas été rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense (Crim. 11 juin 2002), la chambre criminelle estimant que le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie pour diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces d'une information en cours de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires (Crim. 11 févr. 2003).
On rappellera ensuite que, pour pouvoir être caractérisée et justifier l'atteinte diffamatoire, la bonne foi exige la réunion de quatre éléments :
– la prudence dans l'expression ;
– le respect du devoir d'enquête préalable ;
– l'absence d'animosité personnelle ;
– et l'intention de poursuivre un but légitime (v., par ex., Civ. 2e, 14 mars 2002).
Analysant ce dernier critère, la chambre criminelle fait application des « standards » de la jurisprudence européenne relative à la liberté d'expression envers un personnage public (aussi bien sur le fond — périmètre de la liberté d'expression — que sur la méthode — appréciation in concreto de l'atteinte diffamatoire), qui considère que les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique (v., not., CEDH 1er juill. 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique) et que l'existence d'un débat d'intérêt général requiert un niveau élevé de protection du droit à la liberté d'expression (v., par ex., CEDH 7 nov. 2006, Mamère c. France, § 20 ; et plus récemment, 8 oct. 2009, Brunet-Lecomte et Tanant c. France, § 50).
Crim. 19 janvier 2010
Références
« Allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. »
« Le droit à un procès équitable constitue aujourd’hui la pierre angulaire des procédures juridictionnelles. Il faut l’entendre comme le droit à un procès équilibré entre toutes les parties (equus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal; le droit à un tribunal indépendant et impartial; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement rendu dans un délai raisonnable; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue.
Issu du droit naturel, le droit à un procès équitable est devenu un droit substantiel, la garantie de la garantie des droits. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Crim. 11 juin 2002, Bull. crim. n° 132 ; JCP 2003. II. 10061, note Dreyer ; Gaz. Pal. 2002. 2. 1745, note Monnet ; Dr. pénal 2002. 135, obs. Véron ; RSC 2002. 619, obs. Francillon ; ibid. 881, obs. Renucci.
■ Crim. 11 févr. 2003, D. 2004. Som. 317 ; D. 2004. Jur. 317, obs. de Lamy ; JCP 2003. IV. 1601.
■ Civ. 2e, 14 mars 2002, Bull. civ. II, n° 41.
■ CEDH 1er juill. 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, RSC 1998. 389, obs. Koering-Joulin.
■ CEDH 7 nov. 2006, Mamère c. France, n° 12697/03, § 20 ; D. 2007. Jur. 1704, obs. Marguénaud.
■ CEDH 8 oct. 2009, Brunet-Lecomte et Tanant c. France, n° 12662/06, § 50, Dalloz actualité 19 oct. 2009, obs. Lavric.
■ L. François, « Preuve de la vérité des faits diffamatoires et Convention européenne des droits de l'homme », D. 2005. Chron. 1388.
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