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Droit du travail - relations collectives
Différences de traitement issues d’un accord collectif : une jurisprudence alambiquée !
Pareil au satyre de Jean de la Fontaine, la Cour de cassation souffle le chaud et le froid sur le régime des différences de traitements issues des accords collectifs. Dans un arrêt estampillé PBRI, elle écarte la reconnaissance d’une présomption générale de justification des différences de traitement par voie de conventions collectives en s’appuyant sur le droit de l’Union européenne alors que depuis 2015, elle avait admis des applications jurisprudentielles d’une telle présomption dans de multiples situations.
En droit français, une règle de non-discrimination se distingue d’une règle d’égalité de traitement. La première entend mettre hors la loi certains critères de décision, tels que le sexe, la nationalité, les convictions religieuses, l’activité syndicale…La seconde implique que des personnes appartenant à un même cercle soient traitées selon les mêmes critères, les différences de sort constatées s’expliquant par des raisons objectives et pertinentes. Là où la règle de non-discrimination est d’abord protection de la personne humaine - son état ou ses choix fondamentaux - l’égalité de traitement est une marque de respect qui contraint l’auteur d’une décision à s’expliquer sur ses raisons d’agir. Le critère de distinction par exemple, la catégorie professionnelle, le lieu de travail, la date de présence dans l’entreprise, n’est pas en soi licite ou illicite, il doit être mis en relation avec l’objet de la décision. Il est toutefois difficile d’identifier les mesures patronales soumises à une exigence d’égalité de traitement. Un certain consensus se dégage pour les avantages décidés unilatéralement par l’employeur ou issus d’une négociation individuelle avec le salarié car le rapport de force est alors asymétrique. Le débat est en revanche plus vif pour les mesures prises en application d’une convention collective puisque le rapport de force est – en théorie - plus équilibré.
En l’espèce, une salariée travaillait sur le site de Saint-Lô depuis 2012. En 2013, l’employeur décide de réunir différents sites pour les regrouper à Caen. Pour accompagner cette restructuration, un accord collectif est adopté en 2013 dont l’objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique et d’accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d’emploi et de vie familiale. Toutefois, il est précisé que seuls les salariés affectés sur le site de Saint-Lô avant le 1er juin 2011 peuvent en bénéficier. La date n’a pas été choisie de manière totalement discrétionnaire car elle coïncide avec la date de la dénonciation d’un engagement unilatéral. La salariée demande pourtant le bénéfice de l’accord et face au refus patronal, elle saisit le conseil des prud’hommes. La Cour d’appel décide de faire droit à sa demande et lui octroie le bénéfice des avantages contestés, estimant qu’il y a rupture d’égalité de traitement. Le pourvoi de l’employeur est rejeté.
L’arrêt est adopté avec une motivation dite « développée ». Depuis le 1er octobre, la Cour de cassation a en effet annoncé l’abandon progressif des traditionnels « attendu que » au profit d’un style direct et comprenant une explication sur la méthode d’interprétation retenue. L’arrêt est ainsi décomposé en 24 paragraphes numérotés et répartis en 3 parties : faits et procédure ; examen du pourvoi ; motifs de l’arrêt. On découvre dans cette troisième partie une synthèse de la jurisprudence de la chambre sociale depuis 2009, son évolution majeure en 2015 et enfin les raisons qui justifient une nouvelle approche du problème juridique. Si cette motivation permet de se repérer dans la chronologie des multiples nuances de la jurisprudence de la chambre sociale, en revanche, il n’est pas certain que l’objectif recherché de meilleure compréhension des arrêts soit atteint…
En 2009, dans son célèbre arrêt Pain (Soc. 1er juill. 2009, n° 07-42.675), la Cour de cassation a décidé que l’employeur ne pouvait pas échapper à l’exigence de justification des différences de traitement constatées entre des salariés cadres et non cadre au seul motif que la différence trouve sa source dans une convention collective. La différence de catégorie professionnelle n’étant pas, en soi, une justification recevable, l’employeur devait apporter une explication objective dont la réalité et la pertinence devait être contrôlées par le juge. Cette solution a soulevé un vent de protestation car l’employeur se trouvait assez démuni pour expliquer les différences de traitement : soit parce que, sans l’énoncer expressément, l’accord collectif d’entreprise concédait un avantage à la catégorie en question en échange d’une certaine flexibilité, soit parce que l’employeur n’en avait aucune idée car il appliquait une convention de branche.
Aussi, en 2015, sans dénier la pertinence de la règle d’égalité de traitement dans l’application des accords collectifs, la Cour de cassation a largement simplifié la charge probatoire de l’employeur en posant une présomption lorsqu’une différence est opérée entre les catégories professionnelles. La Cour s’est alors appuyée sur le principe de participation pour fonder sa décision : les accords étant « négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote », il est possible de présumer que sont justifiées les différences de sort entre catégorie professionnelle. Il appartient alors à celui qui conteste la différence de démontrer « qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Soc. 27 janv. 2015, n° 13-22.179, 13-25.437 et 13-14.773). La formule est énigmatique et n’a pas été éclaircie par la suite par la Cour régulatrice puisqu’on ne trouve trace d’aucun arrêt admettant la nature « non professionnelle » d’une différence catégorielle. Cette présomption a par la suite été étendue à d’autres distinctions : des salariés exerçant des fonctions distinctes au sein d’une même catégorie professionnelle, (Soc. 8 juin 2016, n° 15-11.324) ; des salariés appartenant à des établissements distincts que les différences figurent dans un accord d’établissement (Soc. 3 nov. 2016, n° 15-18.444) ou d’entreprise (Soc. 4 oct. 2017, n° 16-17.517 ; Soc. 30 mai 2018, n° 17-12.925). Toutefois, la présomption montrait parfois ses limites. En toute logique, elle ne s’appliquait pas face à des critères discriminatoires (Soc. 13 déc. 2017, n° 16-12.397 : différence en raison de l’exercice du droit de grève). Mais elle n’avait pas non plus été mobilisée dans des arrêts relatifs à des différences de carrière en fonction de la date d’embauche. (Soc. 7 déc. 2017, n° 16-14.235. Soc. 14 nov. 2018, n° 17-14.937).
L’arrêt du 3 avril 2019 apporte une nouvelle précision importante : il n’existe pas de présomption générale valable pour tous les critères de distinction choisis par les partenaires sociaux. La Cour de cassation opérant un contrôle lourd, approuve le raisonnement de la Cour d’appel qui a « déduit à bon droit que, s’agissant d’une différence de traitement fondée sur la date de présence sur un site, celle-ci ne saurait être présumée justifiée ». Pour aboutir à cette conclusion, la cour régulatrice convoque longuement le droit de l’Union (paragraphe 16 à 22), plus spécialement « le principe général d’égalité consacré aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux ». Or en droit européen, la charge de la preuve est partagée : le salarié doit apporter des éléments de faits laissant supposer une différence injustifiée, à charge pour l’employeur d’apporter la preuve d’une raison objective et pertinente. La présomption découverte par la Cour de cassation en 2015 est donc contraire à ce système probatoire et par conséquent expose la France à une condamnation. Il faut donc l’écarter « dans les domaines où est mis en œuvre le droit de l’Union ». Mais cette dernière précision ouvre la porte à toutes les incertitudes. La Cour entend-elle mettre un terme définitif à sa solution de 2015 et écarter toute présomption ou faut-il désormais distinguer selon le domaine concerné ? La nouvelle technique de motivation des arrêts n’apporte guère d’éclaircissements... Et la lecture de la note explicative figurant sur le site de la Cour de cassation renforce encore davantage les doutes. Il y est indiqué que les solutions antérieures subsistent (différence catégorielle, différence par site ou par établissement) et que « ce n’est qu’en présence d’autres différences de traitement qu’il appartient à l’employeur de justifier de raisons objectives dont le juge contrôle concrètement la réalité et la pertinence ». On peine à comprendre pourquoi le droit de l’Union est efficace dans certains cas et non dans d’autres…
Soc. 3 avril 2019, n° 17-11.970
Références
■ Quelques exemples de critique doctrinale : A. Fabre, Les négociateurs sociaux, « seuls juges » du principe d’égalité, Dr. soc. 2015. 237; P. Lokiec, « Qui dit conventionnel dit juste ! » L’avènement d’un nouveau dogme, JCP S, n° 12, 24 mars 2015. Act. 129 ; E. Peskine, La chambre sociale architecte imprudent de la négociation collective, RDT 2015. 339 et en sens inverse JF Césaro et A Tessier L’égalité par le dialogue social, JCP 2 mars 2015, n°9, page 261; En finir avec le principe général d’égalité de traitement, Franck Morel, Semaine sociale Lamy, n° 1714, 14 mars 2016.
■ Soc. 1er juill. 2009, n° 07-42.675 P : D. 2009. 2042 ; ibid. 2010. 342 et les obs. ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2009. 1002, obs. C. Radé ; ibid. 1169, note P.-H. Antonmattei
■ Soc. 27 janv. 2015, n° 13-22.179 P, 13-25.437 P et 13-14.773 P : Dalloz Actu Étudiant, 24 févr. 2015 ; D. 2015. 270, obs. C. C. cass. ; ibid. 829, obs. J. Porta et P. Lokiec ; ibid. 2340, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2015. 237, étude A. Fabre ; ibid. 351, étude P.-H. Antonmattei ; RDT 2015. 339, obs. E. Peskine ; ibid. 472, obs. G. Pignarre
■ Soc. 8 juin 2016, n° 15-11.324 P : D. 2016. 1259, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; ibid. 1588, chron. P. Flores, E. Wurtz, N. Sabotier, F. Ducloz et S. Mariette
■ Soc. 3 nov. 2016, n° 15-18.444 P: Dalloz Actu Étudiant, 28 nov. 2016 ; D. 2016. 2286, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; ibid. 2017. 235, chron. F. Ducloz, P. Flores, F. Salomon, E. Wurtz et N. Sabotier ; ibid. 2270, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 87, obs. P.-H. Antonmattei ; RDT 2017. 140, obs. I. Odoul-Asorey
■ Soc. 4 oct. 2017, n° 16-17.517 P: D. 2017. 1981 ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2018. 67, obs. Y. Ferkane
■ Soc. 30 mai 2018, n° 17-12.925 P
■ Soc. 13 déc. 2017, n° 16-12.397 P : D. 2018. 14 ; ibid. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta
■ Soc. 7 déc. 2017, n° 16-14.235 P : D. 2017. 2541 ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JA 2018, n° 572, p. 9, obs. D. Castel
■ Soc. 14 nov. 2018, n° 17-14.937 P : D. 2018. 2239
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