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[ 28 novembre 2016 ] Imprimer

Droit du travail - relations collectives

Différences de traitement, présomption de justification et accord d’établissement

Mots-clefs : Principe d’égalité de traitement, Négociation collective, Accord d’établissement, Présomption de justification

Les différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts, opérées par voie d’accords d’établissement négociés et signés par les organisations syndicales représentatives au sein de ces établissements, investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’établissement et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Par un arrêt du 3 novembre 2016, la Cour de cassation étend la présomption de justification aux différences de traitement entre les salariés d’une même entreprise qui résultent de la conclusion d’un accord d’établissement. Cette présomption, purement prétorienne, avait jusqu’alors été retenue à propos d’accords collectifs d’entreprise (Soc. 27 janv. 2015, n° 13-14.773) ou de branche (Soc. 8 juin 2016, n° 15-11.324). Elle portait sur les différences opérées au sein de ces accords entre des catégories professionnelles, par exemple lorsque des durées de préavis différaient entre cadres et non cadres (affaire du 27 janv. 2015) ou qu’un avantage salarial se trouvait réservé à certains salariés (affaire du 8 juin 2016).

Dans l’affaire ayant donné lieu au présent arrêt, la société « Danone produits frais France » a conclu un accord au niveau de son établissement « Pays de Bray » avec les syndicats représentatifs à ce niveau, prévoyant une augmentation salariale sur trois ans et le versement d’une prime spécifique dite « prime d’amélioration continue ». Formellement, aucune distinction n’est opérée par l’accord d’établissement lui-même entre les salariés auxquels il s’applique. La différence résulte plutôt de la conclusion de cet accord si l’on se place au niveau de l’entreprise toute entière : seuls les salariés de l’établissement « Pays de Bray » bénéficient des avantages salariaux en question. 

Cette extension de la présomption de justification au cas des accords d’établissements présuppose l’application à leur égard du principe d’égalité de traitement. Rappelons que ce principe – tout aussi prétorien que l’est sa présomption – n’interdit pas d’opérer des différences ou distinctions entre salariés d’une même entreprise. Il impose seulement que ces distinctions soient justifiées par des motifs objectifs et pertinents. Mais encore faut-il que les salariés soient placés dans une même situation. Il est exclu par exemple de comparer le salaire de base d’un cadre et celui d’un ouvrier : les salariés ne sont pas placés, au regard de leur rémunération, dans une même situation. Peu importe l’ampleur de la différence de rémunération, aucune comparaison n’est admise. Or, la conclusion d’un accord d’établissement n’exclut-elle pas, par elle-même, l’application du principe d’égalité ? C’est ce que, semble-t-il, la Cour d’appel a retenu : l’accord d’établissement ne serait tenu de respecter le principe d’égalité de traitement qu’à l’intérieur dudit établissement et la différence qui en résulterait avec les autres salariés de l’entreprise n’aurait pas à être justifiée. La Cour de cassation retient pourtant une solution inverse, acceptant la comparabilité des situations. 

Le jeu de la présomption atténue cependant la portée du principe d’égalité. Pour la Cour de cassation, la différence qui résulte de la négociation d’un accord d’établissement est présumée justifiée, c’est-à-dire qu’il n’y pas lieu de rechercher si elle repose sur des critères objectifs et pertinents. Tout porte à croire d’ailleurs que cette présomption jouerait également en présence d’un accord d’établissement qui opérerait des distinctions en son sein, c’est-à-dire entre les salariés dudit établissement. L’établissement d’une présomption repose en effet sur la légitimité des organisations syndicales représentatives qui ont signé l’accord collectif. Ce sont, comme l’affirme la Cour de cassation dans le présent arrêt, des organisations « investies de la défense des droits et intérêts des salariés de l’établissement et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ». Le régime de cette présomption est enfin identique à celui retenu à propos des accords d’entreprise ou de branche : c’est à celui qui conteste la distinction qu’il appartient de démontrer qu’elle est étrangère à toute considération de nature professionnelle. Cette démonstration paraît très difficile à mettre en œuvre. En l’espèce, il ressort de l’arrêt d’appel que tel n’est pas le cas et ce dernier échappe donc à la cassation. 

Soc. 3 nov. 2016, n° 15-18.444

Références

■ Soc. 27 janv. 2015, n° 13-14.773 P, D. 2015. 829, obs. J. Porta et P. Lokiec ; ibid. 2340, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2015. 237, étude A. Fabre ; RDT 2015. 339, obs. E. Peskine.

■ Soc. 8 juin 2016, n° 15-11.324 P, D. 2016. 1259, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; ibid. 1588, chron. P. Flores, E. Wurtz, N. Sabotier, F. Ducloz et S. Mariette.

 

Auteur :B. G.


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