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[ 8 février 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Directive sur les produits défectueux : quelle place pour le droit commun interne ?

Mots-clefs : Responsabilité, Produits défectueux, Directive du 25 juillet 1985, Domaine d’application, Personnes responsables, Producteur, Vendeur, Biens, Usage professionnel, Usage privé, Droit commun, Condition d’application, Garantie des vices cachés

La victime d’un dommage causé par le défaut de sécurité d'un produit ne peut en principe agir que contre le producteur de ce produit, quel que soit l’usage de ce produit, la responsabilité du vendeur ne pouvant être engagée qu’à la condition de reposer sur un fondement différent de celui de la sécurité du produit litigieux, tel que la garantie des vices cachés.

Trois camions appartenant à diverses sociétés d’un même groupe avaient pris feu. Les sociétés avaient alors assigné en responsabilité le vendeur des camions, l’équipementier, le vendeur des essieux dont étaient équipés les camions, ainsi que leur fabricant. La cour d’appel, après avoir constaté que chaque sinistre trouvait son origine dans un défaut affectant les essieux des véhicules en cause, décida que seul le fabricant de ces essieux devait voir sa responsabilité engagée, en sa qualité de producteur et conformément à la directive n° 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Au soutien de leur pourvoi en cassation, les sociétés contestaient l’applicabilité au litige de ladite directive, puisque celle-ci ne vise que les produits défectueux « qui ne sont pas destinés à un usage professionnel ni utilisés pour cet usage ». Le moyen faisait ainsi écho à la position de la Cour de justice de l'Union européenne qui avait affirmé, le 4 juin 2009 (CJUE 4 juin 2009, moteurs Leroy Somer, aff. C-285/ 08), que la réparation des dommages causés à une chose destinée à un usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relevait pas du champ d'application de la directive, ce dont il avait été déduit que le droit interne demeurerait applicable à la réparation des dommages affectant des biens à usage professionnel et, plus particulièrement, que la responsabilité contractuelle de droit commun et, en l'occurrence, de l'obligation de sécurité de résultat du vendeur non fabricant, pouvait continuer d'être recherchée.

Leur pourvoi est néanmoins rejeté au motif que, s'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que dans ce cas, la réparation du dommage se trouve bien hors du champ d'application de la directive (décision de la CJUE 4 juin 2009), la même directive s'applique, en revanche, au producteur d'un produit affecté d'un défaut, quelle que soit la destination, privée ou professionnelle, de ce produit. La première chambre civile de la Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir mis hors de cause le vendeur et l’équipementier, en application des articles 1245 et suivants du Code civil (art.1386-1 s. anc.), peu important que les camions litigieux, et donc les essieux défectueux de ces derniers, aient été destinés à un usage professionnel.

Il est vrai que la directive en cause entend par principe faire peser la responsabilité du fait des produits défectueux sur le seul producteur, immunisant ainsi le vendeur qui les a fournis ; ce n'est que si le premier n'est pas identifié que le second est susceptible d’engager sa responsabilité, à moins d’indiquer à la victime, dans un délai raisonnable, l'identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit (art. 1er et 3 de la directive). Le rejet du pourvoi s’explique également par l'alignement quasi absolu du régime légal interne de la responsabilité du fait des produits défectueux sur le texte de la directive et l'interprétation faite par la CJUE de l'article 13 de celle-ci, emportant logiquement la condamnation des règles de droit interne relatives à la responsabilité du fait de la défectuosité d’un produit fondée sur l'obligation de sécurité de résultat, puisqu’elles reposent sur le même fondement que la responsabilité instaurée par la directive (Civ. 1re, 15 mai 2007, n° 05-17.947). Par la suite confirmée (Civ.1re, 22 oct. 2009, n° 08-18.601), l'éviction de l'obligation de sécurité de résultat, protège le vendeur non fabricant, qui n'entre pas dans la catégorie des personnes responsables au sens de la directive.

Enfin, concernant l’usage de la chose, la solution vient éclaircir un point qui restait obscur en jurisprudence, laquelle paraissait vouloir circonscrire la règle précédente au cas dans lequel les produits défectueux en cause « ne sont pas destinés à l'usage professionnel ni utilisés pour cet usage » (Civ.1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876). Elle affirme ici nettement l’indifférence à l’usage professionnel ou privé de la chose défectueuse, la Cour de cassation se refusant à distinguer entre les biens destinés à la consommation ou à un usage professionnel, évitant ainsi d’aboutir au résultat « paradoxal, pour ne pas dire absurde » (J.-S. Borghetti, D. 2009. 1731), que le régime jurisprudentiel de responsabilité du fait des produits, qui est le plus favorable aux victimes, s'appliquerait aux atteintes portées à des intérêts professionnels, alors que les atteintes à la personne ou aux biens à usage privé seraient, elles, exclusivement soumises au régime de responsabilité du fait des produits de la directive, par hypothèse moins favorable (irresponsabilité de principe des fournisseurs, exonération pour risque de développement, prescription triennale). L'arrêt est en revanche partiellement cassé au visa de l’article 1641 du Code civil.

En effet, pour mettre hors de cause le vendeur et l’équipementier, la cour d'appel s'était bornée à juger le fabricant, en sa qualité de producteur, exclusivement responsable, alors qu'elle aurait dû également rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si le vendeur des camions et l’équipementier, en leur qualité de vendeurs, n’avaient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés. En effet, l'immunité de principe du vendeur ne vaut que pour les actions fondées sur le défaut de sécurité du produit dommageable, en sorte que la possibilité d'invoquer un autre régime de responsabilité que celui prévu par la directive demeure dans la mesure où celui-ci repose sur un fondement différent de celui de la directive, tels la garantie des vices cachés ou la faute (Civ.1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876) et à la condition, dans le cas d’un vice caché, que ce dernier ne se confonde pas avec la défectuosité du produit dommageable.

Civ.1re, 11 janv.2017, n°16-11.726

Références

■ Directive n° 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, JOCE n° L 210, 7 aout, 

■ CJUE 4 juin 2009, moteurs Leroy Somer, aff. C-285/ 08D. 2009. 1731, et les obs., note J.-S. Borghetti ; ibid. 2047, chron. J. Rochfeld ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2009. 738, obs. P. Jourdain

■ Civ. 1re, 15 mai 2007, n° 05-17.947D. 2007. 1593, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2008. 40, obs. C. Nourissat ; RTD civ. 2007. 580, obs. P. Jourdain

■ Civ.1re, 22 oct. 2009, n° 08-18.601

■ Civ.1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876D. 2016. 705 ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2016. 646, obs. P. Jourdain

 

Auteur :M. H.

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