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[ 6 janvier 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

Discernement de l’enfant : condition essentielle de son audition par le juge

Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’audition d’un mineur dans le cadre d’un contentieux relatif aux modalités des relations à définir entre ce dernier et un tiers, parent ou non, une cour d’appel ne peut s’affranchir de son obligation d’entendre le mineur, à moins que son audition ait déjà eu lieu devant le juge des enfants.

Civ. 1re, 2 décembre 2020, n° 19-20.184 P

Fondamental en ce qu’il découle directement de la garantie d’un procès équitable, le droit d’accès au juge implique celui d’être entendu par lui. Dans l’ordre interne, ce droit est garanti par l’article 30 du Code de procédure civile, qui rend indissociable le droit d’agir en justice et le droit de pouvoir échanger avec le juge. Consubstantielle aux sociétés démocratiques, cette dimension dialogique de la procédure doit parfois être adaptée à la personne du justiciable ; ainsi convient-il de prendre en compte son jeune âge lorsque, comme dans l’affaire rapportée, la demande d’audition concerne un enfant de huit ans se trouvant, depuis le décès de sa mère, au cœur d’un litige familial. Ce dernier conservait toutefois le droit, méconnu jusqu’en cassation, d’être auditionné par le juge. Tel est l’enseignement essentiel de la décision rapportée, dont la portée est majeure.

Après le placement d’un enfant à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), sa grande-tante maternelle avait saisi le juge des enfants qui avait ordonné son placement pour obtenir un droit de visite et d’hébergement. Les faits de la cause ayant fait apparaître un conflit ancien et durable l’opposant au grand-père paternel de l’enfant ayant, depuis qu’il apprit que celle-ci entendait exercer des droits sur l’enfant, menacé de rompre les liens avec son petit-fils, le juge avait préférer écarter l’enfant des débats : pour lui éviter d’être au cœur de ces querelles familiales délétères. Il avait ainsi refusé de procéder à son audition, estimant qu’il aurait été contraire à son intérêt d’être entendu. La demande de la grande-tante ayant par ailleurs été rejetée par le juge des enfants, ce que la juridiction d’appel ensuite saisie avait confirmé, celle-ci forma un pourvoi en cassation, faisant grief à l’ensemble des magistrats auxquels elle avait soumis sa demande d’avoir statué sans avoir procédé, comme elle l’avait pourtant à chaque fois demandé, à l’audition de l’enfant. Faisant sienne la thèse du pourvoi, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond, au visa des articles 1189, alinéa 1er, et 1193, alinéa 1er, du Code de procédure civile : l’enfant devant par principe être entendu par le juge, ce dernier ne peut s’affranchir de son obligation de procéder à son audition qu’à la seule condition de justifier, au titre de son obligation de motivation, de l’absence de discernement de l’enfant.

L’audition de l’enfant est régie par un texte général ainsi que par des dispositions spécifiques.

L’article 388-1 du Code civil pose une règle générale, celle du droit de tout mineur d’être entendu dans toute procédure le concernant à la condition, rendue nécessaire par son statut d’incapable juridique, qu’il soit pourvu de discernement et sous la réserve, également justifiée par son incapacité en ce qu’elle le prive d’intérêt à agir, que son audition ne lui confère pas la qualité de partie à l’instance. A la différence d’un justiciable ordinaire, le droit pour l’enfant d’être entendu par le juge se voit ainsi limité à celui de pouvoir participer à la procédure qui le concerne ; n’étant pas partie, aucune demande de sa part autre que celle d’être entendu par le juge ne peut être sollicitée. Son audition prend ainsi la forme d’une mesure d’instruction particulière dont la singularité trouve sa cause dans la double nécessité de prendre en compte l’incapacité du mineur et son intérêt supérieur dans le déroulé comme dans l’issue de contentieux qui le concernent. 

L’audition du mineur fait également l’objet de règles spécifiques à l’effet d’augmenter et de garantir sa protection. Si le législateur l’a prévue dans les toutes les procédures le concernant et que celle-ci se présente, à condition que le mineur soit doté de discernement, comme un principe directeur et une mesure d’instruction de droit, son droit à être entendu semble pourtant, sur le terrain procédural, également limité : en effet, son audition ne peut servir de fondement à la décision du juge, qui a pour seule obligation de retranscrire la parole de l’enfant dans sa décision (Civ. 2e, 10 juin 1998, n° 97-20.905). Le juge se voit ainsi tenu de restituer la parole de l’enfant, mais empêché de statuer sur son fondement. Le mécanisme apparaît alors quelque peu artificiel, même si l’on comprend la légitimité du double objectif poursuivi : ne pas faire porter à l’enfant la responsabilité d’une décision dont les implications seront dans tous les cas, avec une seule variabilité de degré, conséquentes ; relativiser la confiance à accorder à la véracité des dires d’un mineur, même adolescent, dont la maturité intellectuelle et/ou psychologique peut être difficile à apprécier. Elle doit l’être, pourtant, impérativement. 

Liée à la condition subjective de discernement, la capacité réflexive et la stabilité affective du mineur est soumise à l’appréciation souveraine du juge, qui décidera en conséquence de la nécessité et de l’opportunité de son audition. En outre, la caractérisation de son potentiel de réflexion et d’analyse des situations est non seulement indispensable au droit du mineur à être entendu mais également à sa possibilité, en fait, d’être écouté. En effet, le juge peut légitimement douter de son aptitude à soupeser les enjeux de son choix d’entretenir ou non certaines relations avec des tiers, parents ou non et, selon le contexte et a fortiori s’il est familial et conflictuel, de sa réelle liberté d’opinion. Contrairement au critère objectif tiré de l’âge prévu pour définir le droit du mineur de consentir à son adoption ou au changement de son nom (13 ans), ce critère subjectif tiré du discernement place alors le magistrat dans une situation difficile : comment juger qu’un mineur est véritablement discernant, c’est-à-dire conscient de la portée de ce qu’il exprime et de ce qu’il décide ? La tentation est alors grande pour le juge, déjà libre de fonder sa décision autrement que sur l’audition de l’enfant, de contourner cette difficulté d’appréciation en décidant de ne pas procéder à l’audition de l’enfant. C’est pour leur rappeler qu’ils y sont légalement contraints que les juges du droit ont en l’espèce souligné le manquement commis par le juge des enfants puis par les juges d’appel, aucun n’ayant entendu l’enfant alors qu’une demande en ce sens avait été formulée, en l’occurrence par un tiers, ce qui ne permet cependant pas au magistrat de s’affranchir de son obligation d’audition, l’article 338-4 du Code de procédure civile lui imposant également dans ce cas de motiver son refus par des circonstances suffisantes. Ainsi ce dispositif est-il bien moins artificiel qu’il pouvait le paraître à premières vues.

En ce sens, la décision rapportée traduit l’ampleur de la portée du droit du mineur à être entendu. La liberté du juge en cette matière est en vérité très relative. En visant l’article 1193 du Code de procédure civile, la Cour de cassation indique qu’en cas d’appel, l’audition du mineur doit être sollicitée par le juge lui-même si le juge des enfants n’y a pas procédé, faisant ainsi écho à la règle qui semble s’être dégagée pour conférer à l’office du juge en matière d’assistance éducative (C. pr. civ., art. 1181 à 1196) un caractère d’ordre public (Civ. 1re, 25 juin 1991, n° 90-05.006 ; addeC. pr. civ., art. 1184, al. 2). Autrement dit, le juge des enfants doit vérifier d’office le discernement du mineur pour juger de l’opportunité de son audition à charge pour le juge d’appel, qui sera alors mécaniquement saisi par les parties ne l’ayant pas obtenue de l’organiser, sous réserve du discernement du mineur, dont l’insuffisance devra être, le cas échéant, justifiée de manière particulièrement circonstanciée. On comprend ainsi que la condition de discernement du mineur, même si elle est depuis longtemps chassée du droit de la responsabilité civile, conserve dans d’autres branches du droit sa vitalité originaire (V. aussi, en droit des incapacités et en droit de la responsabilité pénale ; cf réforme de la justice pénale des mineurs, dont l’essentiel mesure réside dans la création d’un code de justice spécifique, Ord. n° 2019-950 du 11 sept. 2019).

Cet arrêt révèle enfin la confusion, en matière d’audition, de deux notions présentées comme distinctes : le discernement de l’enfant et son intérêt supérieur. En effet, le discernement de l’enfant n’est rien d’autre que la conscience de son intérêt. Malgré le risque que le mineur ait autant de mal à le percevoir que le juge à l’apprécier, ce recoupement des notions explique que celle de discernement, en ce qu’elle soutient voire se confond avec l’intérêt supérieur de l’enfant, soit placée au cœur de cette décision pour favoriser l’audition de l’enfant quitte à restreindre la liberté du juge. Il n’en reste pas moins que plutôt que de mettre dos à dos ou même côte à côte le mineur et le juge, la Cour de cassation préfère les mettre face à face dans l’espoir qu’ils puissent convenir ensemble de la protection de ses intérêts en sorte de lui offrir, quand ses parents ne peuvent le lui garantir, le meilleur avenir possible.

Références

■ Civ. 2e, 10 juin 1998, n  97-20.905

■ Civ. 1re, 25 juin 1991, n° 90-05.006 P : D. 1992. 51, note J. Massip ; RDSS 1992. 351, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1991. 728, obs. J. Hauser

 

Auteur :Merryl Hervieu

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