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Discipline militaire ou droit pénal ? Pas d’atteinte à la dignité pour les jours d’arrêt exécutés dans des locaux militaires
L’infraction d’atteinte à la dignité de la personne humaine résultant de ses conditions d’hébergement telle que visée par l’article 225-14 du Code pénal suppose la fourniture d’un logement soumise à une contrepartie à des personnes qui se trouvent en état de vulnérabilité ou de dépendance. Tel n’est pas le cas des locaux militaires ni même des militaires qui ne sauraient alors entrer dans les prévisions de l’infraction.
Deux légionnaires ont porté plainte par un courrier adressé au procureur de la République près du tribunal de grande instance de Nîmes pour plusieurs traitements subis à l’occasion de l’exécution de jours d’arrêt prononcés – sanction disciplinaire – à leur encontre par l’autorité militaire. Le procureur a ouvert une information des chefs de plusieurs infractions : abus d’autorité par voir de fait, outrage à subordonné, violences volontaires aggravées et conditions d’hébergements contraires à la dignité. Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu. Saisie par les parties civiles, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé l’ordonnance. Les militaires, demandeurs au pourvoi, invoquaient la violation de nombreuses dispositions qui avaient toutes été écartées par la cour d’appel.
Cette dernière avait d’abord écarté l’application de l’article 225-14 du Code pénal qui réprime l’atteinte à la dignité de la personne humaine résultant de ses conditions d’hébergement, estimant que le régime juridique ici invoqué n’était pas applicable dans la mesure où les conditions d’hébergement telles qu’elles sont en l’espèce envisagées au titre des sanctions disciplinaires relèvent strictement des « pouvoirs dévolus à l’armée, eu égard à ses missions et à son organisation au sein de l’État ». La Cour d’Aix ajoutait alors qu’il appartenait également à l’armée « d’apporter à titre disciplinaire des restrictions à la liberté, n’entrant pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal ». Le champ disciplinaire, qui relève alors de la compétence et de la discrétion militaires, faisait obstacle à l’application de l’article 225-14 du Code pénal, réservé aux seules personnes vulnérables dont le logement contraire à la dignité est soumis à contrepartie.
Ce même argument avait permis à la Cour d’appel de rejeter la qualification d’atteinte à la liberté individuelle résultant d’une personne dépositaire de l’autorité publique prévue par l’article 432-4 du Code pénal, dès lors que la restriction d’aller et de venir par la limitation des sorties était « le propre des arrêts » et « résult[ait] des contrôles et de l’auto-discipline du militaire ». Elle avait également exclu la qualification de violences, prévue par l’article 222-13 du Code pénal, qui ne pouvait être établie en sa matérialité, faute d’avoir rapporté la preuve d’un choc psychologique qui aurait résulté des fouilles successives et répétées d’armoires qui étaient dénoncées. De même, avait été rejeté le délit d’outrage à subordonné envisagé par l’article L. 323-20 du Code de justice militaire, la cour d’appel relevant que ce délit devait être « de nature à porter atteinte à la dignité de la personne et au respect de sa fonction », ce que les faits de l’espèce (consistant à faire porter au militaire un chapeau différent de celui appartenant à son grade, lui refuser temporairement les insignes correspondant à celui-ci et l’appeler par son nom suivi du terme « puni » et non de son grade) ne permettaient pas de caractériser. De plus, la qualification était incompatible avec les fonctions de l’« arrêt », les faits lui paraissant « justifiés par une nécessité de différenciation avec les autres militaires dès lors qu’ils [étaient] autorisés à circuler de façon restreinte dans l’enceinte du régiment ». Ce même argument lui permettait enfin de rejeter la qualification de discrimination au sens de l’article 225-1 du Code pénal dans la mesure où les faits résultaient « d’un statut disciplinaire temporaire ».
Au contraire, les parties civiles invoquaient dans leur pourvoi, que l’infraction d’atteinte à la dignité résultant des conditions d’hébergements s’appliquait à tous les cas d’hébergement « forcés résultant de la décision d’une autorité légitime » dans la mesure où il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Dès lors, par l’exclusion des locaux militaires des prévisions de l’article 225-14 du Code pénal, la chambre de l’instruction avait, selon elles, fait une mauvaise lecture du texte.
C’est sur ce point essentiel que la Cour de cassation se prononce par l’exclusion des prévisions de l’article 225-14 du Code pénal. Elle juge ainsi que ces dispositions ne s’appliquent pas en l’espèce dans la mesure où cette infraction ne s’applique « qu’à la fourniture d’un logement, moyennant contrepartie, à des personnes qui se trouvent en état de vulnérabilité et de dépendance ». La Haute cour d’ajouter que les « les faits dénoncés, consistant dans les modalités d’exécution d’une sanction disciplinaire régulièrement prononcée contre des militaires par une autorité légitime, n’entrent pas dans les prévisions de l’article 225-14 ».
Les autres branches du moyen étaient fondées sur des contradictions de motifs ou absences de bases légales. Dans ses troisième et quatrième branches, le moyen reprochait par exemple à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si certains des éléments visés n’étaient pas constitutifs de violences volontaires, ou encore de ne pas avoir recherché expressément et précisément l’existence d’un choc psychologique susceptible d’établir la matérialité de telles violences. Ces branches sont rejetées car se bornant à remettre en cause l’appréciation souveraine de la chambre de l’instruction, exempte d’insuffisance ou de contradiction.
Quelles conclusions tirer de cet arrêt ? D’une part, que l’infraction d’atteinte à la dignité de la personne résultant de ses conditions d’hébergement, si elle semble revêtir un champ d’application large, est en réalité limitée à certaines conditions telles que la vulnérabilité ou la situation de dépendance de la victime. La fonction de cette infraction demeure la protection des personnes les plus vulnérables, ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce. D’autre part, qu’en excluant toutes les autres qualifications, la Cour de cassation souligne la particularité du statut dont les militaires sont dotés. Ainsi, s’ils jouissent, selon l’article L. 4121-1 du Code de la défense, « de tous les droits reconnus aux citoyens », il résulte néanmoins de ce même article que « l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre ». Il ne revient dès lors pas aux juridictions répressives de se prononcer sur des qualifications pénales qui impliqueraient d’apprécier la nécessité et la proportionnalité des mesures disciplinaires prises par l’autorité militaire, indépendante.
Si les sanctions disciplinaires sont exclues du champ d’application du droit pénal (V. en ce sens, Cons. const. 27 févr. 2015, n° n° 2014-450 QPC), il n’en demeure pas moins qu’elles relèvent (tout de même) du droit administratif.
Crim. 9 mai 2019, n° 18-81.743
Références
■ Ch. Willmann, V° Conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine, Rép. pén., mars 2014.
■ Cons. const., 27 février 2015, n° 2014-450 QPC : AJDA 2015. 424 ; AJFP 2015. 244.
■ CAA Nancy, 18 juin 2015, n° 13NC02106 : AJFP 2015. 249
■ CE 24 avr. 2019, n° 421838
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