Actualité > À la une
À la une
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Discrimination de la loi grecque envers les couples homosexuels
Absence de raisons solides et convaincantes pouvant justifier l’exclusion par la loi grecque des couples de même sexe du « pacte de vie commune ».
En droit européen des droits de l’homme, les discriminations motivées par l'orientation sexuelle sont sanctionnées par application combinée de l'article 14 et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. C'est l'apport majeur de l'arrêt Salgueiro Da Silva Mouta c/ Portugal (CEDH 21 déc. 1999). Dans l’arrêt rapporté, la CEDH en fournit une nouvelle illustration à propos de l’exclusion, par la loi grecque, des couples homosexuels du « pacte de vie commune », forme officielle de partenariat proche de notre PACS.
Les requérants invoquaient le grief de discrimination, que la Cour retient, considérant que le gouvernement n’a pas fait état de raisons solides et convaincantes pouvant justifier l’exclusion des couples de même sexe du champ d’application de la loi litigieuse. La Cour juge, en effet, que la distinction opérée entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels est discriminatoire en raison de sa disproportion au but légitime poursuivi, à savoir la protection de la famille et de l’institution du mariage.
Le juge européen affirme, tout d’abord, que la convention s'oppose à l'impossibilité de principe des couples homosexuels qui sont, « tout comme les couples hétérosexuels, capables de s’engager dans des relations stables », de voir leur relation juridiquement reconnue et protégée. On ne saurait donc poser qu'un couple homosexuel ne peut, par principe, inscrire sa relation dans un cadre juridique plus souple que l’institution du mariage.
La Grande Chambre souligne, ensuite, que l’intérêt des enfants nés hors mariage, que la loi instituant le pacte de vie commune entendait protéger, ne commandait pas de priver les couples homosexuels de la possibilité de conclure un pacte de vie commune dans la mesure où ce dernier a été ouvert aux couples hétérosexuels sans enfants et que le législateur grec aurait de toute façon pu prévoir des dispositions spécifiques concernant ces enfants sans avoir pour autant à opposer aux couples homosexuels une telle interdiction de contracter.
Enfin, la Cour relève que l’interdiction qui leur est faite est d’autant moins justifiée que le pacte de vie commune se présente comme la seule voie ouverte aux couples homosexuels pour encadrer juridiquement leurs relations alors que les couples hétérosexuels ont, quant à eux, la liberté de choisir, du mariage à l’union libre, le cadre juridique de leurs unions.
Pour ces raisons, le grief de discrimination est reconnu et sanctionné par la Cour.
Rappelons de façon plus générale qu’à l’appui de la liste, seulement indicative, des motifs de discrimination de l'article 14 de la Convention, alors susceptible de couvrir tout motif de discrimination, le juge européen estime depuis longtemps que le texte s'applique à des différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle. À ce titre, seules de très fortes raisons, « solides et convaincantes », peuvent justifier des différences ainsi fondées.
Ainsi, dans la célèbre affaire "Karner" (CEDH 24 juill. 2003, Karner c/ Autriche), le requérant n'avait pas qualité, selon la Cour suprême autrichienne, pour succéder au bail d'habitation de son compagnon au décès de celui-ci, au motif que la notion de « compagnon de vie » ouvrant droit, en droit interne, à la transmission du bail, n'incluait pas les couples homosexuels. La Cour européenne jugea que le grief de discrimination tombait en même temps sous l'empire de l'article 8, en le rattachant d’ailleurs habilement au droit au respect du domicile. Elle rappela qu'une distinction est discriminatoire au regard de l'article 14 si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (§ 37). Elle insista sur le fait que seules des « raisons particulièrement graves » (§ 37) sont susceptibles de justifier une distinction fondée sur l'orientation sexuelle. En outre, les autorités nationales ne disposant que d'une marge d'appréciation étroite, l'exigence d'un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime poursuivi – ici, exclure les individus vivant une relation homosexuelle et assurer la protection de la famille traditionnelle –, à laquelle est subordonnée la conventionalité d'une différence de traitement, implique alors que la mesure choisie soit non seulement adaptée mais aussi nécessaire à la réalisation du but. (§ 41). Or, le juge européen estima que l'État défendeur n'invoquait « aucune raison convaincante et solide » pour justifier la nécessité d’exclure, pour protéger la famille traditionnelle, les couples homosexuels du champ d'application de la législation nationale (§ 42) et conclu ainsi à la violation de l'article 14 combiné avec l'article 8.
Dans la décision rapportée, les juges ont procédé à la même analyse, et ce à partir des mêmes dispositions de la Convention.
Enfin, et à titre complémentaire, la Cour a estimé utile de rappeler qu’en dépit d’un réel consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, une tendance se dessine actuellement pour mettre en œuvre des formes de reconnaissance juridique des relations entre les personnes de même sexe, en sorte que lorsqu’un État membre du Conseil de l’Europe décide d’édicter une loi instituant une nouvelle forme de partenariat civil, les couples de même sexe doivent y être inclus.
CEDH 7 nov. 2013, Vallianatos et autres c/ Grèce, nos 29381/09 et 32684/09
Références
■ CEDH 21 déc. 1999, Salgueiro Da Silva Mouta c/ Portugal, n°33290/96
■ CEDH 24 juill. 2003, Karner c/ Autriche, n° 40016/98.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 14 - Interdiction de discrimination
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Autres À la une
-
Droit des biens
[ 22 novembre 2024 ]
Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une