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[ 25 mai 2012 ] Imprimer

Droit pénal général

Discrimination syndicale : la charge de la preuve en matière pénale incombe à la partie poursuivante

Mots-clefs : Discrimination, Discrimination syndicale, Charge de la preuve, Droit pénal, Présomption d’innocence

Le délit de discrimination syndicale prévu par le Code du travail, n’institue aucune dérogation à la charge de la preuve en matière pénale. Tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe en conséquence à la partie poursuivante.

La répression des discriminations se trouve à la fois dans le Code pénal (art. 225-1 à 225-4, 432-7) et dans le Code du travail. Ainsi, l’hypothèse de la discrimination syndicale est-elle prévue aux articles L. 2141-5 et L. 2146-2 du Code du travail qui prévoient une peine d’emprisonnement d’un an et une amende de 3 750 euros. Tel était le fondement des poursuites en l’espèce.

Deux directrices d’un établissement scolaire étaient poursuivies pour discrimination syndicale à l’encontre d’une surveillante ayant exercé les fonctions de secrétaire départementale d’un syndicat et élue aux fonctions de conseiller prud’homme. L’acte de discrimination consistait, selon la victime, à lui avoir refusé l’attribution d’un emploi à temps plein, en une modification de son emploi du temps et en une affectation à des tâches subalternes. Le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe des deux prévenues et a débouté la partie civile qui a, seule, interjeté appel de ce jugement.

La cour d’appel, infirmant la décision rendue en première instance, «  retient qu’il appartenait à l’employeur de justifier des raisons de service l’ayant conduit à écarter la priorité d’emploi attachée à la situation de la partie civile et qu’aucun élément de nature à confirmer ses affirmations n’est apporté par la prévenue ». Elle relève également « qu’il n’est pas justifié de l’impossibilité d’affecter d’autres surveillants au poste peu attractif attribué à [la victime] et qu’il n’est nullement établi ni allégué qu’une ancienneté considérable était nécessaire pour remplir convenablement la tâche qui lui était confiée ». Enfin, elle énonce que, « compte tenu des difficultés existant entre la direction de l’institution et la partie civile depuis que celle-ci exerçait des activités syndicales et son mandat de conseiller prud’homme, les décisions critiquées apparaissent discriminatoires ».

La chambre criminelle, au visa des articles L. 2141-5 du Code du travail, préliminaire du Code de procédure pénale et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, censure logiquement le raisonnement des juges du fond. Elle rappelle dans un attendu de principe que « les articles susvisés du code du travail, concernant le délit de discrimination syndicale, n’instituent aucune dérogation à la charge de la preuve en matière pénale ; qu’il résulte des deux derniers textes visés que tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe à la partie poursuivante ». En l’espèce, la cour d’appel a opéré un renversement de la charge de la preuve, « alors qu’il lui appartenait de rechercher l’existence d’une relation de causalité entre les mesures jugées discriminatoires et l’appartenance ou l’activité syndicale de la partie poursuivante ».

La chambre criminelle rappelle ainsi que le régime probatoire favorable au salarié syndiqué, instauré par le législateur, n’est applicable qu’en matière civile. L’inversion de la charge de la preuve, qui revient à établir une présomption de culpabilité, ne peut s’étendre à la matière pénale gouvernée par le principe de la présomption d’innocence.

En matière civile, la loi du 16 novembre 2001, modifiée par la loi du 27 mai 2008, s’inspirant de la jurisprudence de la chambre sociale (ex : Soc. 23 nov. 1999 ; Soc. 28 mars 2000 [discrimination syndicale]) a instauré un aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination (art. L. 1134-1 C. trav.) : le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination (présomption de discrimination) et il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (ex : Soc. 28 sept. 2004).

La solution est tout autre sur le plan pénal, matière allergique par nature au renversement de la charge de la preuve. La chambre criminelle le souligne bien en citant au visa l’article préliminaire du Code de procédure pénale et l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui posent le principe de la présomption d’innocence. Ce principe fondamental du droit pénal implique que la charge de la preuve incombe à l’accusation, que le suspect n’est pas tenu de prouver son innocence, en l’espèce qu’il n’y a pas discrimination.

Une telle solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt du 3 avril 2007, la Cour de cassation avait déjà admis que les dispositions des articles 225-2 du Code pénal et L. 412-2 (L. 2141-7 et L. 2141-8 nouv.) du Code du travail concernant les délits de discrimination et d’entrave à l’exercice du droit syndical n’instituent aucune dérogation à la charge de la preuve en matière pénale, qui incombe à l’accusation. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché aux juges du fond, pour statuer sur une poursuite exercée contre un employeur en application des textes précités, de ne pas s’être déterminés par référence à l’article L. 122-45 (L. 1132-3, L. 1132-4 et L. 1134-1 nouv. C. trav.), selon lequel lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers toute discrimination (Crim. 3 avr. 2007).

Crim. 11 avr. 2012, n°11-83.816

Références

 Soc. 23 nov. 1999, n° 97-42.940.

■ Soc. 28 mars 2000, n°97-45.258 97-45.259, Dr. soc. 589, obs. Lanquetot.

■ Soc. 28 sept. 2004, n°03-42.624.

■ Crim. 3 avr. 2007, n° 06-81.784, AJ pénal 2007. 282, obs. Roussel.

■ Code pénal

Article 225-1

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. 

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

Article 225-2

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende lorsqu'elle consiste : 

1° À refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; 

2° À entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; 

3° À refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; 

4° À subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 

5° À subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ; 

6° À refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. 

Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende. »

Article 225-3

« Les dispositions de l'article précédent ne sont pas applicables :

1° Aux discriminations fondées sur l'état de santé, lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité. Toutefois, ces discriminations sont punies des peines prévues à l'article précédent lorsqu'elles se fondent sur la prise en compte de tests génétiques prédictifs ayant pour objet une maladie qui n'est pas encore déclarée ou une prédisposition génétique à une maladie ou qu'elles se fondent sur la prise en compte des conséquences sur l'état de santé d'un prélèvement d'organe tel que défini à l'article L. 1231-1 du code de la santé publique ;

2° Aux discriminations fondées sur l'état de santé ou le handicap, lorsqu'elles consistent en un refus d'embauche ou un licenciement fondé sur l'inaptitude médicalement constatée soit dans le cadre du titre IV du livre II du code du travail, soit dans le cadre des lois portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique ;

3° Aux discriminations fondées, en matière d'embauche, sur le sexe, l'âge ou l'apparence physique, lorsqu'un tel motif constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée ; 

4° Aux discriminations fondées, en matière d'accès aux biens et services, sur le sexe lorsque cette discrimination est justifiée par la protection des victimes de violences à caractère sexuel, des considérations liées au respect de la vie privée et de la décence, la promotion de l'égalité des sexes ou des intérêts des hommes ou des femmes, la liberté d'association ou l'organisation d'activités sportives ; 

5° Aux refus d'embauche fondés sur la nationalité lorsqu'ils résultent de l'application des dispositions statutaires relatives à la fonction publique. »

Article 225-3-1

« Les délits prévus par la présente section sont constitués même s'ils sont commis à l'encontre d'une ou plusieurs personnes ayant sollicité l'un des biens, actes, services ou contrats mentionnés à l'article 225-2 dans le but de démontrer l'existence du comportement discriminatoire, dès lors que la preuve de ce comportement est établie. »

Article 225-4

« Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des infractions définies à l'article 225-2 encourent, outre l'amende suivant les modalités prévues par l'article 131-38, les peines prévues par les 2° à 5°, 8° et 9° de l'article 131-39. 

L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. »

Article 432-7

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsqu'elle consiste : 

1° A refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ; 

2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque. »

■ Article préliminaire du Code de procédure pénale

« I. - La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.

Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.

II. - L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.

III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.

Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.

Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.

Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.

En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »

■ Code du travail

Article L. 1132-3

« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés. »

Article L. 1132-4

« Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. »

Article L. 1134-1

« Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. 

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. 

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Article L. 2141-5

« Il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et pour prendre en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle. »

Article L. 2141-7

« Il est interdit à l'employeur ou à ses représentants d'employer un moyen quelconque de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale. »

Article L. 2141-8

« Les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-7 sont d'ordre public. 

Toute mesure prise par l'employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts. »

Article L. 2146-2

« Le fait pour l'employeur de méconnaître les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-8, relatives à la discrimination syndicale, est puni d'une amende de 3 750 euros. 

La récidive est punie d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 7 500 euros. »

 Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

 

Auteur :C. L.


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