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[ 20 mai 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Disproportion entre l’interdiction générale et absolue de l’exercice public du culte et l’objectif de préservation de santé publique

La liberté du culte, liberté fondamentale, ne s’entend pas uniquement par le droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix mais également par le droit de participer collectivement, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte même si cette liberté doit être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

L’article L. 3131-5 du Code de la santé publique créé par l’article 2 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 et modifié par l’article 3 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions permet de prendre des mesures restrictives de liberté en période d’état d’urgence sanitaire dans le seul but de garantir la santé publique. C’est pourquoi il est notamment possible d’ « ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité » et à cette fin, le Premier ministre peut prendre des mesures par décret sur le rapport du ministre chargé de la santé ; les mesures prescrites sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ».

Depuis le début du confinement et le début du déconfinement, plusieurs décrets se sont succédés pour interdire le libre exercice du culte ou plus exactement le rassemblement des fidèles pour assister aux différents cultes existants. Ainsi sont proscrites les célébrations religieuses publiques sur l’ensemble du territoire national, à l’exception des cérémonies funéraires dans la limite de vingt personnes. Le décret actuellement applicable est celui du 11 mai 2020 (n° 2020-545) et plus spécifiquement l’article 8, III selon lequel « Les établissements de culte, relevant du type V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit. / Les cérémonies funéraires sont autorisées dans la limite de vingt personnes, y compris dans les lieux mentionnés à l'alinéa précédent ».

Il s’ensuit que même depuis le début du déconfinement, aucune réunion publique n’est autorisée au sein des divers lieux de culte en France.

■ La liberté du culte : exprimer ses convictions religieuses et pouvoir participer collectivement à des cérémonies notamment dans les lieux de culte

Dans une ordonnance rendue le 18 mai 2020, le juge des référés du Conseil d’État précise que : «  la liberté du culte présente le caractère d’une liberté fondamentale. Telle qu’elle est régie par la loi, cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l’ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. » Les autorités compétentes peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux mais ces restrictions doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique.

C’est la première fois que le Conseil d’État précise les modalités d’expression de la liberté du culte chaque individu, en plus d’exprimer ses convictions religieuses, a le droit de participer avec d’autres personnes à des cérémonies et notamment dans les lieux dédiés au culte. Ce droit de participation à des cérémonies collectives est une des composantes essentielles de la liberté du culte.

Pour rappel, la France dispose de divers textes garantissant la liberté du culte : l’article 10 de la Déclaration de 1789:  « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme : « 1 - Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. / 2 - La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » ; l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » ; l’article 25 de la même loi : « Les réunions pour la célébration d'un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l'article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l'intérêt de l'ordre public. ».

■ Une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du culte 

Dans cette affaire, la question était de savoir s’il existait, en l’espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans les établissements de culte. Des éléments probants ont-ils pu justifier une restriction totale à la liberté du culte ? Le juge des référés du Conseil d’État va analyser divers éléments et conclure au caractère disproportionné de l’interdiction.

·        Un rassemblement religieux provocant de nombreuses contaminations un mois avant le confinement ?

Pour cela, le ministre de l’intérieur justifiait l’interdiction générale et absolue de l’exercice public du culte par le fait « qu’un rassemblement religieux réunissant plus d’un millier de participants venus de toute la France entre le 17 et le 24 février 2020 près de Mulhouse », un mois environ avant le début de la période dite de « confinement », avait provoqué un nombre important de contaminations qui ont, elles-mêmes, contribué à la diffusion massive du virus, dans la région Grand-Est et au-delà ». Le juge des référés du Conseil d’État estime que ce rassemblement n’est pas représentatif de l’ensemble des cérémonies de culte. En effet, ce rassemblement a eu lieu à une période où aucune recommandation sanitaire n’avait été édictée par les autorités compétentes.

·        Des dérogations pour les transports, les magasins, les écoles et les bibliothèques et pas pour les lieux de cultes ?

Des dispositions du décret du 11 mai 2020 prévoient, pour des activités ne présentant pas nécessairement de risques équivalents à celui des cérémonies de culte mais pour lesquels il existe également des risques, des régimes moins restrictifs pour l’accès du public pour des raisons économiques, éducatives, ou culturelles.

Par exemple, les services de transport des voyageurs ne sont « pas soumis à la limitation à dix personnes de tout rassemblement et réunion sur la voie publique ou dans un lieu public alors que de tels rassemblements et réunions ne peuvent pas se tenir dans les établissements de culte » même dans la limite des dix personnes, sauf cérémonies funéraires. Ou encore, les magasins de vente, les centres commerciaux, les établissements d'enseignement et les bibliothèques peuvent accueillir du public dans le respect des règles sanitaires applicables.

·        Les lieux de cultes, des lieux accueillant du public comme les autres ?

De plus, si la première phase du déconfinement n’autorise pas notamment l’ouverture des salles de spectacle, danse, cinéma ou restaurant …, le juge des référés du Conseil d’État précise que « les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et les libertés fondamentales qui sont en jeu ne sont pas les mêmes ».

·        Des règles compliquées à mettre en œuvre ?

Enfin, les autorités compétentes ont interdit tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, à la seule exception des cérémonies funéraires regroupant moins de vingt personnes afin de limiter, pendant la première phase du déconfinement « les activités présentant, en elles-mêmes, un risque plus élevé de contamination ». Mais, selon le juge des référés du Conseil d’État, cette interdiction n’a pas été motivée par une éventuelle difficulté à élaborer des règles de sécurité adaptées aux activités en cause. D’ailleurs, certaines institutions religieuses ont présenté des propositions en la matière depuis plusieurs semaines. Elle n’a pas non plus été motivée par « le risque que les responsables des établissements de culte ne puissent en faire assurer le respect ou que les autorités de l’État ne puissent exercer un contrôle effectif en la matière, ni encore par l’insuffisante disponibilité, durant cette première phase, du dispositif de traitement des chaînes de contamination ».

Ainsi, « l’interdiction générale et absolue … de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte, sous la seule réserve des cérémonies funéraires pour lesquels la présence de vingt personnes est admise, présente, en l’état de l’instruction, alors que des mesures d’encadrement moins strictes sont possibles, notamment au regard de la tolérance des rassemblements de moins de 10 personnes dans les lieux publics, un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté du culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière ». 

Il est donc enjoint au Premier ministre de prendre « les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte. Eu égard à la concertation requise avec les représentants des principaux cultes, il y a lieu de fixer, dans les circonstances de l’espèce, un délai de huit jours à compter de la notification de … l’ordonnance ».

Le droit d’exercer librement le culte de son choix doit pouvoir être garanti par l’État qui ne peut se cacher derrière de simples mesures sanitaires pour interdire la participation à des cérémonies dans des lieux de cultes tant que tout est mis en œuvre pour garantir la protection de la santé.

CE, ord., 18 mai 2020, n° 440366

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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