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Droit de la responsabilité civile
Distilbène : confirmation du régime probatoire
Pour obtenir la réparation de son préjudice dont les causes potentielles sont plurielles, la victime d’une exposition in utero au DES n’a pas à rapporter la preuve que cette exposition est la cause exclusive de son dommage corporel ; en outre, la réparation de son préjudice moral d’anxiété est indépendante de la preuve de ce lien de causalité.
Civ. 1re, 18 oct. n° 22-11.492
Le diéthylstilbestrol, aussi dénommé DES, est un médicament ayant été prescrit aux femmes enceintes afin de limiter les risques de fausses couches à partir de 1947, dans différents pays, et ce jusqu’à la fin des années 1970. En France, il était commercialisé principalement sous la marque Distilbène. Ce médicament a provoqué de graves séquelles chez les enfants des femmes enceintes auxquelles il fut administré, en particulier chez les filles, ces dernières pouvant présenter des anomalies et des risques de cancers du vagin et du col de l’utérus ou encore des maladies de l’appareil génital à l’origine de problèmes d’infertilité. En l’espèce, la gravité de telles répercussions avait conduit la demanderesse à agir en justice afin d’en obtenir la réparation : attribuant son infertilité à une exposition in utero au DES, elle avait alors assigné en responsabilité l’un des producteurs de cette molécule, la société UCB Pharma. La cour d’appel rejeta sa demande d’indemnisation au motif que ses anomalies physiologiques ne sauraient être imputées avec certitude à une exposition au DES. Les juges du fond considéraient en effet les éléments de preuve versés aux débats comme insuffisants à démontrer l’exposition in utero de la jeune mère au DES, indiquant plus précisément « qu'il est tout aussi vraisemblable que la cause de l'infertilité soit due à l'infection à Chlamydia qu'à cette exposition, de sorte qu'il est impossible de trancher entre les deux causes ». La Cour de cassation était donc invitée, une nouvelle fois, à se prononcer sur le régime probatoire applicable aux victimes du Distilbène. La preuve du lien de causalité entre le dommage causé par une exposition au DES et le fait générateur a déjà fait l’objet de plusieurs arrêts importants. La décision rapportée s’inscrit dans cette construction jurisprudentielle reposant, comme le rappelle le visa de « l’article 1382, devenu 1240, du code civil », sur le droit commun de la responsabilité civile, le médicament litigieux ayant été mis en circulation antérieurement à la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 sur les produits défectueux.
L’établissement du lien de causalité exige une double preuve relative tant à l’exposition in utero au DES qu’au lien causal entre cette exposition et le dommage. Face aux difficultés probatoires des victimes, les ordonnances n’ayant que trop rarement été conservées par leurs mères, les juges ont fait preuve d’une certaine souplesse dans l’admission de la preuve de l’exposition in utero au DES. Deux cas de figure doivent ainsi être distingués : soit l’exposition au DES est la seule cause possible de la pathologie présentée par la victime, auquel cas celle-ci est présumée et la preuve du lien causal entre l’exposition et le dommage ne soulève, dès lors, aucune difficulté (Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-16.305 et Civ. 1re, 28 janv. 2010, n° 08-18.837) ; soit l’origine de la pathologie est multifactorielle et la victime doit apporter la preuve de son exposition au produit litigieux, mais également de l’imputabilité du dommage à cette exposition (Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-10.081). Le régime probatoire obéit dans ce dernier cas aux règles du droit commun, la preuve pouvant être établie par tout moyen, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes, l’appréciation des éléments probants étant dévolue aux juges du fond. Parachevant la construction de cet édifice jurisprudentiel, la Cour de cassation est venue préciser que, « s’il n’est pas établi que le DES est la seule cause possible des pathologies présentées, la preuve d’une exposition in utero à cette molécule puis celle de l’imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu’il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition » (Civ. 1re, 19 juin 2019, n° 18-10.380). Il n’est donc pas exigé de la victime de prouver que les pathologies qu’elle présente n’aient aucune autre cause possible que l’exposition in utero au DES. L’ajout d’une telle condition conduirait à admettre la possibilité d’une indemnisation uniquement dans le cas où la pathologie subie a pour cause exclusive et certaine l’exposition au DES, ce qui serait abusivement défavorable aux victimes dans la mesure où les dommages en matière de santé, dont les anomalies induites par le Distilbène, ont généralement des causes multiples. En l’espèce, la première chambre civile délaisse de nouveau cette exigence. Est ainsi sanctionné l’ajout par les juges du fond d’une nouvelle condition pour l’établissement de la preuve de l’exposition au DES et de l’imputabilité du dommage « par des motifs insuffisants à exclure que l'exposition au DES ait contribué à son infertilité ». Si cette solution paraît favorable à la victime, elle ne préjuge en rien de son indemnisation in fine, la réparation de son préjudice restant dépendante de l’établissement d’éléments suffisamment probants pour qu’il y ait lieu de présumer ce lien de causalité. Il est toutefois à noter que le préjudice moral d’anxiété de la victime doit en tous les cas être réparé, comme le rappelle la Cour, même en l’absence de lien de causalité entre la prise de DES par la mère de la victime et les pathologies invoquées (Civ. 2e, 2 juill. 2014, n° 10-19.206).
Références :
■ Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-16.305 : D. 2009. 2342, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 1162, chron. C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RDSS 2009. 1161, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2010. 111, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2010. 415, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 28 janv. 2010, n° 08-18.837 : D. 2010. 440 ; ibid. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RTD com. 2010. 776, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 19 juin 2019, n° 18-10.380 : DAE, 11 juill.2019, note Merryl Hervieu, D. 2019. 2028, note V. Bouquet et E. Fouassier ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
■ Civ. 2e, 2 juill. 2014, n° 10-19.206 : D. 2014. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
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