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Droit pénal général
Distinction entre injure et diffamation : critère du fait précis
Mots-clefs : Diffamation, Injure, Fait précis, Police, Bonne foi, Preuve de la vérité, Requalification (non), Citation directe (conditions de validité, qualification juridique exacte)
L'imputation à la police de l'air et des frontières de « méthodes brutales [...] visant en priorité [...] les noirs et les arabes », constitue l'expression d'une opinion injurieuse et non diffamatoire.
Par cet arrêt du 7 décembre 2010, la Chambre criminelle revient sur les éléments permettant de distinguer l'injure de la diffamation. En l'espèce, de tracts avaient été diffusés au cours d'une manifestation de soutien à des étrangers sans papiers ; ils comprenaient notamment le passage suivant : « les méthodes brutales de la police, arrestation, perquisition, visent en priorité, dans l'esprit de ses agents souvent familiers des idées racistes, les noirs et les arabes ». Trois individus furent cités devant le tribunal correctionnel, à la suite d'une plainte du ministre de l'Intérieur pour diffamation et injures publiques envers la police nationale. Relaxés en première instance - le tribunal leur ayant reconnu le bénéfice de la bonne foi -, ils furent condamnés en appel pour diffamation publique envers une administration publique, la cour d'appel ayant retenu que l'affirmation suivant laquelle des agents étaient « familiers des idées racistes », même en modérant cette allégation avec l'ajout de l'adverbe « souvent », associée à la dénonciation de « méthodes brutales » visant « en priorité... les noirs et les arabes », constituait un fait précis au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, procédait d'un amalgame hâtif et revêtait un caractère outrancier, excédant ce qui est tolérable dans le débat politique et excluant la bonne foi.
Dans leur pourvoi, les prévenus prétendaient que les propos litigieux ne constituaient pas une articulation précise de faits mais une opinion critique relevant du seul débat d'idées, ce qui était propre à caractériser une injure et non une diffamation. La Chambre criminelle leur donne raison. Dans son arrêt, celle-ci commence par rappeler, au visa de l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, que, « pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ». On rappellera, en effet, que ce qui distingue l'injure de la diffamation (définies aux al. 1er et 2 de l'art. 29), c'est l'imputation d'un fait précis, vérifiable, ouvrant la possibilité, le cas échéant, de rapporter la preuve de sa vérité (par le biais de l' exceptio veritatis, fait justificatif prévu à l'art. 35 L. 29 juill. 1881) ou, pour l'auteur de sa diffusion, d'établir sa bonne foi, suivant les critères posés par la jurisprudence (absence d'animosité personnelle, légitimité du but poursuivi, prudence dans l'expression, travail sérieux d'enquête préalable ; sur la distinction entre injure et diffamation, v. la jur. citée ss l'art. 29 L. 29 juill. 1881, Code pénal Dalloz, par ex. récemment, Crim. 13 avr. 2010 ; 1er sept. 2010 ; Ass. plén. 25 juin 2010). Elle estime qu'en l'espèce, « les propos incriminés constituaient l'expression d'une opinion injurieuse », et que la cour d'appel a méconnu le texte susvisés et le principe ainsi rappelé. La cassation a lieu sans renvoi, dès lors que l'article 53 de la loi sur la liberté de la presse, qui précise, à peine de nullité, les conditions de validité de la citation directe, parmi lesquelles figure celle d'exactitude de la qualification juridique, interdit toute requalification des faits.
Crim. 7 déc. 2010, n° 10-81.984, F-P+B
Références
« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l'imputation d'aucun fait précis. Dans la mesure où elle n'est pas précédée de provocations, l'injure est un délit lorsqu'elle est publique, et une contravention lorsqu'elle n'est pas publique. »
« Allégation ou imputation d'un fait, constitutive d'un délit ou d'une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne ou d'un corps constitué. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Article 29
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
Article 35
« La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l'article 31.
La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou offerts au public sur un système multilatéral de négociation ou au crédit.
La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :
a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;
b) Lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ;
c) Lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;
Les deux alinéas a et b qui précèdent ne s'appliquent pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur.
Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.
Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l'objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d'une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l'instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation.
Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. »
Article 53
« La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite.
Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère public.
Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. »
■ Crim. 13 avr. 2010, Bull. crim. no 66 ; AJ pénal 2010. 397, note G. Royer ; Dr. pénal 2010, no 79, obs. M. Véron.
■ Crim. 1er sept. 2010, Dr. pénal 2010, no 119, obs. M. Véron.
■ Ass. plén. 25 juin 2010, D. 2010. Chron. 2090, obs. V. Vigneau.
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