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[ 3 mars 2025 ] Imprimer

Droit de la famille

Divorce pour faute liée au non-respect du devoir conjugal : violation du droit au respect de la vie privée

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé, dans un arrêt de chambre condamnant la France, que le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante en raison de l’inaccomplissement de son devoir conjugal emporte violation du droit au respect de la vie privée.  

CEDH, 23 janv. 2025 n° 13805/21, H.W. c. France

L’affaire concernait un divorce pour faute prononcé aux torts exclusifs de la requérante en application des articles 229 et 242 du Code civil et au motif que celle-ci avait cessé d’avoir des relations intimes avec son conjoint depuis plusieurs années. La requérante ne remettait pas en cause le principe du divorce, qu’elle demandait également, mais les motifs pour lesquels il avait été prononcé, qu’elle estimait attentatoires au droit au respect de sa vie privée. Les juges internes avaient en effet justifié leur décision de prononcer le divorce à ses torts exclusifs par son refus injustifié d’entretenir des relations intimes avec son mari ; ne pouvant être expliqué par des raisons de santé, ce refus lui était donc imputable et constituait, pour reprendre les termes légaux, une « violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune » (C. civ., art. 242). 

La conformité de cette décision aux règles internes de droit de la famille ne prêtait pas à discussion. Découle en effet de l’obligation de communauté de vie incombant aux personnes mariées (art. 215 C. civ.) un « devoir conjugal », obligeant chaque époux à entretenir des relations intimes avec son conjoint : si les avances de ce dernier peuvent être occasionnellement déclinées, elles ne doivent pas être durablement ignorées. En outre, une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation rendue en application du texte précité contribue à la vitalité d’une telle obligation, dont l’inexécution peut constituer une faute justifiant le divorce (Civ. 2e, 16 déc. 1963 ; Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 11-14.822). Tel qu’en l’espèce, le divorce peut ainsi être prononcé aux torts exclusifs d’une personne mariée qui s’est trop systématiquement dérobée sans pouvoir s’en justifier par les motifs traditionnellement admis, liés à l’âge ou à la maladie, ces éléments objectifs retirant à l’inexécution du devoir conjugal son caractère fautif (v. J. Garrigue et V. Deschamps, Droit de la famille, Dalloz, Coll. Hyper Cours, 3e éd., n° 208)

Sous l’angle des droits et libertés fondamentales en revanche, le prononcé du divorce était autrement plus contestable ; en effet, nombreux sont ceux qui considèrent aujourd’hui que le devoir conjugal restreint de manière intolérable la liberté sexuelle des personnes mariées, contredit leur droit à disposer de leur corps et porte atteinte au droit au respect de leur vie privée. Précisément, dans sa requête déposée auprès des juges strasbourgeois, l’ex-épouse soutenait que les juridictions françaises avaient méconnu l’article 8 de la Convention en jugeant fautif l’inaccomplissement de son devoir conjugal. 

Or la Cour constate que le « devoir conjugal », tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire, ne prend nullement en considération l’exigence du consentement aux relations sexuelles. À cet égard, la Cour rappelle que tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle, même dans le cadre du mariage, lequel ne peut servir à justifier le recours à la contrainte privée pour assurer l’exécution forcée de cet impératif légal qu’est le devoir conjugal. Ainsi, la subsistance du devoir conjugal, faute de prendre en compte le consentement, n’est pas compatible avec la répression du viol, qui reste un crime dans l’hypothèse où l’auteur et la victime sont mariés. En ce sens, les juges précisent que le consentement au mariage ne saurait emporter un consentement aux relations sexuelles futures. Sur le terrain de la sexualité, le consentement doit alors s’entendre comme l’expression de la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle a lieu et en tenant compte de ses circonstances. Ce qui signifie, dans le cadre du mariage, que le consentement n’est jamais acquis et doit être renouvelé à la faveur de chaque relation intime. Le lien marital ne permet ni de présumer le consentement à une relation sexuelle, ni de légitimer son absence. 

La Cour en déduit que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.

En ce qui concerne la légitimité du but poursuivi, la Cour n’identifie en outre aucune raison propre à justifier l’ingérence des pouvoirs publics dans le champ de la sexualité, considérée comme « l’un des aspects les plus intimes de la vie privée ». À ce titre, seules des « raisons particulièrement graves » peuvent justifier leur immixtion dans ce domaine. Or dans cette affaire, la Cour ne relève aucune raison d’une gravité particulière propre à justifier une telle ingérence, en conséquence considérée comme attentatoire à la vie privée de la requérante, dont elle relève que le conjoint avait la possibilité de demander le divorce pour altération définitive du lien conjugal à titre principal et non à titre subsidiaire, comme il le fit en l’espèce. 

Elle en conclut que la réaffirmation du devoir conjugal et le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et que les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Il s’ensuit une violation de l’article 8. 

La lutte contre les violences domestiques et sexuelles passe par tous les pans du droit. Parallèlement au droit pénal qui les réprime, le droit de la famille doit faire en sorte de les prévenir. Au cœur de cette politique commune, la notion centrale de consentement, outre sa possible intégration dans la redéfinition pénale du viol et des agressions sexuelles (v. AN, Proposition de loi n° 842, 21 janv. 2025), voit sa portée ici accrue par la décision des juges européens de souligner son application aux relations sexuelles conjugales : le consentement ne souffre d’aucune exception, même dans le cadre du mariage. 

Références :

■ Civ. 2e, 16 déc. 1963 : D.1964. J.227

■ Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 11-14.822 

 

Auteur :Merryl Hervieu

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