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Droit de la famille
Divorce pour faute : précisions sur les indemnités et prestations
Mots-clefs : Divorce, Faute, Préjudice, Préjudice distinct, Prestation compensatoire, Prestation en capital, Modalités de paiement, Modalités exclues, Délai
L'époux qui invoque un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du lien conjugal peut en demander la réparation à son conjoint dans les conditions du droit commun, aucun délai ne pouvant être accordé pour le versement de la première fraction de la prestation compensatoire.
Le divorce d’un couple avait été prononcé aux torts exclusifs du mari, pour des faits de violence. Par la suite, son ex-épouse avait demandé l'indemnisation d’un préjudice distinct de celui causé par le comportement violent de son ancien conjoint, résultant cette fois de son comportement manipulateur, ce dernier l’ayant coupée de sa famille et de ses proches, et n'ayant eu de cesse de la dénigrer. En appel, sa demande fut rejetée au motif que seules les fautes retenues par le premier juge et non contestées devant lui pouvaient donner lieu à réparation. Les juges du fond s’appuyaient sur le raisonnement suivant : le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs du mari pour des faits de violence pour lesquels il avait été condamné pénalement, et l’appelante ayant déjà été indemnisée en conséquence, elle ne pouvait plus, dès lors, solliciter la réparation de faits nouveaux, non retenus par le juge ayant prononcé le divorce. En outre, les juges du fond concédèrent à l’époux un délai de six mois pour régler la prestation compensatoire mise à sa charge, pour en différer le paiement à la date des opérations de liquidation et partage de la communauté.
Cette décision est cassée par la première chambre civile, qui relève tout d’abord, au visa de l’article 1240 du Code civil, que l'époux qui invoque un préjudice distinct de celui consécutif au divorce peut en demander la réparation à son conjoint, avant d’ajouter, cette fois au visa de textes spécifiques au divorce, les articles 274 et 275 du Code civil, que le juge qui fait application du second de ces textes ne peut accorder de délai pour verser la première fraction de la prestation compensatoire. Sous ses deux aspects, la motivation ne surprend pas. Concernant l’indemnisation d’une part, si celle-ci peut être obtenue pour réparer les dommages résultant directement de la disparition du lien conjugal (C. civ., art. 266), rien n'empêche l’époux victime d'un préjudice distinct de celui découlant de la dissolution du mariage d'invoquer le droit commun de la responsabilité civile pour en obtenir réparation. Ainsi le préjudice résultant d’une faute antérieure à la rupture est-il, à la condition de le prouver, réparable. Si cette faute se confond le plus souvent avec celle ayant conduit et justifié le prononcé du divorce, cela n’est pas toujours le cas, comme en témoigne la décision rapportée. L’époux est ainsi tout à fait en droit d’invoquer certaines fautes au stade du prononcé du divorce et d’autres dans le cadre de sa demande de dommages et intérêts. En l’espèce, l’épouse était donc fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice lié à la manipulation exercée par l’époux, même si cette faute n’avait pas été retenue pour prononcer le divorce. Précisons que, théoriquement, la faute, appréciée sur le fondement de la responsabilité de droit commun, n'a pas à être qualifiée comme doit l’être celle visée par l'article 242 du Code civil pour justifier le prononcé du divorce. La faute exigée dans le cadre de l'article 1240 du Code civil n'a donc pas en principe à être grave ou renouvelée, ni à rendre intolérable le maintien de la vie commune, même si en pratique, une faute simple, mineure, ne pourra suffire à obtenir l’indemnisation. D’autre part, concernant les modalités de paiement de la prestation compensatoire, la solution allait également de soi, la Haute cour procédant au rappel de la limite régulièrement apportée à la règle légale autorisant le juge, par faveur pour le débiteur de la prestation compensatoire ne disposant pas de liquidité immédiate, à constituer le capital en huit annuités (C. civ., art. 275) ; en effet, une jurisprudence constante interdit au juge qui fait application de ce texte d’accorder à l’époux débiteur de cette prestation un délai pour en verser la première fraction (V. notam., Civ. 2e, 18 mars 1998, n° 94-16.910; Civ. 2e, 6 juill. 2005, n° 03-18.038). Cette jurisprudence respecte ainsi les termes de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire en matière de divorce qui, certes, a admis que le paiement en capital de la prestation compensatoire puisse être fractionné en huit annuités lorsque le débiteur n’a pas la capacité financière de s'acquitter immédiatement du capital alloué, mais sans pour autant autoriser à différer le paiement de cette prestation, laquelle est exigible dès que le divorce acquiert force de chose jugée, et encore d’en reporter le règlement à une date incertaine comme celle de la liquidation de la communauté. En l’espèce pourtant, les juges du fond s’étaient affranchi de cette interdiction pour différer le versement de la totalité du capital alloué à la date de la liquidation de la communauté, sans faire usage de la faculté offerte par l'article 275-1 du Code civil de fractionner le paiement du capital en plusieurs annuités dans la limite de huit ans. La première chambre civile leur rappelle alors l’existence de cette possibilité de fractionnement et la limite qui y est apportée, celle de ne pas pouvoir différer ni le paiement total du capital, ni même la première fraction du capital en accordant un délai au débiteur. Dès avant la loi du 30 juin 2000, qui admettait la rente temporaire et rendait ainsi possible l’utilisation de la prestation à terme, le juge fixant fréquemment une limite dans le temps au versement de la prestation en rente, la Cour de cassation avait déjà précisé qu’il s’agissait d'un terme extinctif et non d'un terme commandant l'exigibilité de la prestation pour refuser, en raison de son incertitude, que la date de la liquidation de la communauté soit prise en compte (Civ. 2e, 27 févr. 1985, n° 84-10.681). Quant à l'utilisation d'un terme pour fixer la date d'exigibilité de la prestation, avant que la loi de 1975 n'introduise la possibilité d'échelonner le versement du capital dans la limite de huit années, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, alors qu'elle avait admis la possibilité de versements mensuels (Civ. 2e, 14 oct. 1987, n° 86-15.182 ), avait une fois encore interdit aux juges du fond d’user de la faculté de reporter la date d'exigibilité du règlement de la prestation pour leur interdire de différer ce règlement à la date de la liquidation de la communauté (Civ. 2e, 29 avr. 1998, n° 96-19.890).
Civ. 1re, 7 déc. 2016, n° 15-27.900
Références
■ Civ. 2e, 18 mars 1998, n° 94-16.910 P, D. 1998. 107 ; RTD civ. 1998. 353, obs. J. Hauser.
■ Civ. 2e, 6 juill. 2005, n° 03-18.038 P, D. 2005. 2176 ; AJ fam. 2005. 404, obs. S. David ; RTD civ. 2005. 765, obs. J. Hauser.
■ Civ. 2e, 27 févr. 1985, n° 84-10.681 P, D. 1986. 112, obs. A. Bénabent.
■ Civ. 2e, 14 oct. 1987, n° 86-15.182 P.
■ Civ. 2e, 29 avr. 1998, n° 96-19.890.
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