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Droit de la famille
Divorce : prohibition du témoignage des descendants
Mots-clefs : Divorce, Descendants, Preuve, Témoignages
La prohibition posée par l'article 205 du Code de procédure civile qui interdit aux descendants d'être entendus lors d’une procédure de divorce sur les griefs invoqués par les époux s'étend aux déclarations recueillies en dehors de l'instance en divorce.
On ne peut pas tuer le père ! Telle pourrait être la conclusion, navrante pour les psychanalystes, de l’arrêt commenté. Limite exceptionnelle à la liberté de la preuve de la faute en cas de divorce, la prohibition légale du témoignage des descendants, dont l’espèce rappelle la dualité de fondements (art. 205 C. pr. civ. et 259 C. civ.), commande au juge de ne pas tenir compte des déclarations des enfants du couple en instance de divorce. Bien connue, l’interprétation particulièrement rigoureuse de cette interdiction par la Cour de cassation est généralement illustrée par l’exhaustivité de la liste des descendants concernés et par l’étendue des déclarations visées : outre qu’elle porte sur les témoignages directs comme indirects — même rapportées au juge par un tiers, les déclarations des descendants restent irrecevables —, la prohibition s’étend aux enfants d'un premier lit ou nés en dehors des liens du mariage, aux concubins des descendants et à leurs conjoints, même divorcés. En revanche, l’étendue des instances concernées par l’interdiction est moins souvent soulignée. Bienvenu, cet arrêt rappelle ainsi ce que la jurisprudence décide depuis longtemps : l’interdiction s’applique aux déclarations recueillies même en dehors de l’instance en divorce.
En l'espèce, il s'agissait d’une main courante déposée au commissariat par les quatre enfants du couple, censée servir de preuve au comportement fautif de leur père. Les juges du fond refusant d’en tenir compte, l’épouse, contestant que le divorce fût prononcé aux torts partagés et non aux torts exclusifs de l’époux, s’était pourvue en cassation. Au soutien de sa thèse, centrée sur l’administration de la preuve, elle fit valoir que les déclarations litigieuses, recueillies dans le cadre d’une enquête de police étrangère à l’instance en divorce, ne sauraient par principe être écartées des débats. Ainsi se trouvait soumise à la Cour de cassation la question de savoir si le témoignage des descendants, recueilli dans le cadre d’une procédure distincte de la procédure de divorce, reste interdit. Sans surprise, la première chambre civile répondit par l’affirmative. Comme de coutume, la solution ici rappelée est sans ambiguïté. Extrêmement fournie, la jurisprudence rendue en la matière fait, en effet, preuve d’une fermeté inchangée depuis 1958 (Civ. 2e, 12 déc. 1958 ). Cette fermeté est partagée par le législateur qui, depuis 1804, exclut les descendants de la liste des personnes pouvant témoigner dans un procès en divorce. La formule lapidaire utilisée dans le droit antérieur l’illustre bien : les parents pouvaient être entendus « à l'exception des descendants » (art. 245 C. civ. et anc. art. 262 C. pr. civ.). Manifestement inflexible, le législateur précise désormais que les descendants ne peuvent « jamais » être entendus sur les griefs invoqués par les époux. Ainsi la prohibition semble-t-elle revêtir, pour le législateur comme pour le juge, un caractère général et absolu.
Leurs raisons sont évidentes :
– d’une part, le devoir de décence et de respect filial, peu important l'âge du descendant, que la loi prescrit à l'article 371 du Code civil selon lequel l'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère ;
– d’autre part, le risque de manipulation de l’enfant par chacun des antagonistes qui, s’il se réalisait, porterait atteinte à son intérêt, jadis protégé, aujourd’hui promu.
Intangible, la règle ne souffrirait aucune dérogation. En fait, la recevabilité de la déclaration est parfois admise :
– en l’absence de témoignage direct ou indirect sur la cause du divorce en tant que telle (Civ. 2e, 2 oct. 1975, le fait rapporté par l’enfant étant sans rapport immédiat avec le fait reproché) ;
– au pénal, l'audition de descendants pourrait être recevable, comme nécessaire à la manifestation de la vérité, si le motif invoqué comme cause de divorce était que l’un des époux ait attenté à la vie de l’autre ;
– enfin, le témoignage de tout autre membre de la famille : en ce sens, la cour d'appel de Paris a admis la recevabilité d'attestations versées par le mari et émanant de sa famille, soulignant que seule la famille proche est à même de connaître la vie d'un couple (Paris, 24e ch., 31 oct. 2002). Solution étonnante au regard de la formule judiciaire : « le souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille » pourrait en effet justifier l’extension de la prohibition des auditions à des membres de la famille autres que les descendants. Sauf à considérer, comme le laisse entendre cet arrêt, que la rigueur affichée par les juges n’est justifiée que par le seul impératif de protection des intérêts nés du lien, spécifique, qui unit les enfants à leurs parents.
Civ. 1re, 1er févr. 2012, n°10-27.460
Références
■ Code civil
« Les fautes de l'époux qui a pris l'initiative du divorce n'empêchent pas d'examiner sa demande ; elles peuvent, cependant, enlever aux faits qu'il reproche à son conjoint le caractère de gravité qui en aurait fait une cause de divorce.
Ces fautes peuvent aussi être invoquées par l'autre époux à l'appui d'une demande reconventionnelle en divorce. Si les deux demandes sont accueillies, le divorce est prononcé aux torts partagés.
Même en l'absence de demande reconventionnelle, le divorce peut être prononcé aux torts partagés des deux époux si les débats font apparaître des torts à la charge de l'un et de l'autre. »
« Les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l'aveu. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux. »
« L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère. »
■ Article 205 du Code de procédure civile
« Chacun peut être entendu comme témoin, à l'exception des personnes qui sont frappées d'une incapacité de témoigner en justice.
Les personnes qui ne peuvent témoigner peuvent cependant être entendues dans les mêmes conditions, mais sans prestation de serment. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps. »
■ Civ 2e, 12 déc. 1958, D. 1959. Jur. 52 ; S. 1959. 53.
■ Civ. 2e, 2 oct. 1975, Bull. civ. II, n° 239.
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