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Droit des obligations
Dol du mandataire et responsabilité du mandant : la Cour de cassation vient de trancher
La responsabilité du mandant ne peut être engagée du seul fait du dol du mandataire.
Ch. mixte, 29 oct. 2021, n° 19-18.470
La responsabilité civile du mandant est-elle engagée du fait des manœuvres dolosives du mandataire ? C’est à cette question, vivement discutée en jurisprudence comme en doctrine, que la chambre mixte devait répondre à l’effet de clarifier l’état du droit positif sur ce point déterminant de l’exécution du contrat de mandat à l’égard des tiers.
À l’occasion de la cession d’actions d’une société, un des anciens dirigeants (le mandataire) a reçu de son épouse et de ses enfants (les mandants) un mandat de vendre les actions qu’ils possédaient. Or les nouveaux acquéreurs et actionnaires ont considéré qu’un projet de départ du directeur général de la société leur avait été dissimulé, ce qui caractérisait un dol. Ils ont donc assigné le mandataire, qui avait commis les manœuvres dolosives et appelé en intervention les mandants, sur le même fondement du dol. Ils ont renoncé à demander l'annulation de la cession et limité leur demande à des dommages-intérêts (sur cette possibilité pour la victime du dol de demander la réparation de son préjudice à la place de l’annulation, C. civ., art. 1178 ; v. déjà Civ., 4 févr. 1975, n° 72- 13.217 ; Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-11.796).
La cour d’appel a rejeté la demande des nouveaux acquéreurs et actionnaires à l’encontre des mandants car aucun élément ne permettait de retenir qu’ils auraient participé personnellement à la dissimulation d’un projet de départ du directeur général de la société.
Ils faisaient alors grief à la cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur le dol des mandants alors « qu'en toutes hypothèses, le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ; que les manœuvres dolosives du mandataire, déterminantes du consentement du cocontractant, sont opposables au mandant ». Or en l'espèce, la cour d'appel avait expressément relevé la qualité de mandants de l'épouse et des enfants du mandataire dont le dol commis pendant l’exécution de son mandat était également établi. En déboutant cependant l’acquéreur de sa demande tendant à les voir condamner solidairement au paiement de dommages et intérêts au titre du dol, au motif inopérant qu'aucun élément ne permettait de retenir que les mandants auraient « personnellement participé aux arrangements dolosifs », quand ces agissements avaient été accomplis dans les limites du mandat conféré au cédant, la cour d'appel aurait ainsi violé l'article 1998 du Code civil.
La chambre mixte devait alors répondre à la question de savoir si le comportement dolosif du mandataire, ayant vicié le consentement du cocontractant du mandant, engageait la responsabilité de ce dernier.
Elle rappelle, d’une part, que la victime d’un dol peut soit agir en nullité de la convention sur le fondement des articles 1137 et 1178, alinéa 1er, du Code civil, soit en réparation du préjudice sur le fondement des articles 1240 et 1241 du même code.
Elle précise d’autre part que si le mandant est, en vertu de l’article 1998 du Code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l’inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manœuvres dolosives du mandataire, dans l’exercice de son mandat, n’engagent la responsabilité du mandant que s’il a personnellement commis une faute, qu’il incombe à la victime d’établir.
Or après avoir retenu l’existence de manœuvres dolosives de la part du mandataire pour ne pas avoir révélé à l’acquéreur le projet de départ du directeur général de la société contrôlée et estimé qu’aucun élément ne permettait d’établir que les mandants, épouse et enfants du mandataire, avaient personnellement participé aux arrangements dolosifs, ce dont il résultait qu’aucune faute de leur part n’était démontrée, la cour d’appel en a exactement déduit que leur responsabilité civile ne pouvait être engagée du seul fait d’avoir donné mandat de céder leurs actions.
Régi par les articles 1984 à 2010 du Code civil, le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne pouvoir à une autre, le mandataire, de conclure en son nom et pour son compte un ou plusieurs actes juridiques avec un tiers. Il est caractérisé par le pouvoir donné par le mandant au mandataire pour l’accomplissement d’un acte juridique au nom et pour le compte du premier. Classé parmi les contrats d’affaires les plus usuels, le mandat est un contrat de représentation, en principe gratuit mais présumé salarié dès l’instant que, tel qu’en l’espèce, le mandataire est un professionnel. Par l’effet précisément de cette représentation, un tiers (en l’espèce, le cessionnaire des actions) intègre la relation qui, de bilatérale, devient triangulaire. Concernant les relations entre le mandant et les tiers, celles-ci sont régies par l’article 1998 du Code civil aux termes duquel « le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ». Lorsque le mandataire exécute sa mission dans le respect du pouvoir qui lui a été confié par son mandant, celui-ci est directement et personnellement engagé envers le tiers contractant, comme s’il avait lui-même directement contracté avec lui (Civ. 1re, 14 nov. 1978, n° 77-12.183 ; Civ. 3e, 21 mars 2019, n° 17-28.021 : L’exécution des obligations contractuelles passées par un mandataire au nom et pour le compte de son mandant incombe à ce dernier seul). Il en résulte que seul le mandant engage en principe sa responsabilité en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution des engagements souscrits par le mandataire dans le cadre de sa mission. Par l’effet de la représentation (parfaite), le mandataire « est transparent » (P. Puig, Les contrats spéciaux, 8e éd., n° 971, p. 778) : il disparaît en effet de la scène juridique une fois sa mission accomplie, s’effaçant ainsi derrière son mandant, seul à être tenu de l’engagement contracté avec le tiers (C. civ., art. 1154). Le contrat dont il a, en qualité d’intermédiaire, permis la conclusion, ne saurait alors, ni lui profiter (il ne peut en réclamer l’exécution), ni lui nuire : il n’est donc pas tenu responsable de sa mauvaise d’exécution et des dommages en résultant pour le tiers contractant (P. Puig, op. cit. loc. cit.). Au surplus, les effets de la représentation sont d’autant plus étendus que la jurisprudence les a depuis longtemps déployés (Cass. req., 30 juill. 1895) en sorte d’obliger le mandant à assumer non seulement toutes les suites conventionnelles des actes accomplis par le mandataire, mais également celles de son fait délictuel, dès lors qu’il a été commis à l'occasion de la mission lui ayant été confiée. C’est la raison pour laquelle les auteurs du pourvoi jugeaient en l’espèce les manœuvres dolosives du mandataire opposables à ses mandants, conformément à ce qu’en vertu d’une approche extensive du mécanisme de la représentation, la Cour de cassation avait déjà pu retenir, ayant affirmé à plusieurs reprises que le mandant est responsable du dol commis par le mandataire dans l’exécution de son mandat, dès lors qu’il n’y a pas eu de dépassement des pouvoirs de représentation conférés (Civ. 3e, 29 avr. 1998, n° 96-17.540, Civ. 1re, 15 juin 2016, n° 15-14.192, 15-17.370 et 15-18.113) : « en principe, la disparition du mandataire impose au mandant d'exécuter toutes les obligations que crée l'acte conclu par le premier avec le tiers. Le mandant est seul partie à l'acte et tous ses effets se produisent dans son patrimoine. Par conséquent, le tiers peut opposer au mandant tous les actes effectués par le mandataire, même ses fautes délictuelles (…) » (Mainguy, Contrats spéciaux, Dalloz 7e éd.). Dominait ainsi en jurisprudence l’idée que lorsqu’un contrat avait été obtenu par le dol du mandataire, la représentation du mandant s'appliquait au dol, le représenté subissant donc les conséquences de ce dol comme si lui-même l'avait commis.
La jurisprudence n’était cependant pas unanime. Rendus non pas sous l’angle de l’étendue du pouvoir conféré par le mandant au mandataire, mais sous celui de la faute commise par le mandant et de son lien causal avec le dommage subi par la victime du dol du mandataire, certains arrêts exigeaient déjà la commission d’une faute personnelle du mandant pour engager sa responsabilité (Civ. 1re, 23 mai 1977, n° 76-10.716 ; Civ. 3e, 15 avril 2021, n° 19-20.424). La fragilité de l’argument tiré du mécanisme de la représentation permet d’expliquer la limite apportée à l’obligation du mandant de répondre des faits fautifs commis par le mandataire dans le cadre de sa mission : si ce mécanisme impose au mandant d'assumer les effets des actes de son représentant, le texte de l'article 1998 du Code civil fixe néanmoins une borne, contractuelle, à l'engagement du mandant et à l’étendue de sa responsabilité : ce texte ne permet d'engager la responsabilité du mandant à l'égard des tiers qu'en matière contractuelle. Il ne saurait donc être tenu des suites du fait fautif, notamment dolosif, du mandataire, autres que la nullité du contrat. Dans cette perspective, l’engagement de la responsabilité délictuelle du mandant n’était admis qu’à la condition d’établir sa faute personnelle en même temps que son lien causal avec le dommage subi par le tiers, la faute la plus fréquente consistant à avoir donné procuration à un mandataire ne présentant pas les qualités requises (culpa in eligendo) et dans un défaut de contrôle (culpa in vigilendo).
Aussi est-ce cette dernière justification de la responsabilité du mandant que la chambre mixte préfère ici adopter : celle qui considère que le mandant est tenu non par suite du principe de la représentation, mais celle de sa faute personnelle. Dès lors que la victime ne sollicite, tel qu’en l’espèce, que des dommages-intérêts, la demande se fonde alors sur la faute civile et met en œuvre la responsabilité extracontractuelle de droit commun. Cette responsabilité incombe normalement à l'auteur de la faute. Lorsque la faute est commise par le mandataire, c'est donc sur lui qu'elle pèse. Le mandant ne répond plus des fautes de son représentant, d’autant moins qu’il n'est pas un commettant dont la responsabilité pourrait être recherchée sur le fondement de l'article 1242, alinéa 5, du Code civil, et que le représentant n'est pas un préposé dont les fautes engageraient la responsabilité du représenté. Dans cette perspective, il est à noter que si le mandataire est évidemment responsable sur le terrain contractuel envers son mandant, notamment en raison de son dol (C. civ., art. 1992), la jurisprudence admet qu’il puisse également engager sa responsabilité extracontractuelle pour tous les délits et quasi-délits commis au préjudice de tiers, même s’il a agi sur les instructions du mandant dans l’accomplissement de sa mission (Civ. 1re, 20 avr. 1977, n° 75-14.232 ; Civ. 1re, 13 oct. 1992, n° 91-10.619), la faute du mandataire pouvant consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif (Civ. 1re, 1er févr. 1984, n° 82-12.843 ; Civ. 3e, 6 janv. 1999, n° 96-18.690). Ainsi, en l’espèce, le mandataire se trouvait-il personnellement responsable envers le tiers acquéreur de la société de la commission d’un délit civil que constitue, en même temps qu’une faute précontractuelle, le dol, qu’il avait commis de sa seule initiative, exclusive de toute participation des mandants à sa réalisation.
Aussi bien, l’arrêt ne surprend pas à la lumière du nouvel article 1138 du Code civil qui prévoit que « le dol est constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaire, préposé, ou porte-fort du contractant ». Alors que le droit antérieur à la réforme du droit des contrats ne sanctionnait par la nullité du contrat le dol que s’il émanait de l’une des parties à l’acte (C. civ. art. 1116 anc.), il est désormais admis que le dol peut tout aussi bien être constitué lorsqu’il émane d’un représentant, notamment d’un mandataire. Or même lorsque ce sont des dommages-intérêts qui sont demandés, le succès de l’action fondée sur le dol suppose que ses conditions, en l’occurrence celle relative à son auteur, soient réunies.
Si en faisant le choix d’ériger la faute personnelle du mandant en condition d’engagement de sa responsabilité, jadis retenue du seul fait dolosif de son mandataire, la chambre mixte « entend ainsi faciliter, pour l'avenir, l'interprétation de sa jurisprudence par les praticiens du droit », son option n’est cependant pas exempte de critiques. La principale tient à la distinction qu’elle opère entre délit et contrat qui, dans la configuration du mandat, est en vérité relative : « (q)uand le délit du mandataire consiste dans l'accomplissement d'un acte qui rentrait dans ses pouvoirs, et n'était délictuel que par les circonstances dans lesquelles le mandataire l'a fait, cet acte lie le mandant envers les tiers de bonne foi en vertu des principes mêmes du mandat » (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, LGDJ, t.XI, Contrats civils, 2e partie). La solution est également contestable en ce qu’elle permet au mandant de bénéficier de l’exécution du contrat à des conditions favorables obtenues grâce au dol de son mandataire sans avoir à rendre compte à quiconque de ce bénéfice indû.
Références :
■ Civ. 1re, 4 févr. 1975, n° 72- 13.217
■ Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-11.796
■ Civ. 1re, 14 nov. 1978, n° 77-12.183 P
■ Civ. 3e, 21 mars 2019, n° 17-28.021 P: D. 2019. 583 ; ibid. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; RDI 2019. 288, obs. D. Noguéro ; RTD civ. 2019. 586, obs. H. Barbier
■ Cass. req., 30 juill. 1895: DP 1896, 1, p. 132
■ Civ. 3e, 29 avr. 1998, n° 96-17.540 P: AJDI 1999. 538 ; ibid. 491, étude F. Cohet-Cordey ; RDI 1998. 386, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ; RTD civ. 1998. 930, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 1999. 89, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 15 juin 2016, n° 15-14.192, 15-17.370 et 15-18.113
■ Civ. 1re, 23 mai 1977, n° 76-10.716 P
■ Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-20.424 P:D. 2021. 799
■ Civ. 1re, 20 avr. 1977, n° 75-14.232 P
■ Civ. 1re, 13 oct. 1992, n° 91-10.619: RDI 1993. 237, obs. D. Tomasin ; RTD com. 1993. 364, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 1er févr. 1984, n° 82-12.843 P
■ Civ. 3e, 6 janv. 1999, n° 96-18.690 P: D. 2000. 426, note C. Asfar ; RDI 1999. 255, obs. B. Boubli ; RTD civ. 1999. 403, obs. P. Jourdain
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