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[ 23 septembre 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Dol et vice caché : la Cour de cassation innove !

Les mensonges d’un vendeur quant à la présence d’algues toxiques à proximité du bien immobilier constituent un dol justifiant l’annulation du contrat et l’échouage saisonnier de ces algues, phénomène extérieur, naturel et imprévisible, constitue un vice caché justifiant la garantie du vendeur.

Civ. 3e, 15 juin 2022, n° 21-13.286

En matière immobilière, parmi les différents fondements dont il dispose pour remettre en cause la vente, l’acquéreur insatisfait dispose notamment du dol et de la garantie des vices cachés. L’arrêt rapporté présente l’intérêt d’en offrir une significative et inédite illustration : faisant pour la première fois application du nouvel article 1137 du code civil relatif au dol, il renouvelle en outre la notion de vice caché et confirme, enfin, la possibilité pour l’acquéreur d’un bien atteint d’un vice caché par un vendeur coupable de dol d’agir sur le double fondement, que l’on a cru pendant longtemps devoir dissocier, du dol et de la garantie des vices cachés. 

En l’espèce, un vendeur avait vendu une maison à usage d’habitation située en Martinique, à proximité immédiate de l’océan. Après la vente, l’acquéreur, qui vivait sur l’île et dans la commune considérée depuis plusieurs années, avait dénoncé un défaut d’information imputable au vendeur, qui aurait tu intentionnellement les nuisances générées par l’échouage saisonnier d’algues sargasses. Il avait assigné le vendeur en annulation de la vente sur le fondement principal du dol et, subsidiairement, en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Ses demandes écartées en première instance puis en appel, l’acquéreur s’est pourvu en cassation.

Dans un premier moyen, il reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir écarté le dol commis au motif inopérant de l’ignorance, par le vendeur, du caractère déterminant pour son acheteur des éléments dissimulés lors de la vente alors qu’associé à son caractère intentionnel, ce caractère déterminant, même inconnu du vendeur, est caractéristique du dol. La Haute cour casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1137 nouveau du code civil. Elle rappelle la définition du dol qui se limite au fait d’obtenir par ruse le consentement de son cocontractant, par des manœuvres ou par un silence coupable, peu important la connaissance par le vendeur du caractère décisif pour son acheteur des informations tues. Ainsi le simple constat des réponses mensongères apportées par le vendeur aux questions posées par son acheteur, dans l’intention de le tromper, suffisait-il en l’espèce à caractériser le dol commis.

Dans le second moyen, l’acquéreur reprochait aux juges du fond d’avoir écarté sa demande en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés au motif une nouvelle fois inopérant que les désagréments liés à l’échouage des algues trouvaient leur source dans un phénomène naturel, extérieur au bien acquis et imprévisible pour le vendeur. L’acheteur soutenait au contraire que la notion de vice caché, ie le vice rendant le bien impropre à l’usage auquel on le destine, n’exclut pas que le vice trouve sa cause dans un événement extérieur au périmètre de l’immeuble. La Haute cour casse l’arrêt au visa de l’article 1641 du code civil. Après avoir rappelé la teneur de ce texte définissant l’objet de la garantie des vices cachés, elle juge que la cour d’appel en a violé les termes en ajoutant à la loi une restriction qu’elle ne comporte pas, considérant à tort qu’un phénomène extérieur, naturel et imprévisible ne peut être constitutif d’un vice caché.

■ Précisions sur la définition du dol

L’arrêt rapporté renseigne d’abord sur la qualification du dol selon l’article 1137 nouveau du code civil dont il fait une première application. En effet, la réforme du droit des contrats a entendu tenir compte des évolutions apportées par la jurisprudence sur l’exigence de son caractère déterminant du consentement. Ainsi, aux termes de son premier alinéa, le dol renvoie désormais à la commission de « manœuvres » ou de « mensonges », tandis que le second alinéa qualifie également de dol « la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». En l’espèce, il était établi que les mensonges répétés du vendeur aux réponses posées par son acheteur constituaient une dissimulation intentionnelle par le premier d’un fait déterminant du consentement du second. Or la Haute cour juge indifférente la méconnaissance, par le vendeur, du caractère déterminant pour son acheteur du fait dissimulé. Autrement dit, pour caractériser le dol, il suffit de prouver séparément la dissimulation du vendeur, d’une part, et le caractère déterminant de l’information pour l’acquéreur, d’autre part. En l’espèce, ces deux éléments ont été respectivement rapportés, justifiant l’annulation du contrat nonobstant le fait que le vendeur ait ignoré le caractère déterminant du consentement de son acheteur des éléments non révélés.

■ Précisions sur la notion de vice caché

L’apport de l’arrêt consiste également dans la qualification de vice caché d’un événement naturel et extérieur à l’immeuble, alors que la notion vise en principe un défaut interne et structurel au bien vicié. L’élargissement de la notion devrait connaître une large portée : sans même se présenter comme un risque naturel, dont la dissimulation peut d’ores et déjà conduire à la résolution du contrat (v. C. envir., art. L.125-5 ; Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-16.700), tout phénomène naturel observé dans l’environnement de l’immeuble et susceptible d’emporter des conséquences dommageables pour ses occupants pourrait justifier la garantie du vendeur. À la condition, classique et au demeurant essentielle pour ne pas dénaturer la notion, que le phénomène naturel dénoncé rende le bien immobilier impropre à l’usage auquel on le destine, ou en diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il l’avait connu (C. civ., art. 1641). Ainsi le droit de la vente vient-il utilement concourir à la protection contre les risques sanitaires et environnementaux et dans le même temps, renforcer celle de l’acquéreur immobilier. Si ce surcroît de protection comporte le risque d’une complexification des transactions immobilières, il présente néanmoins l’avantage majeur de dissuader les vendeurs de tout comportement dolosif. Sous la réserve de ne pas étendre abusivement cette nouvelle approche du vice caché, la solution est heureuse tant pour le droit de l’environnement que pour le droit des acheteurs immobiliers de vivre dans des conditions respectueuses de leur santé.

■ Précisions sur le cumul des actions

Enfin, l’arrêt confirme la possibilité, longtemps controversée, de cumuler les actions en nullité pour dol et en résolution pour garantie des vices cachés (v. déjà Civ. 3e, 23 sept. 2020, n°19-18.104). En l’espèce, l’acquéreur a en effet été jugé recevable à agir, sur le fondement du droit commun, en nullité pour dol, ainsi qu’en résolution du contrat pour vice caché, sur le fondement du droit spécial de la vente. Contribuant à la richesse de ses enseignements, cette solution offre ainsi un exemple significatif de cumul des actions offertes à l’acquéreur dont la portée doit être soulignée : au-delà même de la vente d’immeuble, ce cumul des actions engagées par l’acquéreur, insatisfait du bien acquis, sur le double fondement du dol et de la garantie des vices cachés, semble bel et bien admis et le débat sur son admission, clos. 

Références :

■ Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-16.700 D. 2019. 1836 ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki

■ Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-18.104 D. 2020. 1888 ; AJDI 2021. 467, obs. G. Trédez ; RTD civ. 2020. 879, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu


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