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Droit des obligations
Dol : l’absence de protection de la caution
Seul le débiteur principal peut se prévaloir de la nullité relative tirée du dol : cette exception purement personnelle ne peut en conséquence être opposée au créancier par sa caution.
Com. 27 janv. 2021, n° 18-22.541
Le 2 juin 2014, une société acquiert un fonds de commerce de discothèque pour un prix payable en 84 échéances mensuelles, son engagement étant garanti par une caution solidaire. À la suite de la défaillance de la société cessionnaire, la société cédante fait inscrire une hypothèque sur un bien immobilier appartenant à la caution. En septembre 2015, les deux sociétés sont mises en liquidation judiciaire. Le liquidateur judiciaire de la société cédante, après avoir déclaré la créance de celle-ci au passif de la société cessionnaire, fait délivrer à la caution un commandement de payer valant saisie immobilière. La caution demande alors l’annulation de l’acte de vente pour dol, estimant avoir été trompée sur le montant exact du chiffre d’affaires tel qu’il avait été faussement indiqué dans l’acte de cession du 2 juin 2014. Sa demande rejetée par les juges du fond, la caution forme un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché l’exactitude du chiffre d’affaires de 120 000 euros stipulé dans l’acte et prétendument réalisé sur la période comprise entre le 1er octobre 2013 et le 2 juin 2014, alors qu’aucune comptabilité n’avait été tenue et qu’aucun livre comptable ne lui avait été fourni. En s’abstenant de procéder à cette recherche qui seule leur aurait permis d’apprécier si elle n’avait pas été trompée sur l’objet de son engagement, les juges du fond auraient privé leur décision de base légale au regard des articles 1130 et 1137 nouveaux du Code civil.
La question de principe posée à la Cour par cet unique moyen de cassation est de savoir si la caution est recevable à invoquer contre le créancier (en l’espèce, la société cédante) la nullité du contrat principal pour dol, ou si cette nullité ne peut être invoquée que par le débiteur principal personnellement (en l’espèce, la société cessionnaire).
À cette question, la Cour apporte une réponse sans ambiguïté par un motif de pur droit qui la conduit à rejeter le pourvoi : selon l’article 2313 du Code civil, « la caution n’est pas recevable à se prévaloir d’une nullité relative tirée du dol subi par le débiteur principal, qui constitue une exception purement personnelle destinée à protéger ce dernier seulement ».
Aussi bien, la demanderesse n’était-elle pas, en sa qualité de caution solidaire, recevable à agir en annulation du contrat de vente conclu entre le cédant et le cessionnaire en raison du dol qui aurait affecté le consentement de ce dernier et qui, à ce titre, était seul à pouvoir demander l’annulation du contrat conclu.
Autrement dit, le vice du consentement constituant une cause de nullité relative que seul le cocontractant peut invoquer, cette règle se traduit, en droit du cautionnement, par l’inopposabilité de cette exception de nullité, personnelle au débiteur principal, au créancier par la caution. Consacrée par un arrêt controversé rendu le 8 juin 2007 en chambre mixte (Ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602), cette solution se justifie à la fois par le caractère accessoire du cautionnement (C. civ., art. 2288, 2289 et 2313) et par les conditions de validité du contrat relevant du droit commun, plus particulièrement par celles qui régissent le consentement (C. civ., art. 1130 s., spéc. art. 1137).
Plus précisément, pour refuser à la caution la possibilité d’invoquer contre le créancier la nullité du contrat principal pour dol, la Haute cour se fonde sur trois motifs principaux :
■ Tout d’abord, le cautionnement est un contrat qui se forme par le seul échange des consentements de la caution et du créancier, et le dol qui vicie le consentement de l’une des parties ne peut entraîner la nullité du cautionnement que s’il émane de l’autre partie (Civ. 1re, 20 mars 1989, n° 87-15.450). En d’autres termes, bien qu’il soit accessoire à l’obligation du débiteur principal envers le créancier (Com. 26 janv. 1988, n° 85-17.662), le cautionnement est une convention conclue entre la caution et le créancier, à laquelle le débiteur n’est pas partie. Le dol dont le créancier s’est rendu coupable est donc jugé indifférent pour ce qui concerne la caution, tiers au contrat de cautionnement du débiteur principal. Cet argument tiré de l’autonomie du contrat de cautionnement par rapport au contrat principal est néanmoins contestable, si l’on admet que la caution ne peut être regardée comme un tiers au sens strict par rapport au débiteur principal et réciproquement, le débiteur principal n’étant pas complètement étranger au contrat de cautionnement. Le cautionnement se présente en réalité comme une opération tripartite qui justifie que le débiteur soit parfois qualifié de « tiers-débiteur » (H. L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. III n° 7). S’il ne comporte en principe qu’un engagement unissant en droit deux contractants, le cautionnement intéresse en pratique trois protagonistes : la caution s’engage parce que le débiteur le veut et le débiteur le veut parce que le créancier l’exige. Dans un arrêt du 2 février 1972, la Cour de cassation a reconnu elle-même que le cautionnement « implique des engagements entre trois personnes, un créancier, un débiteur et une caution » (Civ. 1re, 2 févr. 1972, n° 70-12.312). Dans cette relation triangulaire, l’imbrication des engagements est naturelle et les irrégularités qui affectent chacun d’eux se répercutent inévitablement sur l’ensemble de l’opération.
■ Ensuite, la nullité du contrat pour vice du consentement est relative, en sorte qu’elle ne peut être invoquée que par le contractant qui se prétend victime d’un tel vice, en l’occurrence, le débiteur principal. De ce point de vue, l’argument est également critiquable : l’analyse moderne du régime des nullités instaure un droit de critique de l’acte vicié (J. Flour et J-L. Aubert, Droit civil, les obligations, vol 1, L’acte juridique n° 328, p. 247, et n° 335, p. 256). Ce droit de critique est attribué à certaines personnes en fonction du but visé par la règle violée : si celle-ci relève de l’intérêt général, le droit de critique sera indiscutablement accordé à tous les intéressés, parmi lesquels figure la caution. Si elle soutient un intérêt particulier, ce droit est restreint à ceux intéressés à l’acte, en sorte que la caution conserve à ce titre le droit de critiquer l’acte contraire à la règle considérée en vertu du droit direct qu’elle a acquis en participant à l’opération de cautionnement (Ph. Simler, Cautionnement et garanties autonomes, Litec 3e éd., n° 226 s.). C’est donc au mépris de cette nouvelle approche que la Cour de cassation refuse d’accorder à la caution le bénéfice de la nullité relative du contrat principal, par une application purement littérale des articles 2289 et 2313 du Code civil et de leur distinction entre les exceptions personnelles et les exceptions inhérentes à la dette. C’est d’ailleurs ce qui explique que la troisième chambre civile ait reconnu, par un arrêt opportunément divergent rendu en 2005, le droit de la caution à se prévaloir du dol dont avait été victime le débiteur principal, quand bien même ce dernier ne l’avait pas soulevé, au motif que « la caution peut (…) prendre l’initiative de faire anéantir à son égard le contrat principal en faisant constater sa nullité fondée sur le dol commis par le créancier à l’égard du débiteur principal, ce qui avait pour effet de le décharger de sa propre obligation de paiement ». (Civ. 3e, 11 mai 2005, n° 03-17.682).
■ Enfin, l’exception de nullité du contrat principal pour dol est une exception purement personnelle au débiteur principal, que la caution ne peut opposer au créancier, en vertu de l’article 2313, alinéa 2 du Code civil : contrairement à l’exception de nullité appartenant au débiteur et inhérente à la dette principale (C. civ., art. 2313, al. 1), l’opposabilité par la caution d’une exception purement personnelle au débiteur, en ce qu’elle ne peut être justifiée par la théorie de l’accessoire, se voit en conséquence exclue. Là encore, ce dernier motif peine à convaincre. En effet, le second alinéa de l’article 2289 du Code civil, également applicable en la matière, admet qu’on puisse « (…) cautionner une obligation, encore qu’elle pût être annulée par une exception purement personnelle à l’obligé ; par exemple dans le cas de minorité ». Or si la minorité revêt en effet un caractère purement personnel qui justifie l’exception à l’impossibilité de cautionner une obligation annulable (C. civ., art. 2289, al. 1), on peut s’interroger sur l’opportunité de l’exemple retenu, dans la mesure où la théorie des vices du consentement qui, par leurs caractères, affectent personnellement leurs victimes, eût sans doute été une hypothèse plus significative. En outre, si l’on s’en réfère à l’article 1315 du Code civil concernant la solidarité, qui contient une distinction voisine, sont rangées traditionnellement parmi les exceptions « purement personnelles » visées par cet article les exceptions d’erreur, de violence et de dol (Avis M. de Gouttes, Premier avocat général, Ch. mixte, 8 juin 2007, préc.). Surtout, tandis que l’erreur d’un codébiteur laisse subsister l’obligation de ses codébiteurs engagés solidairement, celle du débiteur principal rend nulle son obligation et supprime ainsi le support nécessaire au cautionnement. Si la caution était obligée de payer comme le débiteur solidaire, elle serait alors privée de recours contre le débiteur principal. Il conviendrait alors de procéder à une interprétation extensive de l’article 2289, alinéa 2 du Code civil, qui prenant l’incapacité tirée de la minorité du débiteur principal pour simple exemple, autoriserait la caution à se prévaloir d’autres causes de nullité relative de l’obligation principale, tels que les vices du consentement, cette solution découlant à la fois du caractère accessoire et de la règle de l’article 2290 du Code civil, selon laquelle « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ». Les vices de consentement entachant le consentement du débiteur devraient donc pouvoir être invoqués par la caution. Au surplus, certains auteurs considèrent que l’exception de nullité pour vice du consentement peut être assimilée à une exception « inhérente à la dette » au sens de l’article 2313 du Code civil (H, L. et J. Mazeaud, F. Chaban, Leçons de droit civil - Sûretés et publicité foncière, 7e éd. p. 35), dans la mesure où les vices du consentement ne pouvant être séparés du consentement lui-même, ils sont donc « inhérents à la dette ». D’autres observent encore (P. Delebecque et Ph. Simler, Les Sûretés, la publicité foncière, Dalloz 3e éd. ; A. Schneider, JCP G 2002, I.121, p. 545) que le débiteur principal et la caution sont tenus « d’une seule et même dette », malgré l’absence d’identité de contenu de leurs engagements respectifs, dès lors que le cautionnement peut être contracté « pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses » (art. 2290, al. 2) et puisque l’engagement que souscrit la caution envers le créancier est contracté à titre accessoire ou subsidiaire (art. 2289). Certains membres de la doctrine poursuivent le raisonnement encore plus loin en défendant l’idée que le cautionnement, sûreté personnelle fondée sur la confiance, n’échappe pas à un certain intuitus personae (D. Houtcieff, « Contribution à l’étude de l’intuitus personae et considération de la personne du créancier par la caution », RTD civ. 2003-3 ; M. Rémond-Gouilloud ; JCP 1977 ; Doctr. I n° 2850-18) : le créancier n’accepte la caution qu’en considération de la confiance qu’elle lui inspire et la caution n’accepte de s’engager qu’en considération de la personne du débiteur, notamment de la confiance qu’il fait aux capacités de remboursement de ce dernier.
En considération de l’ensemble des réserves et critiques qui précèdent, la caution serait fondée à invoquer les vices du consentement dont elle a pu être, directement ou indirectement (lorsque la victime directe est le débiteur principal) victime, a fortiori dans le contexte du cautionnement, propice aux manœuvres dolosives de la part de ceux qui, pour obtenir une telle garantie, peuvent être tentés de dissimuler la teneur réelle de la dette garantie, au détriment de la caution qui souscrit un engagement lourd de conséquences. C’est pourquoi la doctrine majoritaire, à partir de son analyse propre du cautionnement, se montre favorable à la recevabilité de l’exception de nullité du contrat principal pour dol lorsqu’elle est invoquée par la caution contre le créancier.
Contrairement à l’opinion dominante de la doctrine et à l’arrêt divergent de la troisième chambre de 2005, l’arrêt rapporté confirme sans réserve ni ambiguïté sa position antérieure, en se fondant sur les motifs de droit mis en avant par la jurisprudence, entremêlant le droit des sûretés et la théorie générale du contrat et du dol : selon la Cour, en sanctionnant le dol par la nullité du contrat, le droit des contrats a entendu protéger le contractant dont le consentement a été vicié. Le vice du consentement affecte ce que chacun a de plus personnel, sa liberté de décision. Partant, la caution ne doit pas pouvoir en appeler au bénéfice de cette protection dès lors que ce n’est pas sa liberté qui a été viciée mais celle du débiteur principal, seul à même d’opposer au créancier cette exception de nullité qui lui est « purement personnelle ». Cela étant, l’iniquité d’une telle solution pour la caution doit être tempérée : bien qu’elle ne dispose plus du recours subrogatoire en cas d’annulation de l’obligation principale prévu par l’article 2306 du Code civil, elle conserve en revanche, le recours personnel que lui ouvre l’article 2305 du Code civil et dispose encore, dans les conditions prévues par l’article 2308, alinéa 2, d’une action en répétition.
Références :
■ Ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602 P: D. 2008. 514, note L. Andreu ; ibid. 2007. 1782, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2201, note D. Houtcieff ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; AJDI 2008. 699, obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2008. 331, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 585, obs. D. Legeais ; ibid. 835, obs. A. Martin-Serf
■ Civ. 1re, 20 mars 1989, n° 87-15.450 P
■ Com. 26 janv. 1988, n° 85-17.662 P
■ Civ. 1re, 2 févr. 1972, n° 70-12.312 P
■ Civ. 3e, 11 mai 2005, n° 03-17.682 P: D. 2005. 1451 ; RTD civ. 2005. 590, obs. J. Mestre et B. Fages
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