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Droit de la fonction et des services publics
Dommage causé par un EPIC : quel juge choisir ?
La Cour de cassation rappelle que les dommages causés à un tiers par l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public relèvent de la seule compétence du juge administratif.
Si l’action en responsabilité extracontractuelle en réparation des dommages causés à un tiers par le fonctionnement d’un EPIC relève, en principe, de la compétence de la juridiction judiciaire, le juge administratif redevient compétent lorsque le dommage trouve sa cause dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public.
Se plaignant d’infiltrations affectant leur logement et provenant, aux termes des conclusions de l’expert désigné en référé, d’un immeuble voisin, un couple avait assigné devant le juge judiciaire une société privée, en qualité de propriétaire originaire de cet immeuble, ainsi que l’office public d’habitation qui en avait ensuite fait l’acquisition, aux fins d’obtenir réparation de leurs préjudices. L’établissement public avait alors soulevé une exception d’incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative.
Pour rejeter cette exception, la cour d’appel, après avoir relevé que le rapport d’expertise judiciaire énonçait que l’humidité présente au domicile du couple trouvait son origine dans un défaut d’étanchéité de la toiture de l’immeuble litigieux, se déclara compétente au motif que l’établissement public, à caractère public et commercial, n’avait pas au surplus été assigné en raison de l’exercice d’une prérogative de puissance publique ou en raison de l’exécution de travaux publics, mais en sa seule qualité de propriétaire d’un immeuble dépendant de son domaine privé.
Au visa de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, la Cour de cassation casse cette décision. Elle rappelle que si l’action en responsabilité extracontractuelle en réparation des dommages causés à un tiers par le fonctionnement d’un service public industriel et commercial relève, en principe, de la compétence de la juridiction judiciaire, il en va autrement lorsque les dommages allégués trouvent leur cause dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public. Ainsi, en statuant comme elle l’a fait, par des motifs impropres à exclure que l’ouvrage dont l’établissement était propriétaire fût affecté au service public du logement et présentât, par suite, le caractère d’ouvrage public, de sorte que la juridiction administrative serait seule compétente pour connaître de l’action tendant à la réparation des dommages causés aux tiers par cet ouvrage, la cour d’appel avait violé les textes susvisés.
C’est un rappel d’un principe qui peut sembler aller de soi mais que les juges du fond avaient pourtant, en l’espèce, méconnu, celui de la compétence du juge administratif pour connaître de la responsabilité encourue en cas de dommages générés par le fonctionnement de services publics. Cette règle de compétence se fonde sur la loi des 16 et 24 août 1790, qui figure au visa de la décision rapportée, laquelle interdit aux tribunaux judiciaires de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs ». C’est cette même loi qui avait également servi de support légal à l’arrêt Blanco (T. confl., 8 févr. 1873), qui avait tout à la fois érigé le service public en critère de compétence de la juridiction administrative, affirmé la spécificité des règles applicables aux services de l’État et noué le lien, qui ne fut depuis jamais rompu, entre le fond du droit applicable et la compétence de la juridiction administrative. Si elle semble désormais évidente, la responsabilité de l'État à raison des dommages causés par des services publics n’était pourtant, avant cette décision, qu’exceptionnellement encourue, ne pouvant être engagée qu’en matière contractuelle ou par le biais de quelques lois spéciales. La conversion de l’exception en principe date ainsi de cet arrêt fondateur du droit administratif, dont les faits méritent d’être brièvement rappelés : un enfant avait été renversé et blessé par un wagon appartenant à une manufacture exploitée en régie par l'État ; le père avait saisi les tribunaux judiciaires pour engager la responsabilité civile de l'État, sur le fondement des anciens articles 1382 (responsabilité pour faute) à 1384 (responsabilité du fait des choses) du code civil. Le conflit fut élevé au Tribunal des conflits qui en attribua la compétence à la juridiction administrative, excluant ainsi que la responsabilité de l'État du fait d’un service public puisse être fondée sur des dispositions du code civil, et refusant en conséquence que son appréciation fût faite, en vertu de la séparation des pouvoirs, par le juge judiciaire.
Toutefois, cette affirmation de principe fut ensuite, comme en témoigne la décision rapportée, tempérée. La notion de service public n’ayant plus été jugée comme le seul critère de répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions, la jurisprudence a en conséquence décidé que les litiges nés du fonctionnement d’un service public industriel et commercial devaient en principe relever de la juridiction judiciaire (T. confl. 22 janv. 1921, Sté commerciale de l'Ouest africain) et que lorsque un service public est, comme dans cette affaire, géré par une personne privée, la compétence du juge administratif suppose d’établir que le dommage a été directement causé par l'accomplissement de travaux publics ou par l'exercice d'une prérogative de puissance publique (CE 23 mars 1983, S.A. Bureau Véritas et autres, n° 33803 et 34462). En l’espèce peu importait donc la qualité de personne privée du gestionnaire du service public, ni le caractère industriel et commercial de ce dernier. Ces circonstances ne suffisaient pas à exclure la compétence du juge administratif dès lors que le dommage provenait de l’ouvrage public, plus exactement d’un défaut d’exécution de travaux publics réalisés au soutien de l’exécution du service public du logement, dont l’indemnisation ne pouvait en conséquence être demandée au juge judiciaire.
Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 18-13.232
Références
■ T. confl., 8 févr. 1873, Blanco : Lebon
■ T. confl. 22 janv. 1921, Sté commerciale de l'Ouest africain : Lebon
■ CE 23 mars 1983, S.A. Bureau Véritas et autres, n° 33803 et 34462 : Lebon
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