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Droit de la famille
Dommages et intérêts en cas de divorce : attention au fondement de la demande !
Doit être cassé l’arrêt qui, pour condamner l’épouse à indemniser le préjudice subi par son ancien conjoint sur le fondement de l'article 266 du Code civil, retient qu'après le départ de celle-ci du domicile conjugal avec les deux enfants du couple pour une installation en Guadeloupe, l’époux a été privé de ses filles pendant onze mois, en dépit d'une ordonnance de non-conciliation fixant leur résidence à son domicile, alors que le préjudice indemnisé ne résultait pas de la dissolution du mariage.
Civ. 1re, 20 sept. 2023, n° 21-24.787
Le divorce d’un couple est prononcé aux torts exclusifs de l’épouse. En appel, celle-ci est condamnée à payer à son ex-mari une somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 266 du Code civil, qui dispose que lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'un des époux, celui-ci peut être condamné à des dommages-intérêts en réparation des conséquences d'une particulière gravité que la dissolution du mariage fait subir à son conjoint. Devant la Cour de cassation, l’ex-épouse conteste sa condamnation au moyen que le préjudice réparé, soit le fait d’avoir pour son ancien conjoint été privé de ses filles pendant près d’un an, ne résultait pas de la dissolution du mariage. La première chambre civile adhère au moyen du pourvoi, et casse l’arrêt d’appel qui, pour condamner l’épouse à indemniser son conjoint sur le fondement de l’article 266, a retenu qu'à la suite du départ de celle-ci du domicile conjugal avec les deux enfants du couple pour une installation en Guadeloupe, leur père a été privé de ses filles pendant onze mois, en dépit d'une ordonnance de non-conciliation fixant leur résidence à son domicile. En statuant ainsi, alors que le préjudice indemnisé ne résultait pas de la dissolution du mariage, la cour d'appel a violé la disposition précitée du code civil.
Malgré leur banalisation, les ruptures causent souvent à l’époux délaissé des blessures que le droit entend réparer : pour réparer de tels préjudices, il est possible d’accorder des dommages-intérêts à l’époux trahi par son conjoint. Si l’octroi d’une indemnité peut sembler dérisoire, sa portée symbolique ne doit pas être négligée si bien que, nonobstant sa volonté de dissocier causes et conséquences du divorce, le législateur n’a pas supprimé la possibilité de dédommager l’époux meurtri. Aujourd’hui encore, deux dispositions permettent de lui accorder une compensation : il est admis de se fonder non seulement sur le traditionnel article 1240 du Code civil mais également sur l’article 266 du même code. Ces deux textes n’ont toutefois pas la même fonction : alors que le premier justifie la réparation des dommages causés par une faute, le second autorise la réparation des conséquences dommageables résultant directement du divorce. À la différence du premier texte, l’article 266 n’a donc pas été conçu pour réparer les dommages causés par des comportements illicites : il ne joue que pour les préjudices matériels et moraux résultant directement de la disparition du lien conjugal (v. notam. Civ. 1re, 15 avr. 2015, n° 14-11.575). Sa mise en œuvre est toutefois subordonnée à des conditions extrêmement strictes. Un époux ne peut d’abord s’en prévaloir que dans deux situations : « lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint » ou « lorsqu’il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu’il n’avait lui-même formé aucune demande en divorce » (C. civ., art. 266, al. 1). En outre, les conséquences qu’entraîne la dissolution du lien conjugal ne sont prises en compte que si elles sont d’une particulière gravité et qu’elles résultent de manière directe et certaine de la cessation de l’union. À défaut d’établir un préjudice répondant à ces deux conditions cumulatives, la demande présentée sur le fondement de l’article 266 du Code civil doit être rejetée, comme l’illustre l’arrêt rapporté. Ce rejet est d’autant plus regrettable que la demande indemnitaire de l’époux aurait très certainement prospéré sur le fondement de l’article 1240, susceptible d’être mis en œuvre dès lors que l’un des membres du couple a subi un préjudice provoqué par la faute de son conjoint. Il permet ainsi d’indemniser les dommages qui résultent de tout comportement répréhensible, tel qu’un adultère, des faits de violence ou encore, ainsi qu’en l’espèce, l’abandon du domicile conjugal, conjugué à la violation des droits parentaux du conjoint. Empêchant le préjudice subi d’être réparé, l’erreur de fondement ici commise doit alors inciter l’époux divorcé, même aux torts exclusifs de l’autre, à vérifier l’adéquation du texte invoqué à l’origine exacte de son dommage. Attention donc aux erreurs de fondement, qui conduisent au rejet de la demande (v. déjà Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-22.746).
Références :
■ Civ. 1re, 15 avr. 2015, n° 14-11.575 : D. 2015. 922 ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2015. 594, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-22.746 : RTD civ. 2022. 596, obs. A.-M. Leroyer
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