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Droit des obligations
Donation consentie par une personne sous habilitation familiale : une autorisation sous conditions
Le représentant d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté peut être judiciairement autorisé à consentir une donation au nom du représenté à la double condition de respecter son intention et ses intérêts.
Civ. 1re, avis, 15 déc. 2021, n° 21-70.022
Par l’avis rapporté, la Cour de cassation prend position sur une question centrale du droit des majeurs protégés pourtant laissée, jusqu’alors, en suspens : la possibilité d’autoriser la personne habilitée à représenter un majeur inapte à exprimer sa volonté à consentir une donation en son nom. L’admettant sous conditions, la première chambre civile y apporte une réponse nuancée à l’effet de conjuguer deux impératifs : la protection de la personne vulnérable et le respect de sa liberté individuelle.
Habilitation familiale - Selon l’article 494-1 alinéa 1er du code civil relatif à l’habilitation familiale, lorsqu'une personne est dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté, le juge des tutelles peut habiliter une ou plusieurs personnes choisies parmi ses ascendants ou descendants, frères et sœurs, conjoint, partenaire pacsé ou concubin, à la représenter ou à l'assister dans les conditions prévues à l'article 467 du code civil, ou bien encore à passer un ou des actes en son nom dans les conditions et selon les modalités prévues par le droit de la protection des majeurs protégés qui ne lui sont pas contraires, afin d'assurer la sauvegarde de ses intérêts.
Ce dispositif, qui figure à la section 6 du chapitre consacré aux mesures de protection juridique des majeurs, est soumis aux principes directeurs de protection des majeurs énoncés à l'article 415 du code civil, aux termes duquel « (l)es personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre. Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci. Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »
Donation en cas d’habilitation familiale - Selon l’alinéa 2 de l’article 494-6 du même code, relatif à l’objet de cette habitation familiale, la personne habilitée à représenter (et non pas seulement à assister) un majeur protégé ne peut accomplir d’acte de disposition à titre gratuit (comme une donation) sans une autorisation du juge des tutelles. Par ailleurs, l’alinéa suivant précise que l’habilitation, en principe réservée à l’accomplissement de certains actes, peut plus généralement porter sur l’ensemble des actes relatifs aux biens ou à la personne à protéger visés par ce texte.
Problématique - Se pose alors la question au cœur de l’avis rapporté de la possibilité et le cas échéant, des conditions, de l’octroi à la personne habilitée d’une autorisation judiciaire à consentir une donation au nom de la personne protégée lorsque l’habilitation consiste en la représentation générale d’une personne qui est dans l’impossibilité totale d’exprimer sa volonté : « L'absence de caractérisation d'une intention libérale, présente ou passée, de la personne protégée, fait-elle nécessairement obstacle à la possibilité, pour le juge des contentieux de la protection, d'autoriser la personne habilitée à la représenter de manière générale pour l'ensemble des actes relatifs à ses biens, sur le fondement des articles 494-1 et suivants du code civil, à procéder à une donation ? ». Le problème central à la source de la question posée à la Cour par le tribunal judiciaire de Rouen réside dans l’impossibilité de connaître, dans une telle hypothèse, la volonté de la personne protégée. Or, aux termes de l'article 894 du code civil, la donation entre vifs est l’acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte et comme toute libéralité, elle suppose, outre l'appauvrissement du gratifiant, l'existence d'une intention libérale vis-à-vis du gratifié. C’est donc l’intention libérale qui pose ici difficulté : le juge des contentieux de la protection peut-il autoriser la personne habilitée à effectuer une donation au nom de la personne protégée alors même qu’aucun élément ne permettrait d’établir la moindre intention libérale de sa part ?
Analyse de la Cour – Il convient de distinguer entre les premiers arguments, juridiques, et le dernier, d’opportunité.
■ Arguments juridiques. Face à l’absence de réponse légale, la Cour procède par comparaison avec deux régimes prévus par le code civil, la tutelle, d’une part, et les libéralités, d’autre part.
° Elle se réfère d’abord naturellement au régime de la tutelle, matrice légale en matière de représentation des personnes vulnérables. Selon la Cour, l'article 494-6, alinéa 4, du code civil est à rapprocher de l'article 476, alinéa 1er, du même code, aux termes duquel la personne en tutelle peut, avec l'autorisation du juge, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations, ce qui constitue une exception au principe posé à l'article 509 de ce code, selon lequel le tuteur ne peut, même avec une autorisation, accomplir des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée. Elle note en ce sens que « (d)ans le but de mieux respecter la volonté de la personne placée sous un système de protection nécessitant en principe sa représentation, le législateur contemporain lui a ainsi reconnu une certaine liberté de disposer à titre gratuit de ses biens entre vifs (…) ». Ce qui vaut pour la tutelle devrait donc valoir pour l’habilitation familiale prenant la forme d’une représentation.
° Elle distingue ensuite entre le régime des libéralités à cause de mort et celui des libéralités entre vifs : à la différence de l'article 476, alinéa 2, qui prévoit que la personne en tutelle ne peut rédiger son testament que seule, le tuteur ne pouvant ni l'assister ni la représenter, ce qui suppose donc que le tutélaire soit capable d'exprimer librement sa volonté au moment de sa rédaction, l'article 494-6, alinéa 4, n'exclut pas le cas où la personne protégée représentée est hors d'état de manifester sa volonté. Distinguer là où la loi ne distingue étant proscrit, la donation doit pouvoir être autorisée même si la personne protégée ne peut exprimer sa volonté.
■ L’argument d’opportunité. La Cour ajoute aux arguments juridiques qui précèdent un motif d’opportunité, tenant à la nécessité d’autoriser la personne habilitée à donner au nom du représenté mais sous la réserve, au demeurant essentielle, de l’encadrer : « interdire toute donation (…) aboutirait à geler le patrimoine de la personne jusqu'à son décès et pourrait, en constituant un frein aux solidarités familiales, s'avérer contraire à ses intérêts. À l'inverse, permettre son autorisation sans restriction reviendrait à nier le caractère personnel de la donation ».
Conclusion de la Cour – « Dans cette hypothèse, il incombe par conséquent au juge des contentieux de la protection, de s'assurer, d'abord, au vu de l'ensemble des circonstances, passées comme présentes, entourant un tel acte, que, dans son objet comme dans sa destination, la donation correspond à ce qu'aurait voulu la personne protégée si elle avait été capable d'y consentir elle-même, ensuite, que cette libéralité est conforme à ses intérêts personnels et patrimoniaux, en particulier que sont préservés les moyens lui permettant de maintenir son niveau de vie et de faire face aux conséquences de sa vulnérabilité ».
On retrouve ici le double objet de la protection recherchée, celle de la volonté de la personne protégée d’une part, celle de ses intérêts personnels et patrimoniaux, d’autre part.
■ Protection de la volonté de la personne protégée. Rechercher la volonté de la personne inapte à l’exprimer repose sur une analyse globale supposant de tenir compte de l’ensemble des circonstances, antérieures et concomitantes à la donation, établissant que la personne aurait voulu y consentir. Même contextuelle, cette analyse paraît difficile à opérer. Il s’agirait en vérité d’une intention libérale supposée à partir de « l’objet » de la donation (nature du bien ou du droit, son assiette, son montant, etc.) et de sa « destination », qui peut tout autant viser le bénéficiaire de la libéralité que les motifs poursuivis par sa conclusion. Cette proposition est conforme au faisceau d’indices concordants pour établir, de manière générale, l’intention libérale d’un donateur.
■ Protection des intérêts de la personne protégée. Cette seconde étape paraît plus facilement applicable : il convient d’abord de rechercher, négativement, si l’appauvrissement causé par la donation laissera un patrimoine suffisant pour subvenir aux besoins du majeur protégé (absence de contrariété à ses intérêts patrimoniaux) et positivement, si cet acte peut lui permettre, par l’intermédiaire de son représentant, d’anticiper et d’optimiser la transmission de son patrimoine (conformité à ses intérêts personnels/familiaux).
En définitive, la Cour de cassation offre une solution assurant un équilibre conforme à la politique générale poursuivie en matière de protection des personnes vulnérables, à la fois libérale et protectrice.
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