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Droit des successions et des libéralités
Donation : licéité de la clause résolutoire de plein droit
Mots-clefs : Libéralités, Clause résolutoire de plein droit, Validité, Rôle du juge
Il est loisible aux parties de déroger aux dispositions de l’article 956 du Code civil en stipulant, dans l’acte de donation, que la révocation aura lieu de plein droit par le seul fait de l’inexécution des conditions, ce qui rend le principe posé à l’article 1183 du même code applicable.
Malgré les termes apparemment prohibitifs de l'article 956 du Code civil (« La révocation pour cause d’inexécution des conditions, ou pour cause d’ingratitude, n’aura jamais lieu de plein droit »), il arrive que les parties incluent dans la donation une clause de résolution expresse pour le cas où le donataire n'exécuterait pas les charges que la libéralité fait peser sur lui.
Précisément, une telle clause avait, dans l’espèce rapportée, été stipulée dans l’acte de donation par lequel un époux donnait à son épouse séparée de biens la nue-propriété d’une maison d’habitation, à charge pour la donataire d’en financer les charges courantes, les réparations et les impôts. Or il était prévu dans l’acte une révocation de plein droit de cette donation en cas d’inexécution des charges, dans un délai d’un mois à compter de la délivrance d’un commandement resté infructueux. Au décès du donateur, sa fille sollicita la révocation de plein droit de la donation.
Pour rejeter sa demande, la cour d’appel affirma que la révocation d’une donation pour inexécution des charges n’a jamais lieu de plein droit et qu’elle doit toujours rester soumise à l’appréciation du juge ; en ce sens, elle retint que les époux avaient, durant trente ans, confondu leurs revenus et leurs dépenses, notamment dans le financement des travaux et charges de la maison, que le donateur ne s’était jamais plaint du non-respect des conditions de la donation et enfin, qu’il ne résultait pas des éléments du dossier une inexécution grave de ces conditions.
Formant un pourvoi devant la Cour de cassation, l’héritière du donateur soumettait à la Haute cour la question de la validité de la clause résolutoire de plein droit stipulée dans une libéralité entre époux, en cas d’inexécution des charges.
Au visa des articles 956, 1134 et 1183 du Code civil, la première chambre civile y répond par l’affirmative, rappelant par un attendu de principe la validité de la résolution de plein droit des donations et par là même, la possibilité de déroger à l’article 956 du Code civil : « Attendu qu’il est loisible aux parties de déroger aux dispositions du premier de ces textes en stipulant, dans l’acte de donation, que la révocation aura lieu de plein droit par le seul fait de l’inexécution des conditions et que, dans ce cas, le principe posé par le dernier est applicable ». Elle censure en conséquence la décision de la cour d’appel qui, tout en ayant déduit de l’expertise et des documents bancaires produits le fait que la donataire n’avait pas financé l’intégralité des travaux et charges de l’immeuble donné, priva néanmoins d’effet la clause résolutoire litigieuse.
La jurisprudence affirme depuis longtemps qu'il est loisible aux parties de déroger à l'article 956 du Code civil en incluant dans l'acte de donation une clause selon laquelle la révocation de cet acte aura lieu de plein droit par le seul fait de l'inexécution des charges (Civ., 30 mai 1911. – Civ. 1re, 14 févr. 1956. – Civ. 1re, 20 juin 1960). Les juges ont adopté cette solution en dépit des termes, pourtant très clairs, de l'article 956 du Code civil parce que, en vérité, il appartient toujours au disposant de faire de l'obligation qu'il impose à l'autre partie une condition proprement dite de l'acte ; en même temps qu'une charge, le même fait devient alors une condition, au sens propre, en ce que le disposant ou ses héritiers peuvent appliquer l'article 1183 et déclarer l'acte résolu de plein droit par la réalisation de cette condition résolutoire qui devient dans ce cas l'inexécution de l'obligation imposée (v. R. Savatier).
En principe, la clause de résolution de plein droit devrait dispenser les parties de recourir au juge. Cela étant, « (c)ette précaution est un peu illusoire ; si le donataire refuse la restitution, il faudra aller devant le juge » et la seule utilité de la clause sera « de limiter les pouvoirs du juge à la vérification des conditions de la résolution » (v. M. Planiol et G. Ripert), ce qui abrégera la procédure.
En l’espèce, les conditions prévues laissaient au juge peu de marge de manœuvre. En effet, la clause énonçait qu’à défaut d'exécution des charges au terme fixé, la donation serait résolue de plein droit après un commandement resté infructueux. Or cette formule équivaut à la stipulation d'une condition résolutoire absolue : il dépend du donataire de faire se réaliser cette condition en n'exécutant pas tandis que le donateur ne peut pas, même s’il le souhaite, en exiger l'exécution puisque le commandement à lui seul emporte révocation. Se crée ainsi une situation paradoxale et peu courante en matière de donation puisque ce type de clause, en paralysant la liberté d'action du donateur, se trouve stipulée en sa défaveur.
En définitive, non seulement la clause résolutoire des donations est admise, mais la liberté contractuelle autorise les parties à la rédiger sans entrave. Comme en toute matière contractuelle, il n'y a pas de formule sacramentelle valable par elle-même. Ces clauses ont pour seul objet de traduire la volonté des contractants, qui ont le droit de faire de l'inexécution des charges d'une donation une véritable condition résolutoire. Il entre dans les attributions des juges de rechercher si telle a été leur intention, en s'appuyant sur les termes du contrat et sur l'ensemble des circonstances de l’affaire.
Civ. 1re, 25 sept. 2013, n°12-13.747
Références
■ Civ., 30 mai 1911, S. 1911, 1 p. 353.
■ Civ. 1re, 14 févr. 1956, Bull. civ. I, n° 62 ; JCP G 1956. II. 9343, note P. Voirin ; D. 1956. Somm. 67, RTD civ. 1956. 549, obs. R. Savatier ; Journ. not. 1956, p. 604, note Raison.
■ Civ. 1re, 20 juin 1960, Bull. civ. I, n° 335.
■ M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2e éd., t.V, n° 491.
■ Code civil
« La révocation pour cause d'inexécution des conditions, ou pour cause d'ingratitude, n'aura jamais lieu de plein droit. »
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
« La condition résolutoire est celle qui, lorsqu'elle s'accomplit, opère la révocation de l'obligation, et qui remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé.
Elle ne suspend point l'exécution de l'obligation ; elle oblige seulement le créancier à restituer ce qu'il a reçu, dans le cas où l'événement prévu par la condition arrive. »
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