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Droit des successions et des libéralités
Donation-partage d’un bien commun aux époux : l’usufruit par eux réservé demeure commun
Mots-clefs : Civil, Succession, Donation-partage, Communauté universelle, Biens communs, Nue propriété, Réserve d’usufruit, Décès d’un donateur, Effets, Indivision
La donation-partage par laquelle des époux distribuent et partagent des biens communs entre leurs héritiers présomptifs n’a pas pour effet, s’ils s’en réservent l’usufruit, de le diviser entre eux, cet usufruit leur demeurant commun.
Un couple marié sous le régime de la communauté universelle avait fait une donation-partage de la nue-propriété d'actions à ses deux enfants. Cette libéralité présentait deux spécificités : d’une part, elle prévoyait une réserve d’usufruit au profit des parents donateurs, qui devait s’éteindre pour moitié au décès du premier et pour l'autre moitié, au décès du second ; elle mettait d’autre part à la charge des enfants donataires l’obligation de faire apport de ces actions à une autre société, alors en cours de constitution. A la suite d’un différend familial, les deux sociétés avaient été dissoutes et l’époux donateur avait destitué son épouse de tout droit dans sa succession. Au décès de l’époux, le conflit se durcit au point que deux clans se formèrent pour s’opposer : les enfants de la fille prédécédée du défunt d’un côté, la veuve et son fils de l’autre. Ces derniers soutenaient que par son décès, l’usufruit de l’époux donateur s’était éteint sur la moitié des parts sociales, en sorte que les donataires, nus propriétaires, étaient devenus pleinement propriétaires de la part de celles-ci, l’usufruit de la veuve subsistant pour l’autre moitié. En appel, les juges en décidèrent différemment, estimant qu’au décès du donateur, l’usufruit que son épouse s’était réservé subsistait et continuait de grever chacune des parts sociales, en sorte que son droit de vote ne pouvait être exercé sur celles des parts sociales détenues par ses petits-enfants grevées de son usufruit. La veuve et son fils formèrent un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir fait résulter du décès du donateur une indivision entre la demanderesse et les donataires alors qu’en l’absence de clause de réversibilité (clause fréquemment stipulée dans les donations avec réserve d’usufruit permettant d’assurer la réversion de l’usufruit au profit du dernier conjoint vivant, et donc la poursuite du démembrement de propriété entre les nus propriétaires et le conjoint de l’usufruitier initial), l’usufruit consenti par des époux sur un bien commun s’éteint au premier d’entre eux, en sorte que l’usufruit du conjoint survivant ne subsiste que pour sa seule part dans la communauté, la pleine propriété se trouvant reconstituée pour le reste sur la tête des nus propriétaires. Leur pourvoi est rejeté par la Cour de cassation au motif que l’acte par lequel des époux distribuent et partagent des biens communs entre leurs héritiers présomptifs n’a pas pour effet, s’ils s’en réservent l’usufruit, de le diviser entre eux, cet usufruit leur demeurant commun ; or la cour d’appel ayant exactement retenu que l’usufruit que les donateurs s’étaient réservé sur les parts sociales de la société civile dépendait de la communauté conjugale, elle en a à bon droit déduit que cet usufruit subsistait et continuait de grever l’intégralité des biens objets de la donation, soit l’ensemble des parts sociales.
La question soulevée par cette affaire était de savoir si la réserve d’usufruit stipulée dans un acte de donation-partage portant sur des biens communs aux époux est susceptible de modifier les effets de cette libéralité, qui suppose la répartition matérielle des biens donnés (C. civ., art. 1076 ; Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892). Il aurait en effet été possible de considérer que la donation-partage ayant emporté attribution divise des parts qu’elle concerne, celles-ci avaient été matériellement réparties par moitié, et donc divisées, entre les époux donateurs qui, les ayant grevées d’un usufruit au profit de chacun d’entre eux, de même nature divise que la nue-propriété, le décès du mari avait entraîné l’extinction de l’usufruit réservé sur ses parts (C. civ., art. 617) et ne laissait l’usufruit du conjoint survivant subsister que sur la seule part qu’il s’était réservé en sorte que la pleine propriété se trouvait, pour le reste, reconstituer au profit des bénéficiaires de la donation.
Cependant, cette analyse ne pouvait en l’espèce être retenue en raison du régime matrimonial choisi par les époux et en l’absence de clause de réversibilité d’usufruit. En effet, la clause de l’acte de donation-partage stipulée par les époux prévoyait que l’usufruit s’éteindrait pour moitié au décès du premier des donateurs et pour l’autre moitié, au décès du second donateur. Rappelant le principe de non réversibilité de l’usufruit au décès du prémourant, au décès de l’époux, l’usufruit qu’il s’était réservé, sans revenir au donateur survivant, s’était bien éteint. Cependant, lorsque les époux donateurs sont mariés sous le régime de la communauté universelle, l’usufruit que chacun s’était réservé sur un bien relevant de la communauté, commun par principe, le demeure après dissolution de la communauté pour cause de décès. Autrement dit, restant inchangée, l’indivisibilité de l’usufruit prive les héritiers présomptifs des époux de l’attribution de la pleine propriété des parts correspondant aux droits détenus dans la communauté par l’usufruitier précédé, l’usufruit que le survivant s’était réservé continuant de grever l’intégralité des biens donnés soit, en l’espèce, chacune des parts de la société civile. Concrètement, il résultait en l’espèce du décès du donateur une indivision entre la veuve et les bénéficiaires de la donation.
Civ. 1re, 11 mai 2016, n° 14-28.321
Référence
■ Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892 P, D. 2013. 706 ; AJ fam. 2013. 301, obs. C. Vernières ; RTD civ. 2013. 424, obs. M. Grimaldi.
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