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Droit des successions et des libéralités
Donation-partage : l’évaluation des biens donnés doit s’opérer au jour de l’acte et pour leur valeur réelle
Mots-clefs : Libéralité, Donation-partage, Donation transgénérationnelle, Effets, Action en réduction, Calcul de la réserve, Date d’appréciation, Conditions
Sauf convention contraire, et lorsque les conditions en sont réunies, la valeur réelle des biens donnés par donation-partage doit être évaluée au jour de l’acte pour l’imputation et le calcul de la réserve des héritiers réservataires.
Une épouse commune en biens avait, au décès de son époux, consenti diverses libéralités à chacun de leurs trois enfants, dont une donation-partage, laquelle réalisait, en conséquence, à la fois une libéralité entre vifs et un partage successoral anticipé. Au décès de son fils, donc de l’un de ses descendants, naquit entre les trois enfants de celui-ci, héritiers, un différend quant à la liquidation et au partage de la succession de leur grand-mère. Ces derniers formèrent, en même temps que leur tante, également donataire, une demande en réduction de la donation-partage fondée sur l’atteinte présumée à leurs droits née de la libéralité que constituait la renonciation par la donatrice de son droit d’usage et d’habitation dans l’immeuble attribué à l’autre de ses filles. Pour rejeter leurs demandes, la cour d’appel retint qu'il résultait de l'acte l’absence de réserve d'usufruit, que les évaluations et attributions avaient été dûment acceptées par chaque héritier réservataire dans les conditions définies à l'article 1078 du Code civil, que chacun avait été rempli de ses droits respectifs dans la masse à partager sans qu'il en résultât une atteinte à leur réserve dès lors que chacun avait reçu un tiers constituant sa part ; la cour d’appel ajouta qu'ayant accepté les évaluations des biens à la date de la donation-partage, en visant expressément les dispositions du texte précité, aucun des copartageants ne pouvait remettre en cause ces évaluations, notamment au prétexte que l'ensemble des biens immobiliers aurait été sous-évalué, la réévaluation de ces biens à la date de la donation-partage étant indifférente à la solution du litige. Au visa principal de l’article 1078 du Code civil, duquel il résulte que si les conditions en sont réunies, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de le réserve, la décision des juges du fond est censurée au motif que pour le calcul de la réserve, les biens donnés doivent être estimés à leur valeur réelle au jour de la donation-partage, quelles qu'aient pu être celles énoncées à l'acte.
Dans le cas le plus fréquent où la donation-partage a été réalisée au profit des descendants du donataire, une fois la succession du donateur ouverte et, comme en l’espèce, purement et simplement acceptée, la donation constitue, sauf clause contraire, une avance de part successorale imputable sur la réserve de l’enfant ou, pour les cas de donations transgénérationnelles, c’est-à-dire celles associant deux générations différentes – ici, les petits-enfants et leur tante, sur la part de réserve revenant à sa souche. Dans le cadre d’une donation-partage transgénérationnelle, la question de la protection de la réserve suppose, plus particulièrement, de raisonner en deux temps. D’abord au décès de l’ascendant donateur ; l’imputation des biens reçus par les enfants et les petits-enfants est effectuée prioritairement sur la part de réserve revenant à leur souche et, subsidiairement, sur la quotité disponible (C. civ., art. 1078, al. 1er). Ensuite, au décès de l’enfant qui a consenti à ce que ses propres enfants soient allotis à sa place, en l’espèce, le fils prédécédé ; les biens reçus par les petits-enfants dans la donation-partage sont traités comme s’ils avaient été donnés par une donation ordinaire sauf lorsque comme dans cette affaire, tous les petits-enfants (dans la souche en cause) ont reçu et accepté un lot dans le partage anticipé et qu’il n’a pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent; les gratifiés sont alors traités comme s’ils avaient reçu la donation-partage de leur propre auteur. En leur qualité d’héritiers réservataires, ils disposent alors d’une action en réduction (C. civ., art. 920), celle-ci constituant la seule sanction aux atteintes portées par la donation-partage à la réserve de l’un ou de plusieurs héritiers.
En l’espèce, les demandeurs au pourvoi dénonçaient une telle atteinte, causée selon eux par l’inexécution du droit d’usage et d’habitation que la donatrice s’était réservé sur l’immeuble attribué à l’une de ses filles, constitutive d’un avantage direct rapportable à la succession de nature à remettre en cause les calculs de la quotité disponible et de la réserve héréditaire tels qu’ils avaient été convenus dans la donation-partage. Les juges du fond leur avaient alors opposé l’impossibilité de toute action en complément de part pour cause de lésion, la sous-évaluation supposée des biens donnés établie postérieurement à l’acte ne pouvant être prise en compte. A priori, cette solution n’encourrait pas la censure, l’évaluation définitive des biens donnés devant en effet avoir lieu au jour de l’acte (et non du décès) pour calculer la réserve, à la triple condition, en l’espèce remplie, que tous les enfants vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient participé à l’acte et accepté expressément son lot ; qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit sur une somme ou une créance de somme d’argent (Civ. 1re, 18 mai 1978, n° 76-12. 709); enfin, qu’il n’ait pas été davantage stipulé dans l’acte de modalités d’évaluation différentes. L’objet de la censure opérée par la Cour de cassation tient en vérité à l’estimation des biens donnés : celle-ci, qui ne tend pas à déceler une lésion mais uniquement à préserver les droits des héritiers réservataires, impose aux juges du fond d’estimer la valeur réelle des biens donnés, sans s’arrêter aux valeurs déclarées dans l’acte par les parties. Or en l’espèce, la cour d’appel, qui devait estimer objectivement la valeur des biens litigieux, s’était à tort fiée à l’évaluation subjective qui en avait été donnée à l’acte par les parties. Ce n’est donc pas tant, comme peut le laisser entendre l’attendu de principe, la date d’évaluation des biens donnés qui justifie la cassation, que la subjectivité de leur estimation.
Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 15-16.160
Référence
■ Civ. 1re, 18 mai 1978, n° 76-12. 709 P.
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