Actualité > À la une
À la une
Droit des successions et des libéralités
Donation-partage : une libéralité spécifique
Le partage réalisé par acte séparé de la donation mais en présence et selon la seule volonté du disposant est une donation-partage, que l’acceptation d’un seul des descendants bénéficiaires suffit à former et à rendre incontestable.
En 2005, un père consent une donation-partage portant principalement sur des œuvres d’art à ses quatre enfants. En 2011, il procède, par un second acte notarié, au partage et à l’attribution des lots. Deux des enfants acceptent leur lot respectif, tandis que les deux autres, contestant la composition des leurs, refusent de signer l’acte de partage. Le premier des enfants opposants assigne son père et ses frère et sœurs pour qu’il soit statué sur les conditions d’exécution de la donation-partage, et le second en sollicite l’annulation, tous deux dénonçant l’absence de correspondance des lots constitués dans l’acte de partage à la répartition initialement prévue dans l’acte de donation.
Le demandeur au pourvoi fait grief à la cour d’appel d’avoir refusé d’accéder à sa demande de vérifier si la répartition résultant de l’acte de partage respectait la proportion des lots telle qu’elle avait été déterminée dans la donation, au mépris de la force obligatoire dont est doté, comme toute convention, l’acte de donation-partage initial. En ce sens, il fait valoir que les lots des donataires ne sont pas égaux en valeur à la date du partage dès lors que la valeur de certaines œuvres attribuées dans deux des lots avait considérablement augmenté.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle rappelle que, conformément à l’article 1076 du Code civil, la donation-partage et l’acte de partage peuvent être dressés par deux actes séparés et que l’acte de partage qui résulte d’une donation-partage ne constitue pas un partage ordinaire mais un partage spécial fait par l’ascendant de son vivant et selon sa seule volonté ; elle en déduit que ni la validité d’un tel partage, qui se forme dès que l’un des enfants a accepté son lot, ni son opposabilité, ne peuvent être remises en cause par le refus des autres bénéficiaires.
La donation-partage est un acte qui réalise à la fois une libéralité entre vifs et un partage anticipé de succession. Elle présente notamment l’intérêt de n’être jamais rapportable à la succession du donateur (pour un rappel du principe, Civ. 1re, 20 mars 2013, n° 11-21.368) ; aussi offre-t-elle aux descendants qui en sont les bénéficiaires l’avantage de la règle selon laquelle l’évaluation des biens donnés pour le calcul de la réserve est en principe effectuée au jour de la donation-partage, et non au jour du décès (C. civ., art. 1078). La donation-partage constituant un acte mixte, elle est en principe soumise à la fois aux conditions de droit commun requises pour la validité des donations entre vifs comme à celles exigées pour la validité du partage, mais elle obéit aussi à des conditions spécifiques, comme le souligne ici la Cour.
Tout d’abord, en tant que mécanisme de règlement anticipé des successions, elle ne peut en principe être opérée qu’au profit des héritiers présomptifs du donateur (C. civ., art. 1075, al. 1er), c’est-à-dire ceux ayant vocation à venir, de leur chef ou par représentation de leur auteur prédécédé, à la succession du donateur s’il venait à décéder. Dans l’immense majorité des cas, la donation-partage est donc effectuée au profit des enfants, à la condition toutefois que son auteur en ait au moins deux ; faute d’au moins deux bénéficiaires, l’opération s’apparenterait en effet à une donation ordinaire. Cependant, en pratique, il n’est pas toujours possible de réaliser une donation-partage à laquelle concourent tous les enfants du donateur, soit que l’un ou plusieurs d’entre d’eux, comme en l’espèce, refusent le lot qui leur était destiné, soit que le donateur veuille délibérément exclure tel ou tel de ses enfants, soit encore parce que la donation-partage est consentie à une époque où un enfant du donateur n’est pas encore conçu. C’est la raison pour laquelle la participation de tous les enfants (au sens de descendants réservataires du donateur) n’est pas une condition de validité de la donation-partage. Cette souplesse permet déjà de justifier la solution.
La spécificité des règles relatives au partage des biens donnés la fonde également. En effet, la répartition des biens donnés entre les donataires est l’élément caractéristique qui permet de distinguer la donation-partage d’une donation classique. Le partage doit être opéré par le ou les donateurs (C. civ., art. 1075, al. 1er), même dans le cas, qui est celui de l’espèce, où le partage intervient ultérieurement par acte séparé, ce que la loi admet, « pourvu que le disposant intervienne aux deux actes » (C. civ., art. 1076, al. 2). Si le partage n’est pas fait du vivant et en présence du donateur, la libéralité constitue une donation de droit commun donnant lieu à un partage ordinaire. Si ce dernier peut être contesté par des héritiers, le partage issu de la donation ne peut être contesté par les attributaires ; il constitue une sorte d’acte d’autorité, intervenant sous la seule volonté du donateur ; un partage fait par l’ascendant de son vivant et qui procède de sa seule volonté ; les donataires n’ont que la possibilité d’accepter ou de refuser les lots que le donateur a composés, étant précisé que le partage se forme dès que l’un des enfants a accepté son lot. Aussi le donateur peut-il composer les lots comme il l’entend, même lorsque les biens sont partageables en nature. Il peut donc allotir les donataires au moyen de biens de valeurs inégales, quitte, s’il le souhaite, à rétablir l’équilibre des lots par des soultes. La donation-partage ne pouvant faire l’objet d’une action en complément de part, à laquelle s’apparentait l’action du demandeur au pourvoi, le donateur est libre de rompre l’égalité entre les donataires, la seule limite à la liberté de procéder à des allotissements inégaux résidant dans la réserve héréditaire (Sur cette question, v. Droit de la famille, F. Lefebvre, Memento pratique, n° 63620 s.).
Civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 18-11.642
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Donation entre vifs
■ Civ. 1re, 20 mars 2013, n° 11-21.368
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une