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[ 15 janvier 2024 ] Imprimer

Procédure civile

Droit à la preuve vs secret professionnel de l’avocat

Le secret professionnel de l’avocat n’est pas en lui-même un obstacle à des mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile afin d’établir une faute commise par ce dernier.

Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285 B

Dans un arrêt destiné à la fois au Bulletin et aux sélectives Lettres de chambre, la première chambre civile de la Cour de cassation fait une nouvelle application du droit à la preuve, dans sa conciliation nécessaire avec le secret professionnel de l’avocat. Elle juge en effet que le secret professionnel des avocats n’interdit pas que soit ordonnée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile une mesure de consultation ou de saisie de documents au sein du cabinet d’un avocat concernant sa clientèle, mesure d’instruction sollicitée par l’un de ses clients pour établir sa faute.

Une société ayant conclu une convention de services juridiques soutenait que son avocat avait commis un détournement de clientèle et une rétention de dossiers. Elle avait déposé plainte pour abus de confiance et quelques mois plus tard, la convention avait été résiliée. Le président d'un tribunal judiciaire, saisi d'une requête de la société cliente sur le fondement principal de 145 du Code de procédure civile, avait désigné un huissier de justice ayant pour mission de se rendre au cabinet de l’avocat pour rechercher des documents ou des correspondances susceptibles d’établir les faits litigieux, les copies réalisées devant être séquestrées entre les mains de l'huissier de justice. Sitôt cette ordonnance exécutée, l'avocat avait assigné son ancienne cliente afin d’obtenir la rétractation d’une telle mesure, qu’il estimait attentatoire à son droit au secret professionnel. Après que ce dernier eut obtenu gain de cause en appel, la cour retenant que les mesures ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile n’étaient pas légalement admissibles en ce qu’elles portaient atteinte au secret professionnel des avocats, sa cliente forma un pourvoi en cassation, invoquant avec succès son droit à la preuve.

En effet, pour censurer l’arrêt des juges du fond, la Cour de cassation commence par rappeler le lien entre le droit fondamental à un procès équitable et le droit à la preuve qui en découle : le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, implique que chaque partie à l’instance soit en mesure d’apporter la preuve des éléments nécessaires au succès de ses prétentions (v. déjà, Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606 : « constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions »). Elle précise ensuite que constituent, au sens de l’article 145 du C. pr. civ., des mesures légalement admissibles les mesures d’instruction circonscrites dans le temps et leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Elle souligne enfin que le secret professionnel, lequel couvre toutes les consultations adressées par l’avocat à son client, les correspondances échangées entre le client et son avocat, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier, est institué dans l’intérêt du client, ayant droit au respect du secret des informations le concernant, et non dans celui de l’avocat. Elle en déduit « que le secret professionnel de l’avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l’avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates ».

L’arrêt commenté, en autorisant un client à produire un document couvert par le secret professionnel de l’avocat pour établir la faute de ce dernier, confirme l’extension croissante du droit à la preuve (v. not. Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-13.625), qui se présente, non seulement en droit européen (CEDH 26 févr. 2022, Fretté c/ France, n° 36515/97) mais également en droit interne (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177), comme un véritable droit subjectif individuel à la preuve (v. G. Lardeux, « Du droit de la preuve au droit à la preuve », D. 2012. 1596). Développée en France dans les écrits de Goubeaux, sa reconnaissance repose sur le constat de l’inefficacité d’un droit subjectif qui ne peut être prouvé. Dès lors, doit exister au profit de toute personne un droit subjectif fondamental, de nature processuelle, à prouver l’existence de son droit subjectif substantiel. La production d’une correspondance en principe couverte par le secret professionnel ne fait alors rien d’autre que de concrétiser l’exercice de ce droit subjectif qui, dans sa conciliation nécessaire avec un secret légalement protégé, tend à l’emporter. Il en va de l’effectivité de la recherche de l’éventuelle responsabilité du professionnel ; ainsi de l’avocat, comme du banquier (v. dans le même sens, à propos du secret bancaire, Com. 29 nov. 2017, n° 16-22.060) Ainsi, la confidentialité des correspondances professionnelles cède-t-elle de plus en plus souvent face à l’exigence d’équité du procès.

L’intangibilité traditionnellement attachée au secret professionnel fléchit (v. à propos du notaire, Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.160 ; adde, Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-20.495 : « le secret des affaires et le secret professionnel ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile » ; comp. Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 12-21.244 ; 14 janv. 2010, n° 08-21.854). La Cour en précise ici, explicitement, la raison : « (le secret) est institué dans l’intérêt du client ayant droit au respect du secret des informations le concernant et non dans celui de l’avocat ». En affirmant que le secret professionnel de l’avocat ne saurait en conséquence être un obstacle de principe pour ordonner des mesures d’instruction in futurum dès lors qu’elles répondent à l’exercice du droit à la preuve du demandeur à l’action invoquant la faute de son avocat, la solution rapportée parachève cette évolution.

Dans sa confrontation avec le droit à la preuve, le secret professionnel devient perméable aux aléas du contrôle de proportionnalité et son intangibilité n’étant plus absolue, le droit à la preuve peut ainsi prévaloir. Remarquable, la force d’expansion du droit à la preuve, conjuguée à l’imprécision de ses contours exacts, interroge autant qu’elle inquiète les professionnels jadis protégés par le secret professionnel. La décision rapportée ne manquera pas d’alimenter leurs craintes face à la perspective d’une disparition progressive de leur droit au secret.

Références :

■ Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606 P : D. 2007. 1605 ; ibid. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; Just. & cass. 2008. 205, Conférence G. Tapie ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot ; ibid. 753, obs. J. Hauser.

■ Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-13.625 B : D. 2023. 87, obs. T. Wickers ; AJ fam. 2022. 608, obs. D. d'Ambra ; RTD civ. 2022. 897, obs. H. Barbier.

■ CEDH 26 févr. 2022, Fretté c/ France, n° 36515/97 AJDA 2002. 401, étude I. Poirot-Mazères ; D. 2002. 2024, et les obs., obs. F. Granet ; ibid. 2569, obs. C. Courtin ; AJ fam. 2002. 142, et les obs. ; RDSS 2002. 347, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2002. 280, obs. J. Hauser ; ibid. 389, obs. J.-P. Marguénaud.

■ Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 PD. 2012. 1596, note G. Lardeux ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; ibid. 457, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser.

■ Com. 29 nov. 2017, n° 16-22.060 P D. 2018. 603, note C. Kleiner ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d'Avout et S. Bollée ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès.

■ Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.160 B : D. 2022. 798 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2022. 345, obs. S. Ferre-André.

■ Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-20.495 P : D. 2016. 2289 ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; D. avocats 2017. 31, obs. G. Royer.

■ Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 12-21.244 P :D. 2014. 1284 ; ibid. 2478, obs. J.-D. Bretzner, A. Aynès et I. Darret-Courgeon ; AJDI 2014. 721 ; RTD civ. 2014. 658, obs. H. Barbier.

■ Civ. 1re, 14 janv. 2010, n° 08-21.854 P : D. 2010. 1125, obs. V. Avena-Robardet, note J. Moret-Bailly ; ibid. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; ibid. 2011. 552, obs. B. Blanchard.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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