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[ 25 juin 2021 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Droit à l’image : la seule captation justifie la réparation

Il résulte des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme que le droit à l’image d’une personne interdit, en l’absence de son autorisation, sa captation au même titre que sa conservation, sa reproduction ou son utilisation commerciale, et que la seule constatation d’une atteinte à ce droit lui donne droit à réparation.

Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 20-13.753

Un magazine de charme avait publié la photographie d’un acteur célèbre prise sans autorisation sur une plage dans un moment de loisir ; en marge du cliché était apposée la mention « KCS », en référence à la société de presse du même nom. L’intéressé avait alors assigné cette société en même temps que l’éditeur du cliché, sur le fondement des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice moral et l’interdiction de commercialiser le cliché litigieux. En cours de procédure, il avait également sollicité l’indemnisation du dommage résultant de la captation et de la commercialisation de neuf clichés supplémentaires, publiés sur quatre sites internet anglophones et faisant partie de la même série de photographies que celle initialement publiée dans le magazine français. 

La cour d’appel de Paris rejeta l’ensemble de ses demandes. Concernant les premières, elle jugea qu’en l’absence de preuve de la vente du premier cliché, par la société de presse attaquée, au magazine l’ayant publié, aucune faute ne pouvait à ce titre être imputée à cette société. Concernant les secondes, la juridiction du second degré estima que cette même société ne pouvait davantage être jugée responsable de la diffusion des clichés litigieux par les quatre sites étrangers identifiés, l’acteur ne rapportant la preuve ni de leur diffusion publique sur Internet, ni de leur commercialisation par la société mise en cause auprès de ces quatre sites. 

L’intéressé forma un pourvoi en cassation fondé sur deux moyens distincts : 

·       par le premier, tiré de la double violation des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne, le demandeur invoquait deux faits générateurs distincts d’une atteinte dommageable à ses droits de la personnalité imputés à la société de presse : d’une part, la captation et la commercialisation non autorisée de son image, constitutif à ce double titre d’une atteinte au droit au respect de sa vie privée et de son image et entraînant la responsabilité de leur auteur ; d’autre part, le fait qu’elle ait proposé ces clichés à la vente ;

·        par le second, tiré de la violation de l’article 4 du Code de procédure civile, l’auteur du pourvoi reprochait aux juges du fond d’avoir méconnu le cadre du litige tel qu’il est en principe déterminé par les prétentions respectives des parties en motivant le rejet de ses dernières demandes sur le défaut de preuve des prétentions alléguées alors que dans ses conclusions d’appel, il avait fait valoir son droit à réparation du préjudice causé par la captation et la commercialisation des clichés litigieux, peu important dès lors les modalités convenues entre la société attaquée et les sites étrangers sollicités pour y procéder.

La première chambre civile casse l’arrêt d’appel sur ces deux moyens.

Au visa des textes invoqués au soutien du pourvoi, dont qu’il résulte que « le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation et que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation », elle juge que la cour d’appel, en limitant l’éventuelle faute de la défenderesse à la seule hypothèse d’une vente du cliché volé, a méconnu les textes susvisés. Prenant immédiatement appui sur la jurisprudence européenne, selon laquelle le droit à l’image reconnu à toute personne, même non publique, implique non seulement « la possibilité de refuser la diffusion de son image », mais également le droit de s’opposer « à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui » (CEDH 15 janv. 2009, Reklos et Davourlis c/ Grèce, n° 1234/05 ; CEDH 27 mai 2014, De la Flor Cabrera c/ Espagne, n° 10764/09), la Cour de cassation souligne que « sa protection effective présuppose, en principe, le consentement de l’individu dès sa captation et non pas seulement au moment de son éventuelle diffusion au public » (CEDH, Reklospréc., § 40). L’image de la personne est ainsi protégée dès en amont contre sa captation sans l’autorisation de la personne concernée, indépendamment de sa publication ultérieure éventuelle, en sorte que le motif des juges du fond tiré de l’absence de preuve de la commercialisation du cliché volé pour refuser toute réparation encourait la cassation. La seule preuve de la captation de l’image de l’acteur sans son autorisation suffisait à engager la responsabilité de la société de presse. Celle de la vente alléguée du cliché volé par cette société au magazine l’ayant publié n’était donc pas nécessaire. Plus généralement, il ressort de cette décision qu’un seul fait attentatoire au droit à l’image, parmi tous ceux jugés répréhensibles – capter, fixer, publier et/ou commercialiser – justifie la condamnation de son responsable. 

Au surplus, comme le rappelle la Cour au titre de sa propre jurisprudence fondée sur le seul article 9 du Code civil (Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798), la seule constatation d’une atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation : ainsi, en l’espèce, une fois établie la captation non autorisée de l’image du demandeur, celui-ci devait être dispensé de la charge de prouver une faute ou un dommage. Le seul constat de l’atteinte portée à son droit à l’image suffisait à juger fondée sa demande en indemnisation. Ériger en droit subjectif un droit de la personnalité tel que le droit à l’image conduit en effet à détacher la réparation de l’atteinte portée à ce droit des règles de la responsabilité civile, exigeant la triple démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice (J.-Ch. Saint-Pau, « La distinction des droits de la personnalité et de l’action en responsabilité civile », in Études offertes à H. GroutelLitec, 2006, p. 405 ; T. Azzi, « Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs », RTD civ. 2007. 227). C’est pourquoi le droit à l’image, dégagé à l’origine par la jurisprudence française (Seine, 16 juin 1858) sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil relatif à la responsabilité civile, est désormais fondé sur l’article 9 du même Code, le juge affirmant ainsi sa de volonté de conférer à l’action en réparation des atteintes portées aux droits de la personnalité une spécificité qui la distingue de l’action en responsabilité civile traditionnelle et en facilite le succès, par l’allègement probatoire en résultant.

Il doit toutefois être relevé que cet article 9, qui fonde donc le droit de la personne au respect de son image, ne mentionne pourtant pas ce droit subjectif, ne visant expressément que celui dont il découle : le droit au respect de la vie privée. Mais en matière civile, l’article 9 du Code civil sert de « “matrice” aux autres droits de la personnalité : l’interprétation extensive de ce texte a ainsi permis au droit à l’image de la personne d’être protégé en soi, permettant à la victime d’une atteinte à ce droit subjectif autonome d’être indemnisée sans nécessité d’alléguer concomitamment une atteinte à son droit à la vie privée, dont le droit à l’image s’est progressivement émancipé en droit interne sous l’influence de la jurisprudence européenne, qui promeut l’individualisation de chacun des droits de la personnalité, tel le droit à l’image, dont l’existence et la valeur propres ont été consacrées par la Cour de Strasbourg dans des termes révélateurs de sa politique d’hyper subjectivisation des droits de l’individu : « l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, du fait qu’elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères » en sorte que « le droit de la personne à la protection de son image constitue […] l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image » (CEDH 15 janv. 2009, Reklos, op. cit., loc.cit.).

Concernant enfin la réponse au second moyen apportée par la Cour, relativement au cadre du litige, les hauts magistrats donnent une nouvelle fois raison au demandeur, estimant que la cour d’appel en avait modifié l’objet en le chargeant de prouver une diffusion publique des clichés sur le net ou la réalité de leur commercialisation par la société attaquée auprès des sites en question, alors que la prétention invoquée se limitait à la réparation de l’atteinte à ses droits de la personnalité, indépendamment des modalités contractuelles convenues entre les sociétés considérées pour y avoir effectivement attenter.

Références

■ CEDH 15 janv. 2009, Reklos et Davourlis c/ Grèce, n° 1234/05 RTD civ. 2009. 283, obs. J.-P. Marguénaud

■ CEDH 27 mai 2014, De la Flor Cabrera c/ Espagne, n° 10764/09

■ Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.798 P : D. 1997. 403, note S. Laulom ; ibid. 289, obs. P. Jourdain ; RTD civ. 1997. 632, obs. J. Hauser

■ Seine, 16 juin 1858 : D. 1958. 3. 62

 

Auteur :Merryl Hervieu


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