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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Droit à l’information : la notion d’intérêt général précisée
Mots-clefs : Vie privée, Droit à l’information, Question d’intérêt général, Notion, Appréciation
Ont trait à l'intérêt général, les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu'il peut légitimement s'y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu'elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/ France, n° 40454/07) que pour vérifier que la publication d’un article portant atteinte à la vie privée d’autrui ne tend pas uniquement à satisfaire la curiosité d’un certain lectorat, mais constitue également une information d’intérêt général, il convient d’apprécier l’article dans sa globalité et de rechercher si celui-ci, pris dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel il s’inscrit, se rapporte majoritairement, malgré d’éventuelles digressions d’ordre purement privé, à une question d’intérêt général alors en droit d’être portée à la connaissance du public, qui peut légitimement s’y intéresser en ce qu’elle éveillera son attention ou le préoccupera sensiblement, notamment parce qu’elle concerne le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité. Tel est le cas d’un article révélant les liens personnels qu’entretenaient les protagonistes d’une opération de rachat de société, qui apparaît justifié par la nécessaire information du public au sujet des motivations et comportements de dirigeants de sociétés commerciales impliquées dans une affaire financière ayant abouti à la spoliation de l’épargne publique, ainsi que l’énonce la première chambre civile de la Cour de cassation dans la décision rapportée.
En l’espèce, un célèbre hebdomadaire avait publié un article portant sur un ouvrage consacré à un scandale financier né à l’occasion d’une opération de rachat de société. Dans cet article, construit sous la forme d’un entretien entre une journaliste et l’ancien dirigeant de la société britannique A, ce dernier affirmait que la chute de la société filiale du groupe B résultait d’une fraude organisée par son dirigeant, en concertation avec une troisième société C, ancienne filiale du groupe. Cette seconde société ayant racheté la société A afin de la céder ensuite à la filiale du groupe B pour un prix secrètement convenu, supérieur de moitié au prix du marché, créant un préjudice financier à de nombreux actionnaires. En ce sens, l’article de presse reprenait les propos de l’ancien dirigeant de la société A, selon lesquels ce stratagème avait « été soufflé au dirigeant du groupe B » par l'épouse du dirigeant de la société C, avec laquelle il vivait et qu'il aurait ultérieurement épousée, après avoir lui-même divorcé.
Invoquant l'atteinte portée à sa vie privée, le dirigeant du groupe B avait assigné l’ancien dirigeant de la société A, la journaliste et la société d'exploitation de l'hebdomadaire en réparation de son préjudice. L’affaire avait ceci d’original que le stratagème à l’origine de cette opération de rachat d’entreprise avait été conçu à l’occasion d’une relation extraconjugale, entremêlant tout particulièrement droit à l’information du public et droit au respect de la vie privée, deux droits subjectifs fondamentaux d’égale valeur normative.
Jugée une première fois (Civ. 1re, 30 oct. 2013, n° 12-15.187), l’affaire avait été renvoyée devant la cour d’appel de Versailles, laquelle avait rejeté les demandes indemnitaires du dirigeant. Ce dernier forma un second pourvoi en cassation, soutenant que « si le droit à l’information du public peut parfois justifier dans l’intérêt général une atteinte à la vie privée, c’est à la condition que cette atteinte soit strictement nécessaire et proportionnée aux exigences de l’information, la liberté d’expression et le droit à l’information ne pouvant légitimer aucune extrapolation non nécessaire à la compréhension du fait d’actualité relaté ». Or selon lui, les juges du fond n’ont pas été en mesure de démontrer en quoi la révélation d’une relation, en outre avortée (le remariage n’ayant jamais eu lieu) avec une personne étrangère à sa société présentait un intérêt général de nature à éclairer le public sur sa responsabilité dans l'affaire du rachat d'une entreprise par une autre et à légitimer, de surcroît, des informations purement privées. La Cour de cassation rejette son pourvoi. Après avoir rappelé la méthode d’analyse préconisée par la Cour européenne, elle juge que, bien que la relation existant entre le dirigeant et sa compagne relève par nature de leur vie privée, l’évocation des liens personnels unissant les protagonistes de l’opération de rachat de la société se trouve justifiée par la nécessaire information du public au sujet des motivations et comportements de dirigeants de sociétés commerciales impliquées dans une affaire financière ayant abouti à la spoliation de l’épargne publique et paraissant en contradiction avec la loi. Par conséquent, la publication litigieuse prise dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrivait, se rapportait à une question d’intérêt général.
La règle ici rappelée par la Cour de cassation et antérieurement consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme est l’obligation faite au juge de vérifier l’existence d’un maillage informatif légitimant la révélation d’informations purement privées, lesquelles ne peuvent être portées à la connaissance du public qu’à la condition d’avoir trait à une question d’intérêt général. En ce sens, la Cour de cassation était intervenue une première fois pour censurer la décision de la cour d’appel de Paris en considérant que ceux-ci ne justifiaient pas en quoi « les divorce et remariage évoqués, puis la vie commune ultérieure en Autriche avec (l’épouse du dirigeant), alors qu'était relevée l'absence de toute fonction sociale de celle-ci dans les sociétés en cause, présentaient un intérêt général de nature à éclairer le public sur les mécanismes et les responsabilités de la malversation financière dénoncée, et à légitimer ces informations ». Au contraire, la Cour de cassation estime cette fois que par leur motivation, les juges du fond ont su justifier en quoi la révélation de ce fait privé, rouage d’un scandale majeur que le droit à l’information du public impliquait de divulguer, prenait place dans un cadre informatif plus large et relevant de l’intérêt général.
Civ. 1re, 1er mars 2017, n° 15-22.946
Références
■ CEDH, gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/ France, n° 40454/07, Dalloz Actu Étudiant, 6 janv. 2016 ; AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2016. 116, note J.-F. Renucci ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud.
■ Civ. 1re, 30 oct. 2013, n° 12-15.187, D. 2014. 508, obs. E. Dreyer.
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