Actualité > À la une

À la une

[ 29 novembre 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Droit d’asile : une personne ayant obtenu l’asile dans un État peut-elle le solliciter dans un autre État ?

Mots-clefs : Droit d’asile, Étranger, Réfugié, Preuve, Protection effective, Droit international, Droit de l’Union européenne, CNDA

Le Conseil d’État précise, dans un arrêt du 13 novembre 2013, qu’une personne qui a obtenu l’asile dans un État partie à la convention de Genève ne peut le demander dans un autre État sauf si elle apporte la preuve d’un défaut de protection effective.

En l’espèce, un ressortissant russe d’origine tchétchène s’est vu reconnaître la qualité de réfugié par les autorités polonaises en application de la convention de Genève du 28 juillet 1951. En effet, cet homme était exposé à des risques de persécution en Russie en raison de sa participation à la première guerre d’indépendance de la Tchétchénie. Il est ensuite parti en France où il a de nouveau demandé l’asile en raison des menaces qu’il a reçu  en Pologne de la part de personnes originaires de Tchétchénie parmi lesquelles il a reconnu l’auteur des tortures dont il avait été victime dans son pays d’origine. Le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ont rejeté sa demande. Il a alors saisi le Conseil d’État. 

La décision du 13 novembre 2013 permet aux juges du Palais Royal de déterminer dans quelles conditions une personne, s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié dans un État, peut demander l’asile en France, en se prévalant de craintes de persécution dans le premier État. Pour cela, il rappelle les règles du droit international puis du droit de l’Union européenne sur le statut des réfugiés.

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle les principes applicables aux États parties à la convention de Genève. Ainsi, il résulte des dispositions de cette convention (art. 1er , A, 2 ; art. 31, 1 et art. 33, 1) qu’une fois le statut de réfugié reconnu par un État partie à la convention, sur le fondement de persécutions subies dans l’État dont la personne a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l'État qui le lui a reconnu, « revendiquer auprès d'un autre État, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu'elle tient de la convention de Genève à raison de ces persécutions ».

Par ailleurs, si une personne a obtenu le statut de réfugié par un État partie à la convention autre que la France, elle peut, dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers, demander à entrer, séjourner ou s’établir en France. L’hypothèse est alors celle d’un réfugié reconnu par un État partie qui souhaite se rendre dans un second État en entrant régulièrement sur son territoire après avoir obtenu un visa. Cependant, s’il s’agit d’un réfugié entré irrégulièrement dans un second État, en l’espèce, la France, il ne peut se prévaloir du statut de réfugié obtenu dans l’État d’accueil, en l’espèce la Pologne. Il convient donc que ce réfugié soit admis au séjour dans le second État. Sinon, il ne peut, en principe, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France. 

Dans un deuxième temps, le Conseil d’État reconnaît toutefois que si une personne s’est vu reconnaître le statut de réfugié dans un État partie à la convention de Genève demande ensuite l’asile en France, celle-ci doit être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié s’il est établi que le pays lui ayant accordé le statut de réfugié la première fois ne peut plus assurer sa protection à laquelle elle a droit conventionnellement.

Dans un dernier temps, le Conseil d’État, applique ce principe aux demandeurs d’asile des pays membres de l’Union européenne. Il existe dans ces pays une présomption du respect du droit des réfugiés des États membres : « Vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l'Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d'asile (Protocole n° 24 sur le droit d'asile pour les ressortissants des États membres de l'Union européenne, JOUE 30 mars 2010). »

Ainsi, le Conseil d’État considère que « lorsque le demandeur s'est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un État membre de l'Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées ». Mais les juges du Palais Royal estiment que cette présomption peut être renversée si le réfugié apporte, par tout moyen, la preuve d’un défaut de protection par l’État membre. Toutefois, la présomption de protection effective ne vaut pas, notamment, lorsque cet État membre a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par la Conv. EDH, sur le fondement de l'article 15 (dérogation en cas d’état d’urgence), « ou dans le cas où seraient mises en œuvre à l'encontre de cet État membre les procédures, prévues à l'article 7 du Traité sur l'Union européenne, soit de prévention, soit de sanction d'une violation des valeurs qui fondent l'Union européenne ».

Ainsi, en application des principes énoncés, le Conseil d’État annule la décision de la CNDA ayant rejeté la demande du requérant au seul motif qu’il n’établissait pas avoir sollicité ou tenter de solliciter la protection des autorités polonaise. L’affaire est renvoyée à la CNDA.

CE 13 nov. 2013, CIMADE, req. n° 349735

Références

■ Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (extrait)

Art. 1er -- Définition du terme « réfugié » 

« Aux fins de la présente Convention, le terme "réfugié" s'appliquera à toute personne : 

(…)

2 ) Qui, par suite d'événements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. 

Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression "du pays dont elle a la nationalité" vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité. 

(…)

Article 31 - Réfugiés en situation irrégulière dans le pays d'accueil (extrait)

« 1. Les États contractants n'appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l'article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. » 

Article 33 - Défense d'expulsion et de refoulement 

« 1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. 

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. » 

■ Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950  

 Article 15 - Dérogation en cas d'état d'urgence

« 1. En cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.

2. La disposition précédente n'autorise aucune dérogation à l'article 2, sauf pour le cas de décès résultant d'actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7.

3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l'Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire général du Conseil de l'Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d'être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application. »

■ Traité sur l'Union européenne

Article 7

« 1. Sur proposition motivée d'un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu'il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l'article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l'État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.

2. Le Conseil européen, statuant à l'unanimité sur proposition d'un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l'existence d'une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l'article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

3. Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l'application des traités à l'État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d'une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

Les obligations qui incombent à l'État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.

4. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu'il a prises au titre du paragraphe 3 ou d'y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l'a conduit à imposer ces mesures.

5. Les modalités de vote qui, aux fins du présent article, s'appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l'article 354 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »

 

Auteur :C. G.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr