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[ 12 novembre 2010 ] Imprimer

Droit international privé

Droit de garde et déplacement illicite d’enfant au regard des dispositions du règlement Bruxelles II bis

Mots-clefs : Droit de garde, Déplacement d'enfant, Autorité parentale, Législation nationale, Art. 2 règlement Bruxelles II bis, Art. 7 Charte des droits fondamentaux, Art. 8 Conv. EDH

Le règlement Bruxelles II bis ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale d’un État membre de l’Union subordonne l’acquisition du droit de garde par le père d’un enfant, non marié avec la mère de ce dernier, à l’obtention d’une décision de justice nationale susceptible de rendre  illicite le déplacement de l’enfant par la mère ou le non-retour de celui-ci.

Un couple non marié, constitué d’un Irlandais et d’une Anglaise, a vécu ensemble pendant 10 ans et résidé avec leurs trois enfants en Irlande. À la suite de mésententes, la femme s’est d’abord enfuie avec ses enfants dans un refuge pour femmes, puis en Angleterre.

Pouvait-on alors parler « d’enlèvement présumé » d’enfants au regard de la législation irlandaise ?

En droit irlandais, le père « naturel » ne bénéficie pas de plein droit d’un droit de garde : à défaut d’accord entre les parents, ce droit doit lui être conféré par décision de justice.

En l’espèce, après le départ de la mère dans un foyer, le père avait entamé les dites démarches judiciaires mais la requête n’ayant jamais été notifiée à son ex-compagne, l’action ne fut jamais introduite ni la juridiction irlandaise saisie. Il sollicita alors la juridiction anglaise pour ordonner le retour de ses enfants en Irlande. Mais n’ayant pu produire une décision émanant des autorités irlandaises déclarant le déplacement illicite, il fut contraint de saisir à nouveau la cour irlandaise. Cette dernière rejeta alors sa demande en faisant constater qu’il ne justifiait pas à l’époque du déplacement de ses enfants d’un droit de garde susceptible de rendre illicite le déplacement de ses enfants.

Saisie en appel, la Cour suprême irlandaise décida de surseoir à statuer et demanda donc à la Cour de justice de l’Union européenne si le règlement Bruxelles II bis (applicable à tous les États membres de l’Union européenne à l’exception de du Danemark et relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale), à la lumière de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, s’opposait à ce que le droit d’un État membre subordonne l’acquisition du droit de garde par le père d’un enfant, non marié avec la mère de ce dernier, à l’obtention d’une décision de justice nationale ayant ainsi pour conséquence de rendre illicite le déplacement de l’enfant par la mère ou le non-retour de celui-ci.

Il faut préciser que l’article 2, point 9, du règlement Bruxelles II bis, définit le droit de garde comme « les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence » et que le point 11 a) du même article renvoie au droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle pour désigner le titulaire du droit de garde.

Ainsi, la Cour de justice répond que le caractère illicite du déplacement d’un enfant dépend exclusivement de l’existence d’un droit de garde prévu par la législation nationale en violation duquel il a eu lieu. C’est aussi le droit de cet État membre qui en détermine les conditions d’attribution.

Elle constate que :

– l’interprétation des dispositions du règlement Bruxelles II bis est conforme aux articles 7 (respect de la vie privée et familiale) et 24 (protection des droits de l’enfant) de la Charte des droits fondamentaux ;

– les droits contenus dans cette Charte correspondent à ceux garantis par le Conv. EDH : aussi, l’article 8 de la Convention étant identique à l’article 7 de la Charte, il y a lieu d’accorder même sens et portée à ce dernier, tels qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Aussi, la Cour de justice relève que la CEDH a déjà jugé qu’une législation nationale qui accorde de plein droits à la mère l’autorité parentale relative à un enfant d’un couple non marié, n’est pas contraire à l’article 8 de la Conv. EDH, pour autant qu’elle autorise le père à demander au juge national compétent la modification de cette attribution (CEDH 2 sept. 2003, Guichard c. France).

 

En conclusion, en cas d’enlèvement présumé d’enfant, le fait qu’une législation nationale d’un État membre de l’Union subordonne l’acquisition du droit de garde par le père d’un enfant, non marié avec la mère de ce dernier, à l’obtention d’une décision de justice nationale pour rendre illicite le déplacement de l’enfant par la mère ou le non-retour de celui-ci, n’est pas un frein à l’application des dispositions du règlement Bruxelles II bis en la matière.

On rappellera brièvement, qu’en France, même si la notion de « droit de garde » a été supprimée par la loi du 4 mars 2002, elle reste, au même titre que le droit d’hébergement, un des attributs de l’autorité parentale définit à l’article 371-1 du Code civil comme : « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant » (al. 1er). En principe, les père et mère exercent en commun l’autorité parentale jusqu'à la majorité de l'enfant (art. 372 C. civ. ; sauf hypothèse d’attribution d’un droit de garde exclusif ; v. aussi cas de reconnaissance tardive du lien de filiation v. art 372 al. 2 et 3). Afin de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun des parents, le recours au juge aux affaires familiales est prévu en cas de difficultés actuelles ou futures aux articles 373-2 et suivants du Code. Ainsi il a été jugé qu’en cas d’exercice conjoint de l’autorité parentale, le déplacement de l’enfant à l’étranger par sa mère sans le consentement du père était illicite, le déplacement ayant eu pour conséquence de modifier unilatéralement la résidence habituelle de l’enfant (Civ. 1re, 14 déc. 2005).

CJCE 5 oct. 2010, aff. C.-400/10, J. McB c. L. E.

Références

Autorité parentale

« Ensemble des prérogatives conférées par la loi aux père et mère sur la personne et les biens de leur enfant mineur et non émancipé. Chaque prérogative est constituée d’un droit (agir) et d’un devoir (d’agir dans l’intérêt du mineur). Les parents doivent ainsi protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à la personne. Jadis conférée au seul père, sous le nom de “ puissance paternelle ”, l’autorité parentale est, en principe, exercée en commun par les père et mère. »

Garde

« Prérogative essentielle de l’autorité parentale. Elle confère à son titulaire le pouvoir de contraindre ses enfants mineurs à vivre sous son toit, mais aussi de décider plus généralement du mode de vie de l’enfant, de ses relations et de ses activités. Elle connaît toutefois certaines limites, tenant aux relations de l’enfant avec les tiers (ex. : avec ses ascendants). »

Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

CEDH 2 sept. 2003, Guichard c. France.

Civ. 1re, 14 déc. 2005, Bull. civ. I, n°507 ; D. 2006. IR. 251 ; Rev. crit. DIP 2006. 619, note Gallant.

■ Code civil

Article 371-1

« L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant.

Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »

Article 372

« Les père et mère exercent en commun l'autorité parentale.

Toutefois, lorsque la filiation est établie à l'égard de l'un d'entre eux plus d'un an après la naissance d'un enfant dont la filiation est déjà établie à l'égard de l'autre, celui-ci reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale. Il en est de même lorsque la filiation est judiciairement déclarée à l'égard du second parent de l'enfant.

L'autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des père et mère devant le greffier en chef du tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires familiales. »

Article 373-2

La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale.

Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent.

Tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale, doit faire l'objet d'une information préalable et en temps utile de l'autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant. Le juge répartit les frais de déplacement et ajuste en conséquence le montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.

■ Article 2 du règlement°n°2201/2003 du 27 novembre 2003 « Bruxelles II bis ».

« Définitions

Aux fins du présent règlement en entend par:

1) «juridiction» toutes les autorités compétentes des États membres dans les matières relevant du champ d'application du présent règlement en vertu de l'article 1er;

2) «juge» le juge ou le titulaire de compétences équivalentes à celles du juge dans les matières relevant du champ d'application du présent règlement;

3) «État membre» tous les États membres à l'exception du Danemark;

4) «décision» toute décision de divorce, de séparation de corps ou d'annulation d'un mariage, ainsi que toute décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction d'un État membre, quelle que soit la dénomination de la décision, y compris les termes «arrêt», «jugement» ou «ordonnance»;

5) «État membre d'origine» l'État membre dans lequel a été rendue la décision à exécuter;

6) «État membre d'exécution» l'État membre dans lequel est demandée l'exécution de la décision;

7) «responsabilité parentale» l'ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur, à l'égard de la personne ou des biens d'un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite;

8) «titulaire de la responsabilité parentale» toute personne exerçant la responsabilité parentale à l'égard d'un enfant;

9) «droit de garde» les droits et obligations portant sur les soins de la personne d'un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence;

10) «droit de visite» notamment le droit d'emmener l'enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle;

11) «déplacement ou non-retour illicites d'un enfant» le déplacement ou le non-retour d'un enfant lorsque :

a) il a eu lieu en violation d'un droit de garde résultant d'une décision judiciaire, d'une attribution de plein droit ou d'un accord en vigueur en vertu du droit de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour

et

b) sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l'un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l'enfant sans le consentement d'un autre titulaire de la responsabilité parentale. »

■ Article 6 du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 6 TUE)

« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.

Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.

2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités.

3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »

Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ Charte des droits fondamentaux

 Article 7 - Respect de la vie privée et familiale

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

Article 24 - Droits de l'enfant

« 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »

 

 

Auteur :A. T.


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